L'histoire merveilleuse des abeilles

Il était une fois, au pays d'OutreMonde, une maison magique qui ressemblait à une immense ruche. Ses alvéoles délicates reposaient sur les branches d'un chêne majestueux. Là, dans cet asile en hauteur éloigné de toute prédation, un peuple de fées voltigeantes s'activait au service de la Reine des lieux.

Immenses, intégralement dorées, elles avaient le pouvoir de rendre le monde plus beau, plus tendre et de colorer les feuilles d'une jolie teinte orangée avant l'hiver. Elles étaient dotées de tous les pouvoirs des sylves de la forêt et fabriquaient un miel délicieux.

En automne, cette année-là, les artistes de la ruche avaient décidé de lancer un nouveau coloris pour le feuillage : un brun orangé virant vers le roux, plutôt sombre. Elles en étaient à tester les couleurs lorsque l'une d'elles reçut des éclaboussures sur sa robe soyeuse et délicate. Les taches faisaient comme des anneaux autour de sa taille. C'était vraiment bizarre ! Vite, la pauvre fée ainsi colorée se hâta de frotter et de re-frotter. Mais il lui fut impossible de retirer ces étranges anneaux foncés. Elle dut garder cette pelisse originale et en fut navrée.

Cette victime de la maladresse avait raison d'être désolée. Devenue différente, elle fut la cible de moqueries et d'ostracisme. Tout le monde riait d'elle. Elle prit du poids car pour se consoler, elle dévora bon nombre de gâteaux au miel. Ses soeurs, peu charitables, la traitèrent de bonhomme Michelin, puisqu'elle présentait les mêmes rondeurs. Ce fut un harcèlement qui la poursuivit des semaines. Chaque membre de la maison dans les arbres était ravi de la présence de cette cible qui attirait les sarcasmes. De cette façon, tout le monde avait la paix. Tant pis pour la pauvre fée, bouc émissaire du groupe !

Elle pleurait toutes les nuits et dépérissait de tristesse. C'était un fleuve de larmes qui noyait son alvéole personnelle. Elle voulut mettre fin à ses jours. Après tout, elle n'avait plus d'amis, tout le monde lui avait tourné le dos. Elle avait beau chaque matin se frotter l'abdomen avec fureur, elle gardait ces maudits anneaux qui la différenciaient des autres. Elle en arrivait à se faire saigner mais cela ne servait à rien. Les anneaux réapparaissaient toujours.

Une nuit pourtant, elle reçut une étrange visite. Rêvait-elle ? Il lui sembla qu'une puissance supérieure venait enfin à son secours. Elle sentit comme un souffle de douceur l'effleurer. Des mots bizarres résonnèrent dans ses oreilles : "châtiment, haine, méchanceté, égoïsme, justice...". Puis cela cessa. Ele s'endormit enfin, intriguée par la bizarrerie de ce moment.

Au matin, la ruche reprit ses activités habituelles : soin aux enfants, collecte de pollen, élaboration du miel... Mais la maison merveilleuse avait disparu. C'était à présent un simple nid abrité par un grand arbre aux branches tourmentées. Les fées elles-mêmes étaient devenues des abeilles minuscules. Elles arboraient toutes la même livrée couverte d'anneaux sombres.

Et la fée persécutée, que devint-elle ? Hé bien, elle poursuivit sa besogne avec ses soeurs. Une abeille est une abeille, n'est-ce pas ? Laborieuse et docile. La jolie maison dans les arbres avait disparu à jamais, par la faute de méchantes fées qui avaient trouvé leur juste châtiment. Elles n'étaient plus des créatures magiques mais de simples insectes. Leurs pouvoirs s'étaient évanouis. En revanche, la beauté des couleurs automnales demeura, ce qui en soi est une consolation, n'est-ce pas ?


FIN