BONNE PĂŠCHE 5
DÉPART
Il est trois heures un quart et la circulation est relativement fluide sur l’autoroute. Enfin, si l’on excepte les sempiternels convois de camions qui squattent la file de droite et jouent à se doubler dés qu’un faux-plat se présente. La bretelle Béziers-est est passée. Dans la cabine du fourgon Renault décoré de logos publicitaires, Norbert somnole. Il est dans un état second qu’il connaît bien, chapitre planque et filatures. Une partie animée en mode automatique qui répond avec répartie aux blagues diverses et avariées, et autres anecdotes croustillantes du chauffeur, et l’autre qui anticipe les jours à venir avec un parfum d’école buissonnière. Iodé, le parfum. Ah, voila la sortie Agde, la prochaine est la bonne. Le ciel est clair. Coté mer des halos colorés soulignent le cordon littoral. On devine la mer.
Ça ne s’est pas tout à fait goupillé comme le souhaitait son copain. D’abord parce que le train de nuit sur Sète, il a du le rêver. Au mieux le soir, arrivée vers vingt heures. Carton jaune, Janda. Et quand il lui a proposé de venir la veille ou en voiture, ça l’a contrarié.
? On ne peut pas partir de jour, ou avant, ou après ?Â
? Non, j’ai des contraintes serrĂ©es et un planning de ministre. D’ailleurs, j’arrive Ă trois heures… La bagnole, je rĂ©pète, c’est risquĂ©, et les hĂ´tels en juin le week-end, c’est complet mĂŞme les formules et autre premiers.Â
Mais c’est qu’il serait chiant le Janda. Qu’est-ce que ça peut bien lui faire de décaler un poil ! Bon, on va voir à calmer le ronchon. Une idée à creuser : Le covoiturage et il a le temps de chercher.
Et Nono a trouvĂ©Â : Un commercial qui fait Toulouse-Nice dans le crĂ©neau. Ils ont fait affaire rapidement devant un demi au cafĂ© de la gare. Le mec est sympa et n’aime pas faire la route seul. Il partira un peu plus tĂ´t, c’est tout. Avec un biffeton de cinquante, on fait un effort : Allez, Ă samedi !Â
Le péage. On longe l’étang, Balaruc et bientôt la gare, un tour de rond-point, il débarque son bagage, remercie son taxi. Tchao, à la prochaine ! Changement d’ambiance, pas un chat, le calme. Ouf, il lui a mis la tête comme un cabanon, le cornac.
Arrivé pile poil à l’heure dite ! Pas le temps de prendre son portable qu’une 4L pourrie qu’il a déjà vue, s’arrête. Pierre devait l’attendre pas loin. Accolade, congratulations, on charge et zou, le pont de la gare, direction le port. Ils longent le vieux canal, où déjà les pêcheurs commencent à s’installer pour traquer les dorades qui entrent ou sortent de l’étang de Thau.
Tout au bout, le môle Saint Louis. Les bateaux de plaisance sont sagement alignés à quai. Janda se gare. Dés lors c’est la petite musique des gréements qui sifflent et cliquettent car il se lève une petite tramontane. On pose les bagages sur un chariot pliant.
 ? Qu’est-ce que tu vas faire pour ton char ?Â
 ? C’est un gars Ă moi qui va le ramener Ă La Nouvelle. C’est lui qui Ă prĂ©parĂ© et approvisionnĂ© le bateau.Â
Et quel bateau ! Ils sont arrêtés à la poupe d’un gros voilier ventru qui doit faire pas loin de dix mètres, avec un roof conséquent, et un gréement robuste. Pas vraiment taillé pour la course, plutôt pour une confortable navigation autant côtière qu’hauturière. Il affiche en caractères de laiton brillants : « PEGASUS – Limassol ».
Janda raidit les amarres et tire une petite passerelle. Ils peuvent embarquer avec leur barda. Le roof est spacieux, accueillant, confortable, et avec la lumière. Tel qu’il se présente, on doit pouvoir naviguer à six sans problème. Quatre bannettes en deux pseudo-cabines, plus les banquettes du poste-salon à l’avant. Les commodités, un coin cuisine. Les placards, le frigo et le petit bar sont bien garnis. Packs d’eau et autres boissons. Aux petits oignons. Super et nickel.
Les sacs à peine posés qu’ils sont au local technique. Bigre, un moteur Volvo in-board de cent chevaux rutilant plus un hors bord Yamaha de vingt-cinq en secours. La bête démarre au quart de tour et ronronne sagement. On va appareiller illico !
? Ho, Pierre, il y a le feu ?Â
? Non, mais je prĂ©fère partir avant l’aube, c’est plus tranquille.Â
? Tu sais quoi, j’ai l’impression qu’on nage en plein roman noir ; on file Ă l’anglaise. T’es sĂ»r d’avoir bien planquĂ© la came ?Â
Ricanement puis fou-rire. Sur les instructions du capitaine, Norbert se porte à l’avant et décroche le câble de la bouée du corps mort, puis il va larguer les amarres du quai. Le bateau déhale de son poste, vire et prend lentement le chenal qui mène à l’eau libre.
Ils croisent un petit chalutier côtier qui rentre. Salut ! Salut ! Passé les balises du bout de la jetée, on met un peu plus de gomme, cap plein sud. Leur départ est on ne peut plus discret. Il fait frisquet au premier souffle de la brise de terre. Le ciel commence à pâlir à l’est. Il est cinq heures.
Le PĂ©gasus
Cap au large...
A suivre
Parceval