La maison des trois amants C'était une girouette de métal, très ancienne, un peu rouillée, qui dominait les toits de la petite ville de Pontdhermé depuis très longtemps.
Juché sur le faîte de l'hôtel de ville vénérable de cette cité médiévale, un coq de métal subissait ainsi pluie et orages depuis des lustres.
Il en avait vu passer des nuages et des édiles, des saisons et des enterrements, des oiseaux migrateurs et des mariages !
Depuis son promontoire, au centre de la grand-place du bourg, son regard pouvait plonger directement dans les salons et les chambres à coucher des maisons bourgeoises.
De même, le défilé des passants et promeneurs en contrebas, les jeux des enfants, les automobiles pressées et les trottinettes rapides avaient rythmé le cours de sa longue vie passée sur le toit de la mairie.
Il savait beaucoup de choses sur la vie des uns et des autres, l'avouable et l'inavouable. Incorrigible bavard, il ne se privait pas pour tout raconter aux corneilles qui hantaient le presbytère voisin ou aux pigeons qui lui rendaient parfois visite en voletant.
Un beau jour, ou plutôt un beau soir, un curieux manège dans la maison voisine attira son attention. Des cris montaient jusqu'à lui depuis la fenêtre, pourtant fermée, du salon. Il vit le docteur P. et son épouse en pleine discussion... animée. Ils se jetaient tout ce qui leur tombait sous la main à la tête. Quelle soirée pour ce couple aisé !
La lumière du grand lustre de cristal mettait en évidence leur face rubiconde et furieuse. Peu après, le coq de métal vit le médecin quitter son domicile en claquant la porte. Il s'engouffra dans son automobile garée sous ses fenêtres et démarra en trombe.
La digne épouse demeura seule. La girouette la vit aller s'assoir devant la cheminée, dans un grand fauteuil Louis XVIII.
Peu après, par une porte dérobée située à l'arrière de la maison, un grand gaillard moustachu pénétra dans la demeure. Depuis son observatoire, le coq voyait tout !
Il rejoignit la femme du médecin dans le salon puis le couple se retira dans la chambre à coucher. Les volets se fermèrent rapidement, ce qui frustra évidemment beaucoup le volatile de métal !
Peu de temps après, le couple se sépara en s'embrassant passionément. Aucun doute à avoir sur leur relation...
Le médecin était donc trompé par son épouse ! Mais les choses ne s'arrêtèrent point en si bon chemin. Cette même soirée vit ce genre de rencontre un peu spécial se reproduire encore à deux reprises. Un barbu à rouflaquettes et un pansu bien en chair se succédèrent en accéléré dans la chambre de la belle dame. Quelle santé !
Enfin, la nuit était tombée depuis longtemps quand la girouette vit le médecin rentrer chez lui, l'air penaud et la mine déconfite. Les réverbères allumés ne celèrent rien de sa honte. Il regrettait sans doute son mouvement d'humeur et sa dispute avec son épouse, sans parler de son retour tardif au bercail.
Mais tout se passa au mieux, la digne épouse accueillit son mari avec la plus vive tendresse et moult embrassades. Tout était pardonné, semble-t-il.
Les volets du salon se fermèrent enfin sur leur parfaite entente. La paix chez soi ! Le malheureux médecin ne sut rien de la folle soirée de son épouse.
Ce n'était bien sûr pas notre coq qui allait révéler tout ce qu'il savait. "Complice d'Éros" était sa devise !
Par ailleurs, sa langue de métal ne s'adressait plus aux humains depuis fort longtemps. Il avait remarqué que ces derniers parlaient beaucoup mais n'écoutaient rien.
FIN
(Sphyria)