BONNE PÊCHE 28


LE RÉSULTAT DES COURSES


Lorsque Norbert va prendre ses quartiers de convalescence à Amélie-les-Bains, les contours de l’affaire ont commencé à se préciser.
L’intervention des équipes de choc à Port-la-Nouvelle : Un poil trop tard. Ça faisait une bonne heure que l’Espadon et son petit frère l’Albatros avaient levé l’ancre. Il ne reste que le catamaran. Et l’homme de la 4L, gardien de l’entreprise, qui tente de jouer la fille de l’air, sans succès. Il ne sait rien, il n’a rien fait, il a eu peur des hommes en cagoule. Et les jerrycans d’essence, c’était pour la 4L. Après un traitement de faveur, il va devenir nettement plus loquace. Donner l’adresse de la secrétaire-hôtesse et des deux ouvriers qui restent. L’identité des quatre qui sont partis, dont le fameux René. Trois marins gros bras d’origine croate ou albanaise, qui servent les deux bateaux et le patron René Kovacs. Cousue de fil blanc. Tous les locaux sont passés au peigne fin. On a beaucoup brûlé et emporté de doc et les ordis. Confirmé par les deux ouvriers et l’hôtesse : a partir de cinq heures le patron a embarqué le matos informatique à bord de l’Espadon, prêt au départ. Il a fait brûler des archives, et viré tout le monde sous prétexte d’urgence. C’est tout ce qu’ils peuvent affirmer. Indices maigres mais suffisants pour lancer des recherches. On considère provisoirement qu’ils ne sont pas dans le coup. Quant à Fernand, il finira par avouer avoir récupéré deux gros bras près de l’étang de Bages et les avoir ramenés au quai du chantier. C’est d’ailleurs sur ses indications qu’on repérera la BM dans l’étang.
Donc, on travaille à identifier qui sont René et ses sbires. Le signalement des bateaux est diffusé, mais ils ont du changer rapidement de baptême et de maquillage. Hors des eaux territoriales, pas d’actions envisageables ; on peut essayer de pister.
A Paris, De Chervieux s’est occupé de l’ami bien placé du Quai. Il a su se montrer convainquant et l’autre a bien compris où est son intérêt. Parce que de toute façon, il n’aurait pas pu empêcher longtemps qu’on s’intéresse à lui. Tant qu’a faire, il préfère les Services plutôt qu’une enquête préliminaire de la justice. On reste entre gens de bonne compagnie. Jandalby est un ami, certes, mais il est mort, alors ?
Alors, oui, il prête gracieusement à son ami un petit appartement meublé près de Meudon. Il concède l’avoir visité dès que la nouvelle de sa disparition a filtré. Non, il n’a rien emporté ni noté d’intéressant. Ils s’y retrouvaient périodiquement pour échanger des infos et évaluer le parti à en tirer. Dans l’intérêt national, bien sur.
Tout ce qu’il peut dire (Et il utilise le conditionnel, en parfait faux-jeton) c’est que Pierre a infiltré un réseau mafieux, issu de la guerre des Balkans, qui opère en Méditerranée, sous couvert de navigation de plaisance. Sur tous les tableaux : Trafics divers, blanchiment, immigration clandestine, terrorisme et activités crapuleuses qui vont avec. Par obligation, a participé à plusieurs affaires de piraterie dont les victimes ne se sont jamais plaintes. Juteuses d’ailleurs. Son objectif : identifier les acteurs et le degré de corruption au niveau des états, qui permet au système de tourner rond. Intéressant pour peser sur des manœuvres diplomatiques, grandes et petites.
Par sécurité, et avec raison, on revisite les locaux avec du personnel spécialisé. Effectivement on trouvera deux clefs USB bien cachées, mais pas d’ordi. Un peu bousculé, l’ami du Quai avouera l’avoir récupéré et jeté en fines particules à la poubelle.
Qu’importe, il en ressortira rien de plus à ce tableau un peu vague, à part la mention de Kostas Léandros et ses activités. Tout cela semble conforme à l’analyse de Danesto. Cependant, il apparaît que les affaires de K. L. et oligarchie slave soient disjointes du réseau Balkans. A moins que ce soit leur rencontre qui soit le nœud de l’affaire. A creuser…
Au fil des jours, autres éléments vont s’ajouter, notamment sur les déplacements de l’Espadon : il a appareillé le 4 juin pour une croisière non définie (Fernand ne sait pas) et, tenez vous bien, il emmène régulièrement de riches clients aux Embiez, à l’occasion d’événements festifs, manifestations nautiques, colloques scientifiques et autres. En tous cas il était de passage là-bas le jour J, celui de la pêche au gros…
Que manque-t-il pour compléter le tableau : ah, oui, quelque évènement de nature politique, financier, ou autre, insolite ou émergeant dans la période juin-juillet.
On lui a préparé un paquet de fiches sur ce thème, qu’il commence à parcourir et trier. Au premier écrémage, il en reste bien une quinzaine qui pourrait plus ou moins cadrer. Abondance de biens, dans ce cas, nuit. A force d’éplucher, seules trois de ces fiches l’interpellent.
La première concerne un gros projet immobilier de luxe prévu sur la cote entre Port-Barcarès et Canet-plage. Une méga-marina. Grandiose. Investisseurs russes. Représentés par un certain Léandros. Cérémonie de signatures validant la cession du foncier et lancement des travaux en présence des officiels, région et département, des élus locaux concernés, et du promoteur. Mi-mai. Largement relayé par la presse locale. Et en regardant à la loupe la photo, dans un coin en retrait, on identifie Jandalby. Tiens, tiens…
La seconde fait état de la disparition corps et biens d’un chalutier tunisien qui aurait signalé être abordé par une vedette libyenne. La tension monte entre les deux pays. On en est aux menaces réciproques. Dénégations de Tripoli. Il est vrai qu’en cas d’intrusion dans les eaux territoriales, il y aurait eu arraisonnement plus ou moins musclé, mais dans ce cas, c’est Tripoli qui aurait monté l’incident en épingle. Alors ? Bizarre, et en plus arrivé le 13 juin. Vous pigez ?
La troisième relate un remaniement gouvernemental à Tunis. Le ministre du tourisme est non seulement limogé, mais incarcéré pour des motifs fumeux d’où émerge le terme « haute trahison ». Arrestation le 15 juin. Quand on sait que le pouvoir là-bas est une affaire de famille, il a du se passer quelque chose de grave.
Deux et trois seraient-ils liés ? Toujours est-il que depuis, le soufflé libyen est retombé. Quand au ministre, on ne sait pas très bien où il fait du tourisme. Effacé du paysage et le procès, sûrement pas demain la veille. Bon, on va activer la DGSE la dessus, ils doivent avoir des « honorables correspondants » là-bas.
Qu’aurait-il pu négliger encore. Il feuillette la retranscription des aventures de Bacqueyrou. Une fois, deux fois. C’est un sacré retors, le Jandalby.
Et si… Et si Maurice Delpierre, import export, et les numéros qui vont avec, avait une « réalité ». Il lance les recherches la dessus, et très rapidement, on va tomber sur une adresse à Montpellier ! On va visiter…
Tout compte fait, il décide de s’en charger lui-même. Se trouve devant un immeuble ancien du centre ville. Au rez-de-chaussée, une boite à lettre débordante de prospectus et courrier divers, qu’il soulage de son contenu. Au premier, une porte affiche une plaque minuscule. Une serrure et un verrou. Faciles. C’est un studio, meublé sommairement. Un petit bureau, le téléphone. Il commence la fouille. Et finalement trouve ce qui était de toute évidence à trouver. Un dossier Kostas Léandros. Un rapport volumineux. En clair. Après avoir tout passé au peigne fin, rien d’autre de notable.
Renseignements obtenus du propriétaire, sous couvert d’enquête policière : location vide, depuis deux ans ; bail au nom de Jandalby, identifié sur photo. A payé six mois d’avance en mai. Ce qui fait que le fameux dossier était à trouver au plus tôt en fin d’année. On rassure le brave homme, rien de grave, son locataire est décédé, on viendra débarrasser…
Machiavélique, le Janda. Allez, il va éplucher tout ça.


Et il attaque à l'économe...

A suivre

Parceval