Les bannis... " La traversée du Dahra..." 1888
Acte 4 : La traversée du Dahra
Nous nous retrouvâmes comme avant dans cette diligence qui démarra en silence, on n’entendait que le grincement métallique des roues secouées par le bruit des sabots des bêtes qui piaffaient le sol boueux. Le cortège des voitures sortit de la ville par la porte de Ténès, une grande porte à double issue en bois gardée par des soldats sénégalais réputés pour leur brutalité contre la population autochtone. Plus loin, la place des bœufs parut déserte à cause du climat froid et pluvieux par moments. D’habitude elle grouillait de mendiants, de nomades et de petits vendeurs de maigres cheptels qui n’avaient pas l’autorisation d’accéder à la ville, elle se faisait repérer de loin grâce aux quelques eucalyptus élevés dans ce terrain vague à proximité de l’entrée ouest d’Orléansville. Les chevaux dévièrent au nord pour traverser la rivière du Cheliff en passant sur un pont métallique posé sur un socle de béton, assez solide pour supporter les crues hivernales et les secousses telluriques qui frappaient la région de temps à autre.
-« L’oued parait tranquille et paresseux », dit Jean en regardant l’eau qui coulait tristement sous le pont, encouragée par les dernières averses à creuser des remparts dans les falaises des rives jonchées de roseaux denses, de garnisons de cannes et de bosquets épineux.
-« Méfiez-vous de l’eau qui dort », intervint Paul furtivement comme à son habitude avant d’ajouter « Le Cheliff est rebelle, ses crues causent de graves dégâts quand il se déchaîne, surtout en hiver ».
-« C’est la plus grande rivière dans le Maghreb, elle prend source des cavités du désert, traverse tout l’Atlas tellien et la plaine du Cheliff avant de se jeter à la mer » expliqua Lévi en parfait connaisseur de la région.
Le fleuve coulait silencieusement ses eaux ocres dans son lit large au rebords boueux, tiède et timide dans sa lancée lourde parmi les vergers fructueux, frôlant de son souffle humide les murs de la ville d’un geste indifférent, baignant de ses airs la vallée qui l’abrite au creux de ses bras ouverts où il se fait la joie de serpenter nonchalamment.
-« L’oued s’en va sans faire de trêve
Dans un sommeil vendeur de rĂŞves,
Noyer la plaine au fond d’un lit
En mer pour faire un sort joli ».
-« L’oued s’en va comme un reptile
Glisser au champ derrière la ville,
Nourrir les pierres qui passent rouler
De flore au miel qui fait saouler ».
La caravane se dirigea au nord, traversa le pont pour entamer La ferme à l’autre rive de la rivière, une agglomération agricole composée de plusieurs fermes tenues par des colons européens. Les chevaux prirent ensuite une route départementale bordée de rangées d’eucalyptus au milieu des champs d’agrumes et des plantations de fruits limités par des brise-vents servant aussi bien de clôture que de protection. Les soldats qui nous escortaient étaient éparpillés autour de la caravane, les uns faisaient les éclaireurs à l’avant, d’autres circulaient entre les diligences, et d’autres suivaient le cortège pour couvrir et sécuriser le convoi en cas d’embuscade comme il y en a beaucoup eu dans ce hameau de folle végétation. Les soldats savaient bien que les résistants arabes qui opéraient dans la région étaient des baroudeurs malins, capables de surgir et de surprendre les passagers à n’importe quel moment, c’était pourquoi ils se méfiaient de tous les autochtones sans distinction aucune.
-« La caravane me porte chance
Sous chaque trot quand elle avance
Avec le mieux de mes souhaits
Sous la chanson du vieux fouet ».
-« La caravane dessine au sol
Les vagues roulées sous une gondole,
Avec le cher de mes désirs
De croiser l’un des souvenirs ».
…/…
Kader...