Inscrit le: 9/12/2009 De: Val d'Oise |
La Louve La Louve
Comment était-elle arrivée là , elle ne le savait pas ou plutôt elle n’en avait plus que de vagues souvenirs.
Ce lieu, elle ne le connaissait pas et bien que son maître l’ait souvent emmenée dans ses longues promenades, jamais ils n’étaient venus ici ensemble. Tout ce dont elle se souvenait, c’était qu’une odeur l’avait conduite sur une piste qu’elle avait suivie longuement sans en mesurer ni la distance, ni le temps. Elle avait cru pouvoir retrouver son chemin mais une soudaine petite pluie d’été avait effacé toutes ses empreintes et son flair, pourtant développé, ne lui était plus utile. Elle était perdue au milieu d’une forêt très dense, sous un soleil maintenant revenu qui perçait à peine sous les hautes frondaisons.
Elle avait appelé par des aboiements de plus en plus stridents au fur et à mesure que son angoisse augmentait. Progressivement, comme si de la chienne l’ancêtre remontait à la surface, ses cris s’étaient transformés en hurlements plaintifs comme seuls peuvent en émettre les loups. Hurlements qui avaient réveillé la peur ancestrale des hôtes de cette forêt.
Le garenne, comme le blaireau, s’étaient enfouis au plus profond de leur terrier et les chevreuils s’étaient éloignés au plus vite. Seule, du haut de son arbre mort, une vieille chouette réveillée avait ouvert un de ses yeux bien ronds pour fixer l’intruse qui troublait ainsi son sommeil.
La louve se sentait seule, isolée, et cette sensation nouvelle lui fit peur. Quelle idée saugrenue avait-elle eue en suivant cette piste qui ne menait nulle part. Toute la journée, elle avait patrouillé au hasard, cherchant en vain un indice qui la mette sur la voie du retour. Sans le vouloir, elle tournait en rond, revenant plusieurs fois sur le lieu où elle avait pris conscience qu’elle s’était perdue.
Le couchant étendait déjà son ombre sur la forêt. Dans quelques instants, elle n’y verrait plus assez et elle décida de chercher un endroit pour se reposer. C’est un vieux chêne qui lui proposa un abri provisoire sur le tapis de mousse et de feuilles sèches qui bordait son pied centenaire. Harassée de fatigue, elle plongea dans un profond sommeil avant que l’angoisse ne l’empêche de dormir.
Il faisait nuit noire quand elle est réveillée par des bruits sourds. Immédiatement sur ses gardes, elle scrute les alentours sans rien distinguer. Pourtant le bruit est toujours là , insistant, se rapprochant même de l’endroit où elle est couchée. Les oreilles pointées devant elle, la bouche ouverte en pavillon pour mieux capter les sons, les narines écartées pour saisir dans la brume nocturne le moindre effluve, ne la renseignent pas pour autant. Ce sont des coups répétitifs, des impacts sur le sol, rien qui ne ressemble à ce qu’elle a pu entendre jusqu’à présent. Sur son échine, son pelage maintenant redressé augmente sa stature. Elle l’a vu faire par sa mère le jour où elle s’était interposée devant un molosse qui voulait l’attaquer et elle le reproduit génétiquement. Cette nouvelle apparence ne stoppe pourtant pas les bruits dont il lui semble même qu’ils proviennent d’en dessous ses pattes. On dirait même que la terre est en train de se soulever entre elles.
Un tumulus se perce et un gentil museau pointu, au centre d’une petite tête veloutée et noire, en émerge entre deux courtes pattes aux longues griffes qui écartent la terre sur les cotés. Entre les deux bêtes qui se regardent surprises, il n’y a pas d’animosité, juste un brin de retenue devant l’inconnu. On se renifle un instant, histoire de prendre connaissance puis la taupe s’enfouit et reprend son ouvrage à la recherche des lombrics dont elle raffole.
Pour la louve, c’est l’estomac qui crie famine car elle n’a rien ingurgité depuis l’avant-veille et elle se recouche en ramenant sa longue queue touffue par-dessus son museau. Elle ne dort pas pour autant, elle sommeille l’oreille aux aguets, forte de cette première expérience.
Bien que les oiseaux de la forêt aient chanté l’apparition du soleil, la petite louve n’a pas encore bougé. Les yeux dissimulés dans sa touffe caudale, elle ne dort pas, elle étudie ce qui l’entoure. Son regard, comme un métronome, va d’un coté à l’autre balayant dans un mouvement incessant tout ce que son champ de vision peut lui permettre. Elle attend, elle ne sait pas quoi encore, mais elle espère dans ce repli sur elle-même que la providence viendra à son secours.
Le soleil éclaire maintenant la petite clairière, faisant miroiter la rosée sur les feuilles rouillées tombées de l’automne précédent. Le chant matinal des oiseaux a décru et elle peut mieux percevoir les bruits environnants.
Son attention vient d’être attirée par une bande de lapereaux qui batifolent, sautent les uns par-dessus les autres, s’arrêtent pour grignoter un gland ou une faine et qui repartent de plus belle dans leurs jeux matinaux. Eux n’ont pas remarqué la petite louve dont le pelage s’harmonise parfaitement avec le tapis de feuilles mortes qui l’entoure. Tout d’abord intriguée, elle suit leurs évolutions qui lui rappellent les jeux qu’elle partageait avec ses frères et sœurs avant qu’on ne les sépare. La faim la tenaille toujours et elle aimerait bien goûter aux friandises que les lapereaux semblent apprécier. Mais à peine s’est-elle redressée qu’un mouvement de panique s’empare de la petite compagnie qui, d’un même élan prend la fuite vers son terrier offrant à la vision de notre louve les toupets blancs de leurs petits postérieurs.
Comme une truite l’aurait fait devant un leurre, elle se sent attirée et bondit à leur suite. Elle n’est pas sûre de gagner car ils sont agiles et véloces mais l’étroitesse de l’embouchure du terrier fait qu’ils ne peuvent y pénétrer ensemble. Bloqués par cet entonnoir, ils sont à sa merci et elle en saisit un, plus par jeu que par méchanceté.
Seulement sa mâchoire est solide, adaptée à rogner des os d’animaux bien plus gros. Les mouvements désespérés du lapereau l’obligent à resserrer sa prise, ce qui sera fatal à l’animal. Un goût de sang frais taquine ses babines et lui rappelle sa faim insatisfaite. Elle hésite car elle ne sait pas encore comment faire. La nourriture lui était apportée chaque jour et elle n’a jamais eu la peine de se battre pour s’en procurer.
La nature vient de lui donner sa première offrande, sa première chance. Elle emporte le petit cadavre, en mange la moitié et enfouit l’autre partie sous le lit de feuilles mortes, comme le font les louves aguerries.
Maintenant elle sait que sa vie a changé, qu’elle ne peut plus compter que sur elle-même. Les hommes ont fait partie de son passé, elle a été heureuse dans leur monde le peu de temps qu’elle y est restée, mais la nature à repris ses droits.
Elle est dorénavant, sur le chemin de ses ancêtres, une jeune louve libre et sauvage.
Chibani
|