La petite fille et les couleursIl était une fois une petite fille qui attendait que le soleil se lève. Elle reposait immobile, attentive, au fond d'un grand lit tout blanc. Des barreaux l'encadraient comme pour l'empêcher de tomber. Quelle plaisanterie ! Paralysée comme elle l'était, elle ne risquait pas de s'envoler. Elle demeurait là , sans bouger, toute la journée et toute la nuit, depuis des semaines et des semaines, dans un hôpital pour enfants. Elle ne savait plus guère où elle était, tant les heures s'écoulaient monotones, rythmées seulement par le tic-tac d'un gros réveil posé sur une petite table blanche à côté de l'armoire.
À sa droite, un grand parc arboré plaidait pour le bien-être des malades. Elle voyait la cime des arbres onduler quand elle tournait la tête. C'était le seul mouvement que lui autorisait son corps rongé par la maladie.
Elle attendait patiemment la venue de l'infirmière, qui ouvrirait à fond les persiennes et les fenêtres, "pour son bien", disait-elle. La petite grelotterait sans se plaindre au fond de son lit pendant de longues minutes. Puis la soignante reviendrait et refermerait les fenêtres d'un coup sec. C'était comme cela chaque matin.
Cette existence lui était bien pénible et douloureuse. Sa famille ne lui rendait pas souvent visite. "Trop de travail", disaient-ils. Elle restait toute seule à pleurer pendant des heures.
De loin en loin, une aide-soignante l'installait tant bien que mal dans un fauteuil roulant et lui faisait faire le tour du parc, toujours en solitaire. Quelle vie pour une enfant ! C'était le prix à payer pour sa terrible maladie.
Ce matin-là , toutefois, les choses ne se passèrent pas comme à l'ordinaire. Nulle infirmière ne vint ouvrir les persiennes. Pourtant, elles s'ouvrirent en grand toutes seules, dévoilant un soleil rayonnant. Il faisait un temps superbe, une merveilleuse journée de début d'automne. Les arbres étaient encore bien verts sous le ciel bleu azur.
Il sembla à la petite fille qu'elle entendait un rire joyeux. Mais oui ! Une étrange créature venait de se matérialiser au pied de son lit et lui adressait un grand sourire. Qui était-ce ?
L'inconnue se présenta gentiment. C'était la fée de l'automne qui venait l'informer qu'elle avait été choisie pour inaugurer la saison nouvelle. En effet, ce fut bien le cas. Sous les yeux admiratifs de la petite malade, d'un coup de sa baguette magique, la fée colora le feuillage du grand arbre juste à sa droite. Il vira au roux orangé en totalité et en un clin d'oeil ! Ce fut sidérant, la petite était stupéfiée.
Elle pressa la fée de continuer à métamorphoser ainsi tous les arbres du parc. Mais cette dernière, souriante, lui expliqua que ce n'était pas la peine. Les massifs forestiers étaient de vrais caméléons, champions du mimétisme. C'est à qui ressemblerait le plus à son voisin. Ils allaient tous changer de couleur sans que l'on ait besoin de lever le petit doigt.
Elle avait raison. En moins de dix minutes, tout le parc s'était transformé. Du blond, du rouge, de l'orangé, tout cela teintait joyeusement le feuillage. Une vraie palette de couleurs automnales ! C'était merveilleux !
Après un dernier "au revoir" affectueux, la fée se sauva très vite. Elle avait beaucoup à faire en cette saison des artistes. Et la petite fille retomba dans sa solitude. Mais une solitude comblée à présent, heureuse, illuminée par la grâce d'un instant de magie. Elle soupira, ravie, et sombra dans un sommeil profond.
Lorsque l'infirmière vint enfin pour ouvrir les volets, elle constata avec tristesse que la petite était morte dans la nuit. Son âme s'était envolée dans ces premiers jours d'automne, sans bruit et sans chagrin.
Dans le parc jouxtant l'hôpital, les arbres avaient commencé à arborer leur plus belle tenue d'automne, en l'honneur d'une petite fille solitaire et souffrante.
FIN