BONNE PĂŠCHE 2
JANDA. LE RETOUR
Norbert se retourne lentement. Cette voix ? Il dévisage l’inconnu attablé en terrasse à quelques pas de là . Le mec quitte ses ray-ban et se lève en souriant. Un flash. Janda, pas possible! Ils s’étreignent : émotion virile, grandes claques dans le dos. Nono commande deux anis. Il faut bien ça pour digérer la surprise.
? Bon sang, Pierre, ça fait au moins dix ans ! Et l’autre, rigolard :
? Quatorze chef, quatorze ! »
Les souvenirs reviennent en une marée furieuse, évoqués dans un jeu de ping-pong : tu te rappelles ci ? Et quand on a fait ça ? Intarissables. C’est qu’ils en ont à raconter.
Pierre Jandalby et Norbert étaient ensemble à la fac de droit. Une amitié spontanée les a immédiatement rapprochés. Une complicité naturelle. Un fameux duo, avec quelque chose de spécial. Une ressemblance telle que leurs camarades ont été longtemps persuadés qu’ils étaient frangins. Pas de quoi se tromper à l’usage, mais assez pour générer de plaisants quiproquos. Et tout y passe : c’étaient de fameux trublions, partageant galères et bonnes fortunes. Sylvia, Adeline, Maddy et bien d’autres, partagées ou rivales. Les soirées arrosées, suivies de virées tapageuses et de nuits chaudes. Les manifs et manifestes pour ceci et contre cela ; à l’occasion, la castagne ! Toulouse, quoi.
Quelques pastis plus tard, quand le flot se ralentit provisoirement, ils décident de poursuivre en déjeunant. Nono propose un resto prés du marché Victor Hugo, où ils seront à l’aise pour discuter.
Nous les y retrouvons, attaquant vaillamment un menu de circonstance : Foie gras, confit de canard, arrosés de Pacherenc et de Madiran.
Bon, chapitre suivant : après la licence, pourquoi on s’est perdus ? Banal tout ça. Aussi forte qu’ait été leur amitié, leurs projets divergeaient. Les métiers de la police pour Nono. Janda, c’était l’armée, ou plutôt certains services de l’armée. Car il n’avait pas tout dit, le bougre. Il avait été contacté lors de séances d’information de la DGSE dans les années fac, pour surveiller la cocotte-minute universitaire. L’œil de Moscou dans la chapelle des ultras de tout bord agitant le campus. Il a poursuivi dans cette voie. Après un temps de formation au renseignement, il devient collaborateur d’un attaché militaire d’ambassade. Diverses affectations à l’international sur lesquels il reste discret ; un reste de déformation professionnelle sans doute. Un corollaire à tout ça : couper les ponts avec son entourage.
? Ah, je comprends mieux maintenant, j’ai bien essayé de te relancer, mais tu t’étais évaporé ! Après j’ai renoncé. J’avais d’autres chats à fouetter. T’es quand même un sacré faux-jeton.
Nono, lui n’a rien caché de ses activités.
? Finalement, on a suivi des chemins quasi parallèles, renseignements et enquêtes. Mais je suppose que c’est terminé tout ça, sinon tu m’aurais bourré le mou avec une autre histoire.
? Exact, mon cher Watson, j’ai laissĂ© tomber depuis trois ans, assez volontiers, on n’a pas toujours la baraka. Un hĂ©ritage pas prĂ©vu mais consĂ©quent ; de quoi me consacrer Ă mon loisir prĂ©fĂ©rĂ©Â : la mer. Tel que tu me vois, je suis dans la navigation de plaisance : sorties en mer, croisières Ă la demande, convoyage. Entreprise et bureaux Ă Port-la-Nouvelle. J’ai en propre un gros catamaran ; j’ai tout investi mais ça roule.Â
Ils en sont au dessert : Le pastis gascon arrosé d’armagnac est croustillant et parfumé. Un délice. Repus et relax, ils savourent l’instant en silence dans une demi-torpeur. Au moment du café, Nono laisse filtrer quelques allusions à ses états d’âme, puis s’enquiert :
? C’est super qu’on se soit trouvĂ©s, mais qu’est-ce que tu fabriques Ă Toulouse, moun camin?Â
? BĂ©nissons le hasard, mon Fils, car je suis venu prendre en charge le bateau d’un client : Convoyage jusqu’à Sète par le canal du midi. Trois jours pĂ©pères de tourisme. L’utile Ă l’agrĂ©able, j’ai des contacts Ă voir a Castelnaudary et Carcassonne. Je pars demain tĂ´t. Mais j’y pense, ce serait super, tu peux ĂŞtre du voyage. Ça te dit ?Â
Nono hésite, visiblement tenté, puis décline : trop de choses à régler encore pour être totalement disponible. Janda semble contrarié, il propose de rester en contact et insiste :
? Mais tu viendras me voir Ă Port La Nouvelle. On se fera une petite sortie en mer. Vraiment, ça me ferait plaisir.Â
Norbert est sensible à l’invitation, il promet, dés que possible. Ils échangent cartes et numéros de portable. Le duo de la fac serait-t-il en train de renaître ? Qui sait. La conversation s’étiole sur des anecdotes marines et autres lieux communs. C’est le moment de prendre congé. Chacun repart vers ses occupations. Tout pourrait en rester là , mais ce ne sera pas au programme.
Dans les jours qui suivent c’est gamberge à plein temps. Reclus à Castanet, Nono ressasse : Monter une agence, c’est lourd et ça implique des associés et du personnel vacataire. Des soucis en plus et la liberté en moins. D’ailleurs les quelques contacts pressentis ne l’enthousiasment pas. Ménard et Pariani, des retraités de la Maison, qui ont rendu service très ponctuellement, ne lui semblent pas être des flèches, mais bon. Quant à Archie Massonian, privé comme lui et spécialisé dans les affaires d’alcôve, il pourrait faire un associé à la hauteur. Mais avec les dents longues et tôt ou tard la tentation de le doubler. Non, décidément, trop l’habitude de bosser en solo. Il faudra qu’il trouve autre chose. Sa décision est prise, comme une évidence : il va s’octroyer un trimestre sabbatique, le temps de réfléchir tranquillement.
Soirées en boite, quelques virées extramuros, il en est au même point : pas moyen de s’extraire du marais des indécis. Besoin d’air. Finalement, il appelle Janda. Là , il tient un vrai break. Une chance, il l’a direct au portable. Oui, super vendredi matin tôt, ça te va ? Aléa jacta est, mais lui n’en sait rien.
Pierre
A suivre
Parceval