BONNE PÊCHE 9
ENTRACTES
Conformément à ses vœux, le soleil s’est bien levé. Il déguste un royal petit déjeuner en salle, largement ouverte sur la baie Saint-Paul. Un coup d’œil discret mais panoramique sur les convives matinaux ne lui livre rien qui puisse l’inquiéter. On retrouve l’échantillonnage traditionnel de la clientèle des îles touristiques de Méditerranée : Pour une bonne moitié des retraités regroupés souvent en grosses tablées, quelques jeunes gens, des ‘novis’, et le bataillon des Trente-quadras-quinquagénaires venus là prendre du bon temps. Bandes d’amis, croisiéristes, petits groupes qui se forment le temps du séjour. Ambiance conviviale et bon enfant, animée en tous les cas. Les conversations vont bon train. On rit, on s’interpelle, on se congratule, mais pas de cacophonie. Et pas de solitaire, à part lui. Pour ne pas se faire remarquer, il lui faut s’intégrer et se trouver rapidement de la compagnie.
Ouvrir l’entracte, profiter de l’instant présent, en ne gardant de Norbert privé que ‘l’œil du chat qui dort’. De toute façon, a-t-il le choix, à part celui d’attendre un signe ou un contact d’ici le 27. Objectif number one : faire connaissance, nouer des relations avec deux-trois personnes sympathiques. Ça ne devrait pas être très difficile à l’occasion des repas, activités et excursions proposées à l’envi. Et deuxio, essayer la carte de crédit de Pierre, avec les chiffres pressentis, comme mis en évidence pour qu’il le fasse. Il va rapidement être à sec de liquide et il ne peut pas utiliser la sienne, sauf à se signaler. Bon, si ça ne marche pas, il se rabattra en écornant le paquet mis au coffre.
Matinée à la piscine. Il suit, amusé le jeu de quelques Adonis qui roulent les mécaniques devant la gent féminine, bien représentée ma foi. Sourires, salutations, plongeons, brasses dans la fraîcheur du bain vert turquoise. Pas de chance les mecs, la plupart de ces dames sont ‘en main’ et c’est râteau sur râteau. Avant l’heure de déjeuner, promenade sur le mail, on s’extasie devant la beauté du site, mais sorti des banalités, pas vraiment de contact. Il commence à faire chaud. Il remonte se refaire tout neuf et cap sur la salle de restaurant climatisée.
C’est archi plein. Il y a eu un arrivage ce matin, petits contingents débarquant des minicars venus de La Valette. On peine à le placer en solo, finalement coincé entre un pilier, une plante verte exotique et une tablée de quatre, essentiellement féminine. Il rejoint la foule au buffet des entrées.
C’est vraiment la cohue. Quand il lui faut rejoindre sa plante verte, il calcule qu’il va devoir faire lever une demi-douzaine de convives, sans compter deux de ses voisines. Celles-ci l’observent louvoyer d’un œil amusé. Lorsqu’il arrive à leur hauteur, elles l’interpellent gentiment :
? On vous a mis au piquet ?Â
Il répond avec une grimace navrée :Â
? J’en suis à me le demander. Que se passe-t-il, on dirait une invasion.
Elles sont trois, apparemment deux sœurs et une amie: deux crinières blondes et une brune. Trente-cinq, quarante carats.
? Il serait peut-être plus simple que vous fassiez le quatrième à notre table.Â
? Je ne voudrais pas abuser… Blabla… blabla.
En fait il est enchanté de cet incident. Voila le contact qu’il souhaitait. Sans compter qu’elles sont avenantes les nanas. Et bien sur il se retrouve attablé en charmante compagnie. Sans se lever, elles récupèrent son couvert et le lui font passer. Youpi ! Et ouf.
Présentation sommaires : Pierre Jandalby, et vacances ; Henriette et Eléonore Lorédan, en vacances, comme Laure Monestier, pour une semaine. Une conversation bon enfant s’engage, mais réduite au minimum légal. Il faut carrément crier pour s’entendre dans le brouhaha ambiant. Le service est débordé. Le repas s’éternise. La bonne humeur résiste.
? Espérons que ce n’est pas tous les jours comme ça.
Quand enfin, ils expédient dessert et café, et que ça se calme un peu, un serveur les rassure :
? Non, tous ces gens ne sont pas des ‘résidents’.
La maison présente ses excuses. Ils ont été pris de court : un tour opérator a eu un problème et ils ont du accueillir deux autobus d’excursionnistes.Â
? Pour nous faire pardonner, nous organisons un cocktail ce soir à dix neuf heures.
Ils aiment mieux ça ! Bien, chacun va pouvoir reprendre le cours de ses ‘activités’.
? J’espère avoir le privilège de vous retrouver ce soir, mesdames ?Â
Sourires.
?Avec plaisir, Monsieur Pierre.Â
Le cocktail permet de faire plus amplement connaissance. Henriette et Eléonore Lavéran sont kinésithérapeutes. Elles exercent à Lyon-Fourvière en cabinet privé doublé d’une salle de sport. Laure Monestier, elle, tient une librairie quartier Saint-Jean. Elles se connaissent depuis l’enfance. Et Pierre ? Ah oui, Pierre, voyons, voyons : gestionnaire d’une société de services, à Toulouse, ça sera très bien.
? Malte, c’est la découverte ? Pour moi aussi. Vous avez vu le programme proposé et les fiches de l’hôtel ?
Norbert-Pierre est d’une agréable compagnie. C’est tout naturellement qu’ils dînent à la même table. Pourquoi est-il seul ? Il devait venir avec son copain Norbert, mais il y a eu un os au dernier moment. Une promenade sur le mail pour goûter l’air du temps les retrouve tels de vieux amis pouffant aux anecdotes savoureuses des unes et de l’autre. Eléonore propose tout de go :
? Pierre, on va faire un deal, vous allez être notre cerbère pendant le séjour, ça nous évitera le baratin des Casanova de service. C’est reposant d’avoir un compagnon qui ne fait pas du rentre-dedans. OK ?
L’intéressé se marre :Â
? Vous m’attribuez bien du mérite, gentes dames, mais c’est entendu je serai donc votre chevalier… De Malte !Â
On tope en riant. Retour au Bellavista. Allez, Ã demain, bonne nuit.
Le lendemain, conférence dans le salon, à grand renfort de dépliants. Il s’agit de concocter un semblant de programme. Pas trop chargé, il faut laisser une large place aux envies du moment : baignades, bronzage, jogging, sieste, sorties by night. ‘Quando caliente el sol, aqui la playa’. A l’humeur de chacun.
A suivre
Parceval