AMARINAGE
ALERTE EN HAUTE MER ! PROBLĂME A BORD :Le skipper a disparu !
On revient sur ce cauchemar
SĂšte. Ils se sont arrĂȘtĂ©s Ă la poupe du voilier quâils doivent convoyer. Ventru, taillĂ© pour une confortable navigation, le PĂ©gasus attend.
On embarque avec le barda. Le roof est spacieux. On doit pouvoir naviguer Ă six sans problĂšme. Quatre bannettes en deux pseudo-cabines, plus les banquettes salon Ă lâavant. CommoditĂ©s, coin cuisine ; placards, frigo bien garnis. Bigre, un Volvo in-board cent chevaux et un hors bord Yamaha de vingt-cinq en secours. La bĂȘte dĂ©marre au quart de tour et ronronne sagement.
? Ho, Pierre, y a le feu ?Â
? Non, mais je prĂ©fĂšre partir avant lâaube, câest plus tranquille.Â
? Tu sais quoi, jâai lâimpression quâon nage en plein polar ; on file Ă lâanglaise ?
Ricanement puis fou-rire. Sur instructions du capitaine, Norbert largue les amarres. Le bateau dĂ©hale de son poste, vire et prend le chenal. La jetĂ©e passĂ©e, on met plus de gomme, cap plein sud. DĂ©part on ne peut plus discret. Il fait frisquet. Le ciel pĂąlit Ă lâest. Il est cinq heures.
Une semaine plus tard⊠Norbert nage dans les eaux troubles dâun demi-sommeil nausĂ©eux. Il a lâimpression dâĂȘtre sur une balançoire. Dans un jardin venteux et plein de bruits. PeuplĂ© de sifflements, de froissements et par les battements dâune lente horloge qui fait : CLANG ! CLANG ! En plus, il a du laissĂ© son sac de billes ouvert et elles sâĂ©chappent sur le parquetâŠ
Enfin il opte pour le rĂ©veil et entrouvre laborieusement les paupiĂšres. Bon sang, mais il fait jour ! Le bateau roule bord sur bord. Il reprend conscience lentement avec la gueule de bois et mal au cĆur. Pas Ă©tonnant, il sâĂ©tait sanglĂ© large sur la bannette et il suit le mouvement. Putain, quâest-ce quâil y avait dans cette saletĂ© de cafĂ©Â ! Il se lĂšve, hĂ©sitant. Six heures ! Bordel, Pierre, quâest-ce qui se passe ? Tu ne mâas pas rĂ©veillĂ©Â ?
Quand il Ă©merge sur le pont, le siĂšge du skipper est vide, la barre libre et il a juste le temps de baisser la tĂȘte pour Ă©viter la bĂŽme qui balaie dâun bord Ă lâautre, voile fasĂ©yant. Quel tintamarre ! Le PĂ©gasus est dĂ©semparĂ©. PIERRE, PIERRE ! Il a hurlĂ© dans les embruns. Un Ćil circulaire : Non, câest pas vrai, pas possible, pas lui !
Dans un Ă©tat second, il est Ă la barre et reprend le contrĂŽle du voilier, verrouille le cap. Il inspecte le bateau : pas trace du copain. Comment cela a-t-il pu se produire ? Et quand ? Pour couronner le tout, pour une fois, la mer est dĂ©sespĂ©rĂ©ment vide. Il va pourtant tirer une fusĂ©e de dĂ©tresse. La radio, vite ! Le certif de radiotĂ©lĂ©phonie restreint de Pierre est scotchĂ© dessus. Il va pouvoir alerter Saint-Lys Radio! FĂ©brile,il configure le poste, micro en main, prĂȘt Ă sâidentifier, alerter sur la situation, lorsque son regard accroche la brassiĂšre rangĂ©e Ă cotĂ© du siĂšge, puis le bout de sauvegarde qui traĂźne la bouĂ©e dans le sillage. Descendant en cabine, il remarque : la couchette impeccable, les sacs faits et bien rangĂ©s, rien qui traĂźne⊠Il suspend son geste, le temps dâintĂ©grer ces donnĂ©es et soudain explose : Ah, le con ! Il nây a que lui pour faire un coup pareil ! Il a tout combinĂ© pour me mettre Ă lâĂ©preuve.
Tout lui revient sous un Ă©clairage diffĂ©rent : lâespĂšce de briefing dâhier soir, le cafĂ© pourri, droguĂ©, off course. Tout de mĂȘme, il y va fort, Pierre. HabitĂ© dâune rogne pas possible, il dĂ©cide de jouer le jeu et de mener le bateau jusqu'Ă Malte. Il va rien lui manquer, car câest sur, il sera Ă lâarrivĂ©e, rigolard et satisfait de lui, , comme du temps oĂč il collectionnait les tours pendables. La diffĂ©rence, câest quâaujourdâhui, Nono a troquĂ© la place du complice pour celle de la victime.
DĂ©sormais il se consacre entiĂšrement Ă relever le dĂ©fi, portĂ© par une rage froide. LĂ , vraiment, il a dĂ©passĂ© les bornes qui gardent lâamitiĂ©. Bon, câest le moment de mettre en pratique le fruit de ces huit jours dâentraĂźnement. Dâabord, faire le point. Bien, quasiment sur la bonne route. Le vent est portant ; sâil se maintient, il devrait ĂȘtre sur zone demain, fin de matinĂ©e.
Pratique, la colĂšre : ça lâempĂȘche de raisonner, de se poser les bonnes questions et dâanalyser sainement la situation. Mais petit Ă petit, comme les bulles cherchant la surface, elles commencent Ă remonter. Surtout maintenant. Il consulte le livre de bord, constate quâil est Ă jour. Perplexe, il revient vers les bagages : oui, la pochette Ă©tanche de Pierre contient tous ses papiers, brevets et permis mer, un peu dâargent, une carte de crĂ©dit, un portable et un petit agenda. StupĂ©fiant, il nâavait rien sur lui !
Du coup, rĂ©flexions et questions affleurent, emmerdantes et tĂȘtues, du genre :
- Et si Pierre sâĂ©tait tout bĂȘtement foutu Ă la baille.
- Sâil avait alertĂ© Saint-Lys Radio, comment aurait-il expliquĂ©Â ?
Pour faire un coup pareil, il faut une sacrée logistique et donc une préparation bien en
amont. Oui, mais tout ça pour une mauvaise blague Ă un copain ? Le vent est passĂ© Ă
force quatre: obligĂ© dâĂȘtre attentif Ă la manĆuvre, il bride ses cogitations. Ah, il va y avoir
une sacrĂ©e explication de gravures Ă lâarrivĂ©e.
Alors que le soleil vient de disparaĂźtre, il distingue un feu droit devant, câest la signature du phare de Gozo. Le vent faiblit vers onze heures. Il passe la nuit Ă la barre, veille entrecoupĂ©e de brefs moments de demi-sommeil.
Lorsque lâaube pointe, la balise est laissĂ©e au nord-ouest ; dâautres feux et de vagues lueurs annoncent Malte. Il est au large de la cote sud. Il garde le cap, prend le temps du breakfast. Il met en ordre le roof, range ses affaires. Finalement, il ne sâen sort pas mal, non ?
Vers midi, lâextrĂ©mitĂ© orientale de lâĂźle se profile. Il inflĂ©chit sa route au nord-est, puis longe la cote nord en tirant des bords. Il y a du monde sur lâeau. Prudemment, il rĂ©duit la voilure et dĂ©marre le Volvo. A trois heures, il croise devant La Valette, louvoyant parmi le trafic. Rien. Vaguement inquiet, il dĂ©cide de poursuivre quelques miles Ă lâouest avant de virer de bord. Bon Dieu, sâil sâĂ©tait trompĂ© du tout au tout ! Dans quelle galĂšre sâest-il embarquĂ©. Dans tous les cas, il est dans de sales draps ! Alors quâil sâapprĂȘte Ă engager la manĆuvre pour rebrousser chemin, un Ă©lĂ©gant runabout se dĂ©tache des bateaux alentour, fait deux fois le tour du PĂ©gasus et se prĂ©sente pour venir bord Ă bord. Quelquâun fait de grands signes. ENFIN !
Parceval - 26/03/2023