BONNE PÊCHE 24
FINIES LES VACANCES
Quinze heures. Le bar de la guinguette. Sur le sable, deux transats orientés vers la mer, séparés par une table basse où des demis frappés font de la buée sur les verres XL. Un grand parasol derrière dessine une ombre efficace. Elle n’est pas belle, la vie ? Les deux clampins qui paressent là contemplent la ligne d’horizon à travers leurs verres teintés, et leurs orteils en éventail.
? Bon, résumons-nous, soupire ‘Bastien’, tu es toujours dans la merde, mais aujourd’hui tu surnages…Â
Ils ont déjeuné tantôt, et, au cours des moments de discussions anodines et presque détendues, ils ont pu se jauger. Se sont trouvé pas mal de points communs et un état d’esprit assez proche. Normal, leurs cursus respectifs montrent quelques similitudes. D’où le tutoiement et la décision d’Ange : Il va briffer Norbert à minima et assurer sa collaboration ‘spontanée’.
Nono opine après une gorgée de mousse glacée.
? Et pourquoi donc ?Â
? Je m’en vas t’expliquer, Sherlock à la manque… D’abord, désolé mais ton ‘copain’ Pierre ne viendra pas, si tant est qu’il devait venir. Il est tombé sur un os, sans doute du coté où il ne l’attendait pas. Il dort au frais à Marseille.Â
L’autre accuse le coup, un instant de silence. Janda, mort. Même avec leur contentieux, difficile à avaler. Ange comprend, il ajoute :Â
? Tu peux lui laisser le bénéfice du doute. Peut-être qu’il aurait fini par te mettre au parfum de sa combine ou du bobard préparé pour te calmer. Peut-être pas. Qu’il ne s’agissait pas d’une menée crapuleuse mais d’une affaire relevant du cadre de son activité de renseignement en free-lance. Peut-être pas. Paix a son âme. En tous cas, je confirme la pertinence de ton analyse. Certains points ont déjà pu être vérifiés. Nous allons nous employer à remonter tout ça. Enfin plutôt toi. Je peux y compter ?Â
? Ben oui, tu me laisses le choix ?Â
? Ouais, tu peux choisir, la seule chose sure, c’est que ce n’est pas toi qui a refroidi ton pote, question de date. Reste quand même l’usurpation d’identité, le recel et les broutilles ; ennuyeux, non ? Mais on n’est pas obligés d’en parler, cher camarade. Ça ne t’intéresse pas d’enquêter pour nous sur les dessous de cette histoire ?Â
? Oh, que si, que si.Â
? Alors tu vois ?Â
? Oui mais j’y mets une condition…Â
L’autre hausse le sourcil, interrogateur.
 ? Je veux une chemise à fleurs comme la tienne, pour le carnaval.Â
? T’es quand même gonflé, mec, ça ne fait pas vingt-quatre heures qu’on se connaît et déjà tu veux ma chemise ? Bon, tope là . Hilares, les compères.
Ça change du tout au tout pour Nono. Le chewing-gum qui collait à ses semelles n’est plus qu’un souvenir. Même dans ce cadre contraint, il est dans l’action. Compte tenu des éléments apportés par Norbert ses propres entrées et instructions, voici ce que propose ‘Bastien’, dans l’immédiat :
On s’en tient au programme initial du faux Pierre. A savoir, rester au Bellavista jusqu’au 27 ; départ pour la Sicile par le ferry de Pozzalo. A partir de Pozzalo, Pierre disparaît et c’est Bacqueyrou qui passe sur la botte et rentre chez lui par le train. Pourquoi rester ? Il n’est pas impossible qu’un contact se manifeste, soit pour endormir le figurant avec une fable vaseuse, ou simplement récupérer le fric. On ne peut pas éliminer non plus un contrat.
Faudra veiller au grain. ‘Bastien’ se perfectionnera à la pétanque en gardant l’œil ouvert et ne sera jamais bien loin, et ce, jusqu’à Pozzalo. C’est lui qui récupérera les fafs et le bagage de Jandalby, avant le break.
? Tu régleras le séjour avec la carte de Pierre. Et l’enveloppe ? Quelle enveloppe ? Apparemment c’est un dédommagement pour services rendus, même involontaires. Je ne suis pas du fisc, moi. Tu en fais ce que tu veux. Chui pas au courant. Et comme ça tu pourras bosser « gratis » pour nous quelques temps. En attendant, prudence et circonspection.
A part des mini-bombes aérosols et un couteau de plongée, ils n’ont pas de biscuits de self-défense autres que leur poings. Lorsque Norbert sera rentré chez lui, Bastien (ça sera toujours Bastien) reprendra contact avant un nouveau briefing.
Donc, l’équipe de pétanque de Pégomast hérite d’un entraîneur de première et s’illustre dans le tournoi, et quelques regards féminins accompagnent en soupirant un joggeur solitaire.
Le 27, départ pour le terminal du ferry de Pozzalo, avec armes, bagages et enveloppe. Rien de notable ou de fâcheux n’est intervenu, traversée comprise. Au débarquement, Norbert récupérera les bagages de Norbert, et l’homme au catogan et à la chemise bariolée qui par hasard le suivait récupère celui de Jandalby. Break. Messine, Naples. Escale à Rome, retour ferroviaire avec changements prudents. Le 29, Norbert Bacqueyrou rentre à la maison. Avec un certain plaisir. Quelle histoire !
Ouf,ouf,ouf! Norbert respire mieux. Mais ensuite?
A suivre