BONNE PĂŠCHE 26
TRACES
Norbert entame sa quête dans l’après-midi même. D’abord Toulouse : Bon, ce n’était pas qu’une impression, avant de l’aborder, Janda l’a bel et bien pisté. Il fait le tour des ports pour cette histoire de convoyage sur le canal. Port Saint-Sauveur, Ramonville, Ecluse de Negra, jusqu'à Port Lauraguais. En cuisinant les gestionnaires et éclusiers, il peut recouper l’arnaque. Le convoyage d’une vedette a bien été effectué au départ de Port Saint Sauveur, le jour dit, par un type correspondant au signalement (… Ouais, un huit mètres, l’Albatros ; c’est drôle, je dirais qu’il vous ressemblait…) A part qu’il a passé la main à quelqu’un d’autre aux écluses de Négra. Sans doute parce qu’il n’était pas du voyage. Édifiant, non ?
Un saut chez son coiffeur préféré. Il en ressortira les cheveux blond filasse. Puis au garage de Ramonville, qui le fournit habituellement en voitures de location : ce sera une 208 grise passe-partout, nom d’emprunt. Le lendemain, de bonne heure, en route pour La Nouvelle. Au volant un mec bien trop bronzé, mal rasé, casquette Real de Madrid, lunettes hyper fumées, bermuda et knickers. Panoplie du vacancier en goguette. Muni de l’attirail discret des gadgets capteurs de son et d’images du fouineur patenté.
Sur place, il établit son QG dans un troquet proche du portique et du quai des sorties en mer. Le catamaran est au large, session pêche. C’est la pleine saison : sortie halieutique le matin et promenades l’après-midi, c’est écrit. Il a repéré une 4L déglinguée bien connue garée tout près de là , et, dans clientèle haute en couleur du bistrot, logé rapidement le gars qui va avec. Attablé devant un petit jaune, des amuse-gueules et le canard, il est visiblement en attente du retour du voilier.
Il amorce en jouant les touristes intéressés par la pêche en mer et la croisière. Pour un groupe.
? J’aimerais bien, qui peut me renseigner…Â
C’est le patron qui l’oriente :
? Oh, Fernand, je crois que tu as un client !
L’homme l’invite à s’asseoir. Une tournée plus loin, la glace est rompue et ça discute ferme. Très instructif.
Oui, ils ont plusieurs bateaux. Une activité de maintenance et services pour la plaisance. Le chantier au bout du quai, là -bas où y a la grue. Entretien, hivernage, convoyage, etc, etc… On fait à la demande, sorties pêche au gros, à la journée ou en croisière, du golfe du Lion jusqu’aux Îles d’or, même les Baléares et la Costa Brava, on a des associés.
? Eh bé, vous voulez en savoir des choses….
? Ben, on est une bande de copains au camping et on cherche à organiser une big sortie en mer. Moi c’est un ami qui m’a parlé de sa journée. - Patron, vous nous remettez ça ? - Il a été emballé. Il s’est vraiment régalé. C’était à mi-mai je crois. En plus, il lui est arrivé un truc pas possible. Il ressemblait au skipper comme un frère. Comme quoi on a toujours un sosie quelque part…
? Ah oui, maintenant que vous le dites, je m’en souviens, je les ai vus. Mais le patron ce n’est pas lui, c’est René. En fait il était à bord en touriste à jouer les pescadous. Pas blasé, pourtant depuis le temps. Pierre, c’est juste un associé qui collabore depuis trois ans aux activités. Même que le soir, ils en parlaient. J’ai pas bien saisi : « Il fera l’affaire » ou « ça, il faut le faire »
? Bon, on va cogiter une sortie au gros avec les potes du camping. Merci des tuyaux. On va sans doute se revoir bientĂ´t.
Ils se lèvent et Fernand, suivi de Nono, va prendre son poste pour l’accostage du Corégone.
Bonne pêche, tout est dans la boîte. Il profite de la manœuvre pour reprendre sa Peugeot. Trouve un endroit discret pour se changer : ça sera genre routard jeans douteux et sac à dos. Un sandwich, une bière et l’après-midi sera employée à cerner l’entreprise et ceux qui y travaillent. En badaud curieux des choses de la mer. Les bureaux, le chantier, les hangars. Ils sont apparemment six, secrétaire-hôtesse comprise (Y aurait-il de l’embauche ? Non, on a tout ce qu’il faut.)
Les deux bateaux à quai : Pas des voiliers, de belles bêtes racées, super motorisées, hérissées d’accessoires pour la chasse au gros. L’un d’eux est d’une taille relativement importante, plus de douze mètres ; le genre de truc qui ne promène pas du prolo ; qui peut-être aurait pu ? A la poupe, un nom prédestiné : L’Espadon. L’autre est un peu plus petit. Son nom le fait tiquer : L’Albatros
Il va maintenant rejoindre Sète pour voir s’il peut glaner d’autres choses. Lorsqu’il remonte l’avenue de la mer, le bateau débarque son lot de promeneurs et Fernand est en discussion animée avec deux gus. Il ralentit et déclenche sa caméra. Il a cru distinguer René. Fernand lorgne dans sa direction. Dans ses rétros, il le voit s’agiter en le désignant. L’aurait-il reconnu ? Pas possible… Mais la voiture ? Il file sans demander son reste.
Sur l’autoroute, à la hauteur de Narbonne, il est certain d’être suivi. Une BMW grise, d’abord derrière, puis en dépassement, le coup de la station service pour reprendre l’escorte plus discrètement. Il a relevé l’immatriculation. Bastien étant pressé, il a œuvré a minima, plutôt gros sabots. Et il n’a pas envie de faire connaissance avec ses suiveurs. C’est le moment de jouer serré. Un coup de tube pour alerter, donner les éléments. L’instant d’après, juste le temps de voir venir, il est percuté par l’arrière et part en tonneau dans les décors. Rideau.
Il n’aura pas la satisfaction de voir les véhicules de patrouille en assistance d’une caravane sur la voie d’arrêt d’urgence pas très loin d’où il échoue. La BMW ne pourra pas stopper pour finir le boulot et repartira avec son cocktail Molotov. Pas de barbecue à la Bacqueyrou aujourd’hui.
PĂ´vre Nono...
A suivre
Parceval