La plage était déserte, j’avais profité des derniers rayons de soleil.
Les marins avaient relevé les cages emplies de crevettes et autres crustacés, les bateaux étaient rentrés au port. Demain à la criée ils auraient le sourire, message d’une bonne pêche et les touristes pourraient partir à l’abordage des étals sûrs de la fraîcheur de la marchandise.
La nuit caressait l’horizon, camouflant de son long manteau noir les coquillages qui scintillaient peu avant sous mes pieds.
Les étoiles de mer avaient semble-t-il émigré vers le ciel où elles s’accrochaient tel un mirage, pour y briller en grappes de diamants.
Je m’apprêtais à fermer ma portière lorsque soudain mes yeux accrochèrent son regard.
Mon cœur rata un battement tant il me sembla triste. Il tournait en rond, perdu.
Je m’approchais de lui, hésitante, oserais-je l’aborder ? Quel âge pouvait-il bien avoir ? Je n’étais pas rassurée, ce n’est hélas pas l’apanage des enfants d’avoir peur dans le noir.
Il dut sentir mon hésitation car il me tourna le dos et commença à s’éloigner, puis, comme si j’étais son dernier espoir, il s’arrêta, se retourna et me fixa la tête penchée comme s’il réfléchissait.
Mon cœur avait recommencé à battre mais à une allure telle, qu’il me semblait que d’un moment à l’autre il allait sortir de ma poitrine pour s’accrocher à son cou.
J’étais en train de fondre d’amour devant cette beauté sauvage.
Il remonta sur le trottoir où il s’assit sans me lâcher des yeux. Il me scrutait sans retenue et sous ce regard j’avais l’impression de subir un effeuillage.
J’examinais les alentours, le rivage était désert, comme une image un peu floue je ne voyais que les vagues venir s’y reposer, même les mouettes un peu volages étaient parties se coucher, là , un peu plus loin sur les rochers pour lisser leur plumage.
Elles étaient fatiguées de leur journée, comme je l’étais après avoir entendu leurs verbiages tandis qu’elles s’essayaient au pillage de quelques miettes glanées auprès des touristes ou qu’elles effectuaient un torpillage en règle sur les poissons du port.
Il renifla et il me sembla que s’il se mettait à pleurer, ses larmes sortiraient de mes yeux.
Que devais-je faire ? Lui parler ? L’appeler ? Lui faire signe ? S’il décidait de m’agresser personne ne viendrait à mon secours, il n’y avait plus âme qui vive et les ombres de la nuit se faisaient menaçantes, personne n’entendrait le carnage.
Ce fût finalement lui qui prit l’initiative en se dirigeant vers moi lentement la tête baissée, comme pour ne pas m’effrayer et en s’installant dans ma voiture.
Il était maigre et me sembla négligé, je tentais d’ignorer l’odeur peu agréable qu’il dégageait et essayais d’oublier les clivages que l’on fait chaque jour par erreur.
Le trajet s’est fait sans un mot, sans un geste.
Dans quoi m’étais-je encore fourrée ! Ramasser un vagabond en pleine nuit !
Arrivée à destination il s’agita sur son siège comme mal à l’aise, je lui demandais de descendre, de moins en moins sûre d’avoir envie de le faire rentrer.
Mais il balaya tous mes doutes lorsqu’il me regarda de nouveau avec cet air perdu et ces yeux tristes, comme s’il avait compris que pour lui l’aventure risquait de se terminer aussi rapidement qu’elle avait semblée commencer.
Mes dernières réticences s’envolèrent lorsqu’il fît preuve de savoir vivre en attendant sur le seuil que je l’invite à rentrer.
Lorsque la porte se referma, ce fût comme si nous nous rendions tous deux à l’évidence, nous étions faits pour nous rencontrer et… nous aimer.
Ses yeux reprirent vie et pour la première fois depuis notre rencontre, j’entendis le son de sa voix.
Ce n’était ni un gémissement ni un hurlement mais un ouaouf très franc.
Il s’allongea par terre en remuant la queue, il avait gagné il le savait, ce soir il ne dormirait pas dehors…
Pour nous un voyage à deux commençait.
Martine Alliot Miranda
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