La dame roseau

Il était une fois dans un pays lointain un peuple de roseaux nichés au creux d'un lac. Ces plantes volubiles ondulaient dans le vent, aimables et légères, de jour comme de nuit. Elles ignoraient le sommeil, comme elles dédaignaient le Mal.
Elle murmuraient sans cesse la chanson de la brise. Les oiseaux qui passaient adoraient les entendre.
Au sein de ce ballet, une danseuse se faisait particulièrement remarquer : une dame roseau, gracile et tendre tige, voltigeant à l'aurore comme au coucher de Lune.
L'étang que les roseaux bordaient adorait ce voisinage, pacifique et gracieux. C'était une belle harmonie, brisée seulement de loin en loin par le cri strident des canards sauvages.

Il advint qu'un beau matin d'automne, de retour de la guerre, un chevalier fourbu se délassa un moment sur la berge docile. Il avait posé là son lourd équipement, son épée flamboyante, la selle de son destrier et son heaume brilant. Il s'assoupit un instant, heureux de ce repos improvisé. Un chant mélodieux, telle une mélopée douce, le berça dans ses rêves profonds.
Le temps passa très vite et le guerrier se réveilla. Il était reposé, heureux de vivre enfin, réconcilié avec le monde, tant son sommeil avait été bienfaisant. Il souriait tout seul quand il la vit, elle, cette femme roseau, étoile parmi les plantes, qui avait chanté pour lui parmi ses soeurs. Il fut frappé par la beauté et la finesse de sa tige. Elle ondulait si joliment ! Une véritable danseuse, fascinante et charmante.
Pour plaisanter, il lui parla gentiment en lui faisant compliment de sa grâce. Il lui dit que sa fine beauté avait conquis son coeur, qu'il était son chevalier servant à jamais. En souriant, il harnacha son cheval, rajusta son armure et s'éloigna enfin au grand trot.

Ce qu'il ne pouvait deviner, c'est que la dame roseau avait une âme et des oreilles pour l'entendre. Elle n'avait rien perdu de sa déclaration et son coeur était conquis à jamais ! Malheur à elle ! Elle aimait un humain, versatile et divers. Lors, elle l'attendit sans cesse, espérant son retour. Elle ne chantait plus, ne dansait plus, dépérissait à vue d'oeil. Ses soeurs les plantes étaient désolées pour elle. Elles n'étaient pas assez mesquines pour s'en réjouir, elles laissaient cette bassesse aux hommes.
Un soir enfin, la dame roseau mourut d'amour, l'absence la tuait, poison lent mais sûr pour son âme dolente. Elle se laissa aller dans les bras du courant qui l'emporta au loin, dans ce pays obscur qu'on appelle la Mort. C'en était fini de cette passion fatale entre un chevalier sans coeur et une dame roseau qui ne savait qu'aimer.


FIN