BONNE PĂŠCHE 18
MIC-MAC
Albin informe sa hiérarchie et, sur ordre, oriente le rôti froid vers l’Institut Médico-légal de Marseille ; un divisionnaire sera là demain pour l’interrogatoire. Lui réserver le portable du suspect. Il est un peu surpris de cette procédure peu ordinaire. Lui ôterait-on les fruits de sa perspicacité ? Il ne se laissera pas faire. Ça le conforte dans l’idée qu’il tient une grosse affaire et se gonfle d’aise.
Ange, après quelques heures passées à protester qu’il n’est pour rien dans cette histoire, de crier au scandale et la persécution, exige et obtient (c’est la loi) le support d’un avocat. Pas celui commis d’office. Non. Il demande Maître Pelard du barreau d’Aix. Le Maître est là une heure après, informe son client de ses droits, et indique qu’il considère la mise en garde à vue comme abusive. Il sera présent demain pour assister à l’audition prévue. Un discret clin d’œil à Dano et le voilà parti. On aura compris que Jean Pelard est, accessoirement, l’avocat attaché à la DST pour la région.
Bon, l’hôtel n’est pas très confortable, mais on en a vu d’autre, pas vrai ?
Le jour se tire ; Ange a quand même eu droit à un sandwich et un café. Il est le seul client du palace ; la permanence taille une bavette en sourdine et l’ignore. Étendu sur son bat-flanc, la tête sur l’oreiller pardon, le K-way en boule, il profite de son séjour monacal pour réfléchir à la situation. Chacun investigue : la PJ sur son cas et sur le mec qui n’a pas eu de chance ; et le Service de son coté sur le qui, pourquoi et comment.
Les yeux mi-clos, il entame la revue. D’abord éliminer tout ce qui peut être fortuit : le corps était bien attaché au câble. Son câble. Donc, il y a là un message fort qui lui est adressé, ou, à travers lui, à ce qu’il représente. Attention terrain miné. On peut bien sur émettre des hypothèses, mais toutes dépendent pour beaucoup de l’identité du « noyé ».
S’il s’agit d’un gars lambda ou d’un petit malfrat, il est identifié comme un indic. On veut l’impressionner et lui montrer qu’il est grillé. Ouais, mais il y a d’autres façons plus radicales de lui nuire : agression, brûler le bateau, la voiture, ou carrément un contrat. Le mouiller dans le meurtre du « noyé » ? Faudrait compléter avec des éléments à charge déposés là où il faut genre argent, came, armes… Sur cette piste, on sera fixé demain.
La deuxième hypothèse qui lui vient à l’esprit est plus complexe, car elle touche à ses activités d’officier de renseignements et là , tout est possible ; surtout si l’identité du défunt se rattache de près ou de loin à ce milieu. Le type aurait mis les pieds hors des clous ? Une entourloupe interservices ? Ça s’est déjà vu. Mais pourquoi moi ? En tout cas, le résultat des courses, c’est que son séjour sur la côte va se terminer rapide. Il va disparaître, vivant de préférence.
Putain, dix ans, il s’était bien habitué, même si ponctuellement, ce n’était qu’une base arrière. Et sa copine Bénédicte. Oui, Bénédicte. Depuis qu’il vaticine elle a été constamment là , en filigrane. Bon sang, cette affaire peut lui apporter des ennuis, voire la mettre en danger. Il se rend compte soudain à quel point il tient à elle, au delà du raisonnable, vu son métier. Il n’a rien vu venir, ça n’aurait jamais du arriver. Faire le max pour la protéger… A partir de demain.
Cette fois c’est dit, s’il se sort indemne de cette histoire, il rendra son tablier. C’est une prise de conscience aiguë : quinze ans de baroud et dix de veille et de missions, ça commence à bien faire. Déjà , perdre Bénédicte, ça va laisser des traces ; des crevasses, oui. Il est grand’ temps de se forger un avenir où il pourra se « poser » ou du moins, car on ne démissionne jamais complètement, il ira planter ses choux loin d’ici en tant que « dormant ». En attendant, question sommeil, il repassera : ça le turlupine toute la nuit.
A dix heures, maître Pelard est là , les Marseillais aussi. Rudel et son chef ont l’air un peu ennuyés. Pour cause : l’enquête diligentée n’apporte rien qui puisse impliquer Ange dans l’homicide de l’inconnu; les premières constatations du légiste établissent qu’il a été occis entre minuit et deux heures. Les différents témoignages recueillis retracent sans ambiguïté l’emploi du temps du « suspect » et sa présence chez lui de dix heures à cinq heures hier.
Paradoxalement ce sont les déclarations d’Ange qui viennent corroborer les infos recueillies. Miraculeusement précises, les réponses aux questions : vous comprenez, monsieur le commissaire, hier j’étais très perturbé et énervé par cette histoire qui me tombait dessus ; et l’inspecteur Rudel qui voulait absolument me faire endosser le meurtre de je ne sais qui. A propos d’ailleurs, qui c’est ce mec ?
Maitre Pelard s’en donne à cœur joie, dénonce avec virulence l’ac harnement de la police locale en l’absence de tout élément chargeant son client et justifiant sa garde à vue. Il exige et obtient sa libération séance tenante.
Pendant qu’il récupère ses objets personnels, Ange échange un regard complice avec Jean Pelard. Oui, ils aimeraient être petites souris et assister à ce qui se passe dans le bureau voisin. Ça vole bas :
? Comment c’est pour ça que vous nous dérangez ? Rudel, ou vous êtes idiot, ou vous avez un contentieux avec ce lascar. Dans les deux cas, il serait préférable que votre hiérarchie vous rappelle un certain nombre de principes! Le hiérarque concerné se confond en excuses et foudroie du regard son inspecteur, qui voudrait bien être ailleurs. Plus que jamais convaincu qu’on s’est fichu de lui et qu’il y a du pas clair là -dessous.
Sortis du commissariat, le ton est tout autre entre nos deux compères.
? Bon, tu rĂ©cupères ta barcasse et tu rentres. Ça ne sent pas bon du tout et on s’agite en haut lieu. L’inconnu pas connu est un mec de la Piscine ; pas n’importe qui. Je te conseille de prĂ©parer ton « dĂ©part » rapide genre quinze jours de repos en Normandie pour oublier tout ce fourbi ; je te fais confiance pour tout organiser. Rendez-vous samedi oĂą tu sais, j’aurai les derniers Ă©lĂ©ments. Je parie que le big boss sera lĂ , avec des instructions.Â
? Ok, ok, j’y ai déjà pensé. Juste une chose, ma logeuse, je ne voudrais pas qu’elle ait des ennuis, tu peux faire discrètement le nécessaire ?
? HolĂ mec, tu ne me caches rien ?Â
? Si, cherche pas, j’y tiens. »
Là , ils se sont compris. Ces deux sont compagnons d’armes, liés par une amitié rare dans ce milieu, forgée quand ils risquaient leur peau. Au terme de la guerre des Balkans, alors qu’ils avaient vocation à poursuivre leur carrière a la DGSE, ils se sont débrouillés pour être détachés à la DST.
A suivre
Parceval