La compagnie des papillonsEn cette fin septembre, l'automne commençait le long de la rivière. Par chance, cette année-là , il faisait particulièrement doux, des papillons voletaient encore sur les berges et les familles profitaient de cette accalmie avant le froid pour faire de longues promenades.
C'était dimanche, tout le monde était paisible et heureux, les enfants couraient joyeusement devant leurs parents. Un peintre solitaire attira l'attention des badauds. Un groupe se forma devant la toile de l'artiste amateur.
Mais quelle surprise ! Sur le fond légèrement doré peint à la gouache, il n'y avait rien, rien de visible en tout cas. Pourtant, le peintre contemplait sa toile d'un air satisfait, le pinceau en l'air et la mèche en bataille. Les passants, interloqués, se lassèrent vite de cette absence de spectacle et reprirent leur route en ricanant.
Un enfant s'attarda toutefois devant la toile. Il souriait, mais son sourire n'avait rien de moqueur. L'artiste l'interrogea, avec un regard paternel, sur la cause de son bonheur.
Le petit garçon répondit avec un air très concentré que c'était évident, un vol de papillons ne peut être immobilisé, c'était sa présence, invisible et volatile, que le peintre avait suggérée sur la toile. C'était un enchantement, une véritable magie.
L'artiste était ravi, le petit avait tout compris. Oui, cet ultime ballet d'automne, ces papillons gracieux dans leur dernière danse étaient bien là , sur sa toile. C'était leur âme voltigeante et vibrante qu'il avait su évoquer avec sa peinture. L'automne avait des splendeurs de fée et c'était bien cette féerie qui figurait avec grâce sur le chevalet.
L'entente parfaite entre l'artiste et l'amateur de peinture juvénile ne dura pas longtemps. Une maman arriva en courant, jupons au vent. Elle houspilla son petit dernier, haussa ses épaules un peu grasses devant l'oeuvre de l'artiste et s'éloigna en traînant l'enfant par la main. Le peintre demeura seul mais, étrangement, il souriait. La compagnie des papillons porte bonheur, dit-on.
FIN