La légende des mille soleils


Il y a très longtemps, le soleil s'enfuit, disparut soudainement, on ne le revit plus !

Quelle épreuve cruelle ! Le monde subsista pourtant. Chacun acheta son lot de candélabres, fabriqua ses chandelles avec du suif ou bien du beurre, on vivota sous la clarté avare de lumignons trop frêles...

Quelle désolation et quel mystère enfin ! Pourquoi donc ce départ, cette folle équipée de l'astre généreux ? Nul ne le sut jamais.

Un enfant pâle et doux ne se résigna pas. Il voulait le soleil, le vrai, celui qui brille tant, celui qui nous réchauffe, celui qui ne brûle pas, celui qui nous éclaire...

Il parcourut le monde, frappa à bien des portes, chercha sur les sentiers, dans les cachettes obscures.

Un ver luisant lui parla, la Lune le calma, lui offrant une verveine, et l'employé du service des lampadaires lui tendit un mouchoir pour éponger ses larmes.

Mais de soleil, point. Autour de lui, les cheminées crachaient, les carrioles cahotaient, les sages bredouillaient.

Mais de soleil, toujours point. Un soir (qui se confondait tout à fait avec le matin, à présent), il lui vint une idée.

Il allait escalader la plus haute montagne de la contrée et là, sur le sommet, il allait interpeller les nuages, brusquer les étoiles, clamer sa peine et son désarroi, appeler le soleil !

Ce qui fut dit fut fait. Le voilà escaladant la côte, suant et pestant contre les cailloux rebelles qui entravaient sa marche.

Petit à petit, il s'éleva dans les airs, dominant la vallée, les foyers clos aux cheminéres fumantes. L'air était si pur dans les hauteurs !

Juché bientôt tout en haut de l'éminence, utilisant ses mains comme un porte-voix naturel, il cria très fort pour réveiller le ciel tout piqueté d'étoiles qui s'endormait déjà.

Toute la nuit, il hurla sa souffrance et son refus de l'éternelle absence. Il voulait le soleil, il avait faim de sa lumière, de ses rayons.

Au matin, la gorge abîmée par tant de clameurs dans ce désert, il se rendit compte que sa salive était constellée de gouttes écarlates.

Il avait tellement crié, tellement pleuré, que son organisme criait grâce. Le sang perlait dans ses larmes.

Il connut alors, non seulement la souffrance, mais le désespoir le plus profond. La nuit restait sourde à ses clameurs. Les ténèbres l'environnaient pesamment.

La nuit avait gagné, l'amour avait perdu. Il se résigna au silence. C'était la fin. Il tenterait de redescendre bientôt dans la vallée. Ce qui était jadis l'aube approchait.

Soudain, comme il tournait tristement les talons, il lui sembla qu'une étrange lumière était apparue.

Mais oui, le premier rayon du soleil, vif et clair, frémissant de vie et d'impatience ! Un autre le rejoignit, puis un autre. Le sommet s'illumina. C'était l'aurore qui renaissait.

Le soleil était revenu ! Ses cris avaient été entendus, la malédiction était levée, le soleil resplendissait à nouveau.

Un autre soleil dansa à côté du premier, puis bien d'autres, peut-être un millier ! Le ballet des mille luminaires dura un long moment, prodige merveilleux.

L'enfant, au comble de la joie, assista à ce spectacle donné rien que pour lui. Les mille soleils s'unirent enfin et l'unique astre du jour resplendit dans sa gloire.

Le soleil rayonnait pleinement au milieu du ciel. Il était presque midi.

Dans une lumière infinie et vibrante, l'enfant mage regagna doucement le monde des hommes.


FIN

Sphyria