La reine de l'automneLa légende raconte que l'automne est vivant, c'est une dame rousse au regard alangui, qui promène son ennui en allumant des feux dans le fond des forêts. Ces flammes ne brûlent pas, elle flamboient seulement, pour un temps, pour une heure, transformant la nature en immense musée où rêvent les oeuvres d'art. Les arbres deviennent ce bouquet de couleurs, teintés de jaune, de roux et de vermillon.
Bizarre, n'est-ce pas ? Cette reine des feuilles n'a pas toujours vécu. Auparavant, la saison précédant l'hiver n'existait simplement pas et la forêt restait bien terne jusqu'au moment où la neige tombait. L'automne est apparu en même temps que cette étrange fée aux pouvoir démesurés.
Comment est-elle venue au monde ? Quel est le magicien qui lui a donné vie ? C'est une très belle et très triste histoire...
Jadis, un roi et une reine s'aimaient infiniment au pays de Naguère. La souveraine se désolait de ne pas pouvoir porter d'enfant. Elle se sentait maudite et pleurait chaque jour. Mais un matin, un enchanteur lui rendit visite en son palais de nacre. Il lui promit une enfant à la peau d'ivoire, aux dents comme des perles et aux longs cheveux d'or. Que devait-elle faire pour connaître ce bonheur ? Il lui suffisait, après quinze ans de vie familiale comblée, de rejoindre la forêt et d'y rester pour l'éternité. C'était un affreux chantage ! Elle devait tout abandonner en échange du sourire d'une enfant pendant quelques années. Mais le magicien était intraitable. Il fallait choisir la maternité puis l'exil ou se taire à jamais et regretter l'enfant qu'elle n'aurait pas.
La reine prit le temps de la réflexion, se confia à son tendre époux le roi qui était bien désolé pour elle et lui conseilla fermement de refuser. Mais son coeur de mère était le plus fort. Elle accepta le terrible marché de l'enchanteur.
Elle donna bientôt naissance à une charmante princesse aux cheveux bouclés. Quinze années passèrent dans le bonheur absolu. Pas un instant, la reine ne regretta son choix. Aimer cette enfant, lui sourire, lui parler, recevoir ses confidences, ses secrets, valaient tous les sacrifices.
Mais le moment fatidique arriva. Elle quitta le palais précipitamment et rejoignit la forêt. Le roi, qui pleurait toutes les larmes de son corps, expliquerait à la jeune fille la cause de la disparition de sa mère. Cette dernière n'avait jamais rien dit à sa fille de cette séparation obligée pour ne pas ternir son bonheur et sa jeunesse.
Au creux des sous-bois qu'elle avait rejoints, la reine était désespérée. Seule, le coeur navré, elle marchait sans but et sans espoir. Elle savait que son destin était désormais dans cette éternelle errance. Ses larmes coulant sur le feuillage qui l'entourait allumèrent des feux brillants sur les branches. La flamme de l'amour maternel créait les splendeurs de l'automne. Elle chemina ainsi, solitaire, illuminant les arbres de sa tristesse vive pendant de longs mois. Puis, quand arriva l'hiver, elle s'endormit enfin jusqu'à l'année suivante.
Au bout de cette longue période de sommeil, elle se réveilla et reprit son errance éternelle, allumant des feux dans la forêt d'automne. Magie de la tristesse maternelle, plaintes d'un coeur blessé qui s'élevaient en rutilantes flammes, tel était son destin.
Chaque année dorénavant, la saison d'automne succéda à l'été avant le profond sommeil de l'hiver. Le cycle avait commencé et devait se prolonger éternellement. Merveilles des coeurs navrés d'amour...
Ainsi, la légende n'a pas menti : l'automne est bien vivant, c'est une reine triste qui allume des feux. Si l'on tend l'oreille, on entend la plainte de cette dame dolente qui erre sans cesse dans les sous-bois. Nul ne peut rien pour elle. Elle a choisi le sort cruel qui est le sien, condamnée à inventer le Beau pour apaiser sa peine. Il devait en être ainsi.
FIN