Je ne veux pas m’endormir 12 ( à suivre)
Les mots ne jaillissaient plus. S’étaient –ils brisés en chemin sur les cascades gelées du désespoir ? La glace soupirait après un impossible soleil : quelques lueurs ici et là au long des nuits et des jours ne suffisaient plus à combler la vie appauvrie de John ; son écriture elle-même manquait d’éclat, ses doigts engourdis esquissaient l’élégance du trait glissant majestueusement la mine du crayon sur un vide infini. Restaient le clavier et la musique dans le casque. Le vide s’étendait, et s’entendait presque voluptueusement au gré des harmonies. John s’enfonça lentement dans cette étendue de neige vierge, prenant presque un certain plaisir aux doutes qui la peuplaient.
Après quelques pas dans cette ouate craquante sous ses pas, il se retourna. Et grande fut sa confusion tandis qu’il considérait la longueur des empreintes qu’il avait laissée derrière lui ; venait-il d’aussi loin ? Ce délire consommait à l’envi de l’illusion et il ne le repoussa pas. John poursuivit son avancée dans le grand désert blanc, toujours plus immaculé au fur et à mesure qu’il épousait l’azur, loin, là -bas. Là -bas, en quelques lieux secrets l’avenir s’annonçait rempli de mystères : cet avenir pourrait tout autant lui ouvrir les bras que le saisir dans un guet- apens. Pourquoi ?, Qui ?, Quand ? C’était le lot de la vie que de s’effacer tôt ou tard, pensait-il en fixant cette blancheur profonde qui l’accueillait aujourd’hui dans sa douce indifférence.
C’était comme ça depuis toujours et l’homme n’en avait pas fini avec son rêve d’éternité ; plus sa vie est chaotique, plus il enterre ce qui lui est cher, et plus encore il définit l’indéfinissable fin : l’éternité paradisiaque ou infernale. L’humanité a véhiculé, au temps de sa mémoire, des flots résurgents de désir, ponctués ici et là de pauses musicales tellement brèves sur la portée universelle que leur expression a été sublimée jusqu’à nous.
Le silence lui parvint en pleine poire : une rafale de vent cinglante de mille cristaux éparpillés remit John sur les rails, lui rappela l’âpreté de sa vie. Le combat des êtres est souvent inégal contre l’adversité ; et s’il n’y avait l’amour, fût-il imparfait, qu’est-ce qui réconforterait les combattants pour la vie, et qui donnerait à celle-ci un sens minimal ?
Une dune blanche s’éleva devant lui et considérant la difficulté, il se sentit à bout de force.
Quelle idée lui était passée par la tête à vouloir retrouver ce chemin cent fois parcouru aux saisons de sa vigueur ? Lutter pour ne pas se soumettre à la torpeur due à ses veilles forcées.
Il trouva un morceau de sucre qu’il avait emporté par prudence et le laissa fondre doucement dans sa bouche. Avant de partir, il avait griffonné un mot à la hâte : « Monique je vais en ballade au col du Sapenay, j’emprunterai la route forestière. Ne t’inquiète pas. »
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