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Expéditeur Conversation
Mr_Guyguy
Envoyé le :  13/12/2024 10:18
Plume d'or
Inscrit le: 9/6/2009
De: Rouen, Mornes des esses et Casablanca
Noir total
12 juillet 1913, le jour se levait sur Casablanca, et la ville, encore enveloppée de brume matinale, commençait lentement à s'éveiller. Des hennissements de chevaux et les premiers appels du muezzin se mêlaient au grincement des charrettes sur les pavés irréguliers. Les bâtiments ocre de la médina reflétaient une lumière douce, presque irréelle, tandis que la fraîcheur de la nuit s’attardait dans les ruelles étroites.

Dans sa petite maison de la rue Jnan Kbir, Mohamed Adib Hamdaoui, 57 ans, né le 18 février 1856 à Ksar Es-Souk, mesurant un mètre et 91centimètres, ayant un teint très pâle, de petits yeux noirs, des cheveux très court, ajustait son fez devant un miroir fêlé. Son tablier blanc pendait sur une chaise, prêt à être noué autour de sa taille imposante. Ses mains épaisses, habituées à manier les couteaux et à découper des carcasses, se frottaient machinalement l’une contre l’autre.

« Sofia, passe-moi le thé ! » lança-t-il d’une voix rauque.

Sa femme, Sofia Bint Marwan Hamdaoui, 36 ans, née le 17 avril 1877 à Casablanca, mesurant un mètre et 60 centimètres, le teint de sa peau rappelait la couleur du miel, ses beaux yeux en amande, teinté en majorité de vert avec une petite touche de marron avaient conquis le cœur de Mohamed Adib, élégante dans une robe d’intérieur beige, lui tendit un verre fumant sans un mot. Ses cheveux noirs, comme un corbeau étaient attachés en un chignon désordonné, et son regard était déjà préoccupé par les tâches de la journée.
« Tu vas être en retard, Mohamed. Youssef a besoin d’une paire de sandales neuves, et je n’ai plus d’huile pour la cuisine. »

« Toujours des dépenses », répondit Mohamed en prenant une gorgée. « Mais je verrai ça. »

Amina, leur fille de cinq ans, entra en trottinant, serrant contre elle une poupée en tissu usée.
« Baba, tu peux m’emmener à la boucherie aujourd’hui ? »

Mohamed la souleva, ses mains larges entourant le frêle corps de l’enfant.
« Pas aujourd’hui, ma princesse. Mais demain, je te laisserai choisir un os pour ta soupe. »

Dans les rues de la médina, l’activité battait son plein. Des marchands installaient leurs étals, déployant des montagnes d’olives vertes et noires, des pyramides d’oranges, et des sacs de cumin qui embaumaient l’air. Les femmes voilées discutaient à voix basse en choisissant les meilleurs produits, tandis que les hommes échangeaient des plaisanteries bruyantes.

Mohamed saluait les visages familiers en traversant le marché.

« Assalamu alaykum, Si Mohamed ! » cria un vendeur d’épices.
« Wa alaykum salam, Ahmed. Comment vont tes affaires ? »
« Mieux depuis que les colons viennent acheter mes épices. Les Français aiment le tajine aussi, on dirait. »

Mohamed esquissa un sourire. Depuis l’arrivée du protectorat en 1912, Casablanca se transformait à un rythme effréné. De nouveaux quartiers se construisaient autour de la médina, et le port, autrefois modeste, devenait un centre névralgique du commerce. Mais pour Mohamed Adib, cette modernité était une toile de fond. Ce qui comptait, c’était sa boucherie.

La boutique de Mohamed se trouvait à un carrefour animé, où se croisaient porteurs, charrettes, et enfants courant pieds nus. Le panneau au-dessus de la porte portait en lettres peintes : « Chez Si Mohamed – Viandes fraîches. »

Il ouvrit la porte, dévoilant un intérieur propre et bien rangé. Des crochets suspendus portaient des morceaux de viande soigneusement découpés, et un comptoir en bois poli séparait Mohamed de ses clients.

Le premier client arriva peu après l’ouverture.
« Ya Si Mohamed ! » cria un vieillard en boitant légèrement.
« Salam, Si Khaled. Ce matin, j’ai une belle épaule d’agneau pour ton tajine. »

Le vieil homme s’appuya sur le comptoir.
« Tu me traites trop bien, Mohamed. Mais dis-moi, que penses-tu de tout ce qui change ici ? »

Mohamed se pencha légèrement.
« Que veux-tu dire ? Les Français ? »

« Oui, eux. On dit qu’ils veulent transformer Casablanca en ville européenne. »

Mohamed Adib haussa les épaules en tendant la viande emballée.
« Tant qu’ils mangent ma viande, je n’ai rien à redire. »

À midi, le soleil était haut dans le ciel, et les ombres des bâtiments offraient un maigre répit contre la chaleur étouffante. Mohamed referma sa boutique pour la pause de midi et rentra chez lui.

Sofia avait préparé un couscous simple, garni de légumes et de morceaux de mouton. Youssef, leur fils de neuf ans, rentra de la madrassa en courant, son visage rouge de chaleur.
« Baba, l’instituteur a parlé de Lyautey aujourd’hui », dit-il en s’asseyant à table.

Mohamed fronça les sourcils.
« Qu’est-ce qu’il a dit ? »

« Que c’est un homme important, qu’il construit des routes et des écoles pour nous. »

Sofia sourit.
« Peut-être que ton fils deviendra un homme important lui aussi. »

« Peut-être », répondit Mohamed, mais son ton était distant.

En retournant à sa boutique, Mohamed ressentit une étrange tension. Une charrette en panne bloquait l’entrée de la rue, et une foule de clients impatients s’était déjà formée.

« Mohamed, dépêche-toi ! » cria une femme.
« Oui, oui », répondit-il en levant les mains.

La journée continua dans une routine apparente, mais Mohamed Adib jetait fréquemment des regards furtifs vers l’arrière-boutique. Là, dans l’obscurité, un secret pesait.
Il se souvenait encore du dernier homme qui avait franchi sa porte, un voyageur sans attache. Ses cris étouffés résonnaient parfois dans son esprit, mais Mohamed savait cacher ses démons.

La nuit tombait sur Casablanca. Les lanternes éclairaient faiblement les ruelles, et les bruits du marché s’éteignaient peu à peu. Sofia attendait son mari sur le pas de la porte, Amina endormie dans ses bras.

« Tu es resté tard aujourd’hui », remarqua-t-elle.

« Beaucoup de travail », répondit-il en évitant son regard.

Dans l’intimité de leur chambre, Mohamed Adib fixait le plafond, incapable de trouver le sommeil. L’idée de ce qu’il avait accompli par le passé le hantait, mais il la repoussait.


Le lendemain, le chant du muezzin s’élevait au-dessus des toits de la médina, appelant les croyants à la prière du matin. Mohamed, déjà debout, ajusta son tablier en lin blanc. Le soleil timide illuminait les ruelles de Casablanca, tandis que des odeurs de pain chaud et d’épices s’insinuaient dans l’air. La ville s’éveillait doucement, bercée par le martèlement des sabots des ânes et le grincement des charrettes.

Dans la maison, Sofia s’occupait des enfants. Youssef, assis en tailleur, récitait des sourates à voix basse, ses lèvres bougeant presque imperceptiblement. Amina, les yeux encore pleins de sommeil, mangeait une galette imbibée de miel.

« Baba, aujourd’hui, je viens avec toi », dit Youssef en levant des yeux brillants vers son père.

Mohamed hésita un instant, ses mains jouant machinalement avec les boutons de son gilet.
« Peut-être demain, mon fils. Aujourd’hui, tu dois aider ta mère. »

Youssef hocha la tête, déçu mais obéissant. Sofia regarda Mohamed Adib avec insistance.
« Tu travailles beaucoup, Adib. Peut-être que tu pourrais passer du temps avec lui un de ces jours. »

« Les affaires ne se gèrent pas toutes seules », répondit-il en serrant son fez sur sa tête.

Les rues de Casablanca vibraient d’une activité incessante. Des porteurs criaient pour se frayer un chemin, les vendeurs de légumes exposaient fièrement leurs produits, et les marchands de tissus déroulaient des étoffes colorées sous les yeux attentifs des clientes.

Mohamed salua plusieurs visages familiers en traversant le marché.
« Salam, Si Mohamed ! Toujours debout avant les coqs ? » lança Ahmed, le marchand d’olives, un sourire édenté aux lèvres.

« Si je ne travaille pas, qui nourrira ma famille ? » répondit Mohamed en souriant.

Mais son regard s’attardait sur des détails que d’autres ignoraient : une charrette mal arrimée, un jeune homme errant sans but précis, ou encore une femme voilée qui semblait jeter des coups d’œil furtifs.

En approchant de sa boucherie, il sentit une odeur persistante, une odeur qu’il connaissait bien et qu’il craignait d’autant plus. Il accéléra le pas et ouvrit sa boutique avec un geste brusque.

Les clients affluaient dès les premières heures.
« Ya Si Mohamed ! » cria une femme voilée. « Mon mari veut un bon morceau de mouton. »

« Regarde-moi cette pièce », répondit Mohamed Adib en sortant une épaule d’agneau. « Elle fondra dans la marmite. »

Un autre client, un jeune homme nerveux, s’approcha du comptoir.
« Vous avez du bœuf aujourd’hui ? » demanda-t-il en baissant les yeux.

Mohamed le fixa un instant, lisant dans son attitude une peur inexplicable.
« Bien sûr. Dis à ta mère que j’ai gardé le meilleur pour elle. »

Le jeune homme hocha la tête et partit précipitamment.

Entre deux clients, Mohamed se glissa dans l’arrière-boutique. La lumière tamisée des lanternes éclairait les crochets suspendus, et une odeur métallique emplissait l’air. Là, dans un recoin sombre, il s’agenouilla près d’un coffre.

Il l’ouvrit lentement, révélant un couteau soigneusement nettoyé et des morceaux de chair enveloppés dans du tissu. Ses mains tremblèrent légèrement.

« Contrôle-toi », murmura-t-il à lui-même.

Il referma le coffre et se redressa, ajustant son tablier comme si de rien n’était.

À midi, Mohamed ferma sa boutique et rentra chez lui. La chaleur accablante de juillet faisait vibrer l’air, et même les ombres semblaient s’évanouir sous le soleil impitoyable.

Sofia avait préparé un tajine aux légumes, et Amina jouait près de la table avec un chat errant qu’elle avait adopté. Youssef, le visage sérieux, feuilletait un vieux livre d’histoire.

« Baba, pourquoi les Français ont pris notre ville ? » demanda-t-il soudain.

Mohamed fronça les sourcils.
« C’est une question pour plus tard, mon fils. Mange ton tajine. »

Mais Sofia intervint.
« Laisse-le poser ses questions, Adib. C’est important qu’il comprenne. »
Adib posa son pain avec un soupir.
« Les Français sont ici parce qu’ils veulent notre terre. Mais ils ne peuvent pas prendre ce qu’il y a dans nos cœurs. »

De retour à la boutique, Mohamed sentit une tension croissante. Un groupe de soldats français passa dans la rue, riant bruyamment et jetant des regards moqueurs sur les habitants.

« Encore ces chiens, murmura un client en serrant son poing. »

« Fais attention à tes paroles », avertit Mohamed en lui tendant un paquet de viande.

La journée continua, mais une inquiétude sourde planait dans l’air. Mohamed se sentait observé, comme si un regard invisible scrutait chacun de ses mouvements.

Le soir, après avoir fermé sa boutique, Mohamed s’assit seul dans l’arrière-boutique. La lueur vacillante de la lampe à huile dansait sur les murs. Il sortit une bouteille d’eau-de-vie cachée sous le comptoir et en but une longue gorgée.

« Tu es prudent, mais jusqu’à quand ? » murmura-t-il à lui-même.
Ses pensées dérivèrent vers Sofia, vers ses enfants, et vers les visages flous de ceux qu’il avait fait disparaître. La culpabilité l’effleurait parfois, mais il la rejetait aussitôt, la noyant dans l’alcool et le travail.

De retour chez lui, il trouva Sofia assise sur le tapis, tressant les cheveux d’Amina. La scène était paisible, presque irréelle.

« Tu rentres tard, encore », dit Sofia sans lever les yeux.

« Les affaires marchent bien », répondit-il, mais sa voix manquait de conviction.

Cette nuit-là, Mohamed Adib s’allongea à côté de sa femme, fixant le plafond. Il sentait que le calme apparent de leur vie cachait une tempête imminente, mais il n’avait pas encore compris que cette tempête commencerait dans sa propre maison.


Le 14 juillet 1913, le matin se leva avec un éclat particulier ce jour-là. Des drapeaux tricolores étaient accrochés un peu partout dans les quartiers européens de Casablanca. Dans la médina, on observait ces préparatifs avec une méfiance silencieuse, certains murmurant sur l’arrogance des colons qui célébraient une fête que personne ici ne comprenait vraiment.

Dans la maison des Hamdaoui, Mohamed terminait son thé en silence tandis que Sofia préparait des galettes. La table basse était dressée simplement avec des olives, du miel et une miche de pain.

« Adib, tu sais que c’est la fête des Français aujourd’hui ? » demanda Sofia en déposant une assiette devant lui.

Il releva les yeux, son regard sombre.
« Oui. On nous l’a assez répété. Une fête pour eux, mais pour nous, c’est juste une journée de travail de plus. »

Sofia hocha la tĂŞte, mais Youssef, curieux comme toujours, leva la main.
« Baba, pourquoi les Français ont une fête ? »

Mohamed soupira en mordant dans une galette.
« Parce qu’ils célèbrent leur indépendance. »

« Et nous ? Pourquoi on ne célèbre rien ? »

Un silence tomba sur la pièce, seulement troublé par le bruit d’Amina qui jouait avec une cuillère en bois. Sofia posa une main sur l’épaule de son fils.
« Mange ton petit-déjeuner, mon fils. »

La médina, pourtant habituellement bruyante et animée, semblait plus calme ce matin-là. Mohamed ouvrit sa boutique comme d’habitude, saluant les premiers passants.

« Salam, Si Mohamed ! Toujours le premier debout, hein ? » lança Ahmed, le marchand d’olives.

« Le travail n’attend pas », répondit Mohamed en ajustant son tablier.

Mais quelque chose dans l’air était différent. Les soldats français patrouillaient dans les ruelles, leurs bottes résonnant sur les pavés. Ils échangeaient des plaisanteries bruyantes, ignorant les regards méprisants des habitants.

Un jeune garçon entra précipitamment dans la boutique.
« Si Mohamed, ma mère dit qu’elle veut du foie pour aujourd’hui. »

Mohamed hocha la tête et se dirigea vers son comptoir, mais il sentit un frisson courir dans son dos. À travers la vitre, il vit un soldat français s’arrêter devant sa boutique, observant avec insistance.

« Si Mohamed ? » répéta le garçon, tirant sur sa manche.

« Oui, oui. Attends une seconde », répondit-il distraitement.

Il se ressaisit rapidement, emballa le foie et le tendit au garçon.
« Dis à ta mère que c’est pour son prochain tajine. »

Le garçon sourit et sortit en courant, mais Mohamed resta un moment immobile, fixant la silhouette du soldat qui s’éloignait lentement.

Le soleil frappait fort, et les rues de la médina semblaient presque désertes. Les habitants s’étaient réfugiés à l’ombre, laissant les soldats français déambuler librement. Mohamed, derrière son comptoir, essuyait machinalement un couteau déjà propre.
Un client entra, un homme robuste au visage marqué par le travail manuel.
« Salam, Si Mohamed. Tu as de quoi nourrir une grande famille aujourd’hui ? »

Mohamed hocha la tĂŞte en souriant.
« Toujours. Une épaule d’agneau ? Ou bien tu préfères du bœuf ? »

L’homme hésita.
« Je vais prendre les deux. C’est un jour spécial. »

Mohamed, intrigué, leva un sourcil.
« Tu fêtes quelque chose ? »

L’homme haussa les épaules.
« Pas vraiment. Mais ma femme dit qu’on doit bien manger, même si ces Français fêtent leur liberté en envahissant la nôtre. »

Ils échangèrent un regard entendu, et Mohamed prépara la commande en silence.

En fin d’après-midi, alors que Mohamed Adib s’apprêtait à fermer, un homme entra précipitamment. Il portait une tenue européenne, mais son accent trahissait ses origines marocaines.

« Salam, Si Mohamed. Tu es encore ouvert ? »

« Pour toi, toujours. Que puis-je faire ? »

L’homme s’approcha, baissant la voix.
« Les Français commencent à poser des questions. Tu sais pourquoi ? »

Mohamed haussa les épaules, mais son cœur battait plus vite.
« Je ne sais rien. Ils sont toujours curieux, ces étrangers. »

« Fais attention, mon frère. Ils observent tout. »

Mohamed hocha la tĂŞte et lui tendit un paquet de viande.
« Merci pour l’avertissement. »

De retour chez lui, Mohamed trouva Sofia en train de tresser les cheveux d’Amina. Youssef lisait à haute voix un livre prêté par son instituteur.

« Baba, écoute ça ! « Le général Lyautey construit un pont entre la France et le Maroc. » C’est bien, non ? »

Mohamed posa lourdement son couteau sur la table.
« Un pont ? Ils construisent surtout des murs pour nous enfermer. »

Sofia lui lança un regard d’avertissement.
« Ne parle pas comme ça devant les enfants. »

Il grommela quelque chose et s’assit pour manger. Mais le repas était silencieux, tendu.

Plus tard, alors que tout le monde dormait, Mohamed descendit dans la cave de la maison. Une lampe Ă  huile vacillait dans sa main, projetant des ombres tremblantes sur les murs.

Dans un coin, recouvert d’une bâche, un coffre était posé. Mohamed s’agenouilla, l’ouvrit doucement, et regarda son contenu avec une fascination morbide.

Des souvenirs de ses actes passés le traversèrent comme un éclair : les cris étouffés, l’odeur du sang, et le poids des corps qu’il avait fait disparaître.

Il referma le coffre brusquement, respirant lourdement.

« Contrôle-toi », murmura-t-il dans l’obscurité.
Il remonta à l’étage, retrouva le lit conjugal, et s’allongea près de Sofia. Elle dormait paisiblement, inconsciente des ténèbres qui habitaient son mari.


Le lendemain, le soleil de juillet s’élevait sur Casablanca, et déjà la chaleur alourdissait l’atmosphère. Les rues de la médina étaient plus animées que d’habitude. Les voix des marchands, le bruit des charrettes et les appels des enfants résonnaient dans les ruelles étroites. Mais malgré cette agitation, une tension palpable planait sur la ville.

Dans la maison des Hamdaoui, Sofia s’affairait à préparer le petit-déjeuner. Youssef s’était levé tôt pour aider sa mère à remplir les jarres d’eau, tandis qu’Amina, encore ensommeillée, s’accrochait au pan de la robe de Sofia.

Adib était assis sur un tapis près de la table basse, enroulant lentement le cordon de son fez autour de son doigt. Il semblait ailleurs, son regard perdu dans le vide.

« Adib, tu ne manges pas ? » demanda Sofia en déposant un plat de galettes tièdes devant lui.

Il releva la tête brusquement, comme s’il émergeait d’un rêve.
« Non, je n’ai pas faim. »

Sofia s’assit en face de lui, les bras croisés.
« Tu travailles trop. Et tu ne dors plus. »

Mohamed haussa les Ă©paules, Ă©vitant son regard.
« Ce n’est rien. »

Youssef entra, portant un seau d’eau qu’il déposa près de la porte.
« Baba, l’instituteur nous a parlé des nouvelles routes qu’ils construisent. Il dit qu’elles nous permettront de voyager plus facilement. »

Mohamed esquissa un sourire forcé.
« Voyager ? Pour aller où, mon fils ? Ces routes mènent seulement là où ils veulent qu’on aille. »

En sortant de chez lui, Mohamed sentit l’agitation inhabituelle dans les ruelles de la médina. Des groupes de femmes discutaient à voix basse, tandis que des hommes échangeaient des regards inquiets.

« Si Mohamed ! » cria une voix derrière lui.

Il se retourna pour voir Ahmed, le marchand d’olives, accourir vers lui.
« Tu as entendu la nouvelle ? »

Mohamed plissa les yeux.
« Quelle nouvelle ? »
Ahmed baissa la voix, regardant autour de lui avant de répondre.
« Ils disent qu’un soldat français a été retrouvé mort près de la place de France. On parle d’un règlement de comptes. »

Mohamed hocha la tĂŞte, son expression impassible.
« Les soldats se croient invincibles, mais ils ne le sont pas. »

Ahmed sembla hésiter un instant avant de poser une main sur son épaule.
« Fais attention, Si Mohamed. Ces Français cherchent toujours un coupable. »

À la boucherie, Mohamed reprit sa routine. Il tranchait avec précision des morceaux d’agneau, saluait ses clients avec un sourire calculé, et écoutait leurs conversations avec une attention silencieuse.

« Salam, Si Mohamed ! » lança une femme voilée en entrant.
« Wa alaykum salam. Que puis-je faire pour toi aujourd’hui ? »

« Mon mari veut un bon morceau de bœuf pour la grillade. »

Mohamed hocha la tĂŞte, se dirigeant vers le comptoir.
« Regarde-moi ce morceau. Parfait pour une grillade. »

La femme inspecta la viande, satisfaite.
« Merci. Mais dis-moi, Mohamed, tu sembles préoccupé ces derniers temps. »

Il releva la tĂŞte, son sourire se figeant un instant.
« Ce n’est rien. Juste beaucoup de travail. »

Mais au fond de lui, il sentait que quelque chose lui Ă©chappait.

À midi, Mohamed ferma la boutique et rentra chez lui. Le déjeuner était prêt : un plat de haricots blancs accompagné de morceaux de mouton. Sofia mangeait en silence, ses gestes calmes mais mesurés.

Youssef, qui observait son père avec une curiosité enfantine, brisa le silence.
« Baba, pourquoi tu ne parles plus ? »

Mohamed posa sa cuillère, prenant le temps de formuler une réponse.
« Parfois, réfléchir est plus important que parler. »
Sofia Ă©changea un regard avec lui, mais ne dit rien.

De retour à la boutique, Mohamed ressentit un malaise croissant. Un homme qu’il n’avait jamais vu auparavant entra, le visage couvert d’une fine sueur.

« Salam. Tu es Mohamed, n’est-ce pas ? »

Mohamed hocha la tête, scrutant l’inconnu avec prudence.
« Oui. Que puis-je faire pour toi ? »

L’homme jeta un regard rapide autour de lui avant de répondre.
« Ils disent que tu as la meilleure viande de la médina. Je veux en acheter pour un grand repas. »

« Combien veux-tu ? » demanda Mohamed, toujours méfiant.

« Trois kilos. Mais pas n’importe quoi. Je veux le meilleur. »

Mohamed prépara la commande, mais il sentit le regard de l’homme peser sur lui. Lorsque l’inconnu sortit, il se demanda s’il s’agissait d’un simple client ou de quelqu’un envoyé pour l’observer.
À la nuit tombée, Mohamed referma sa boutique avec un soupir. La rue était calme, seulement éclairée par la lumière vacillante des lanternes.

En rentrant chez lui, il trouva Sofia en train de plier des vêtements. Amina était déjà endormie, et Youssef lisait dans un coin de la pièce.

« Tu as l’air fatigué, Adib », dit Sofia sans lever les yeux.

« Les affaires sont bonnes », répondit-il.

Mais elle le regarda avec insistance, ses sourcils légèrement froncés.
« Tu ne peux pas cacher tes pensées éternellement. »

Il la fixa un moment, puis détourna le regard.
« Bonne nuit, Sofia. »

Dans le silence de la nuit, Mohamed s’allongea sur son lit, mais le sommeil ne venait pas. Les souvenirs de ses actes passés le hantaient, des visages flous, des cris étouffés, des corps qu’il avait fait disparaître.

Il se leva lentement et descendit dans la cave. Là, dans l’obscurité, il ouvrit le coffre qu’il gardait caché.

Les morceaux de chair soigneusement enveloppés étaient toujours là. Il passa une main tremblante sur le couteau qu’il utilisait, ses pensées s’embrouillant entre culpabilité et excitation.

« Contrôle-toi », murmura-t-il à lui-même.

Il referma le coffre et remonta à l’étage. Sofia dormait paisiblement, mais Mohamed savait que le masque qu’il portait se fissurait.


Le16 juillet 1913, le lever du jour trouva Casablanca sous une chaleur déjà étouffante. Dans la maison des Hamdaoui, l’air semblait plus lourd que d’habitude. Sofia s’affairait dans la cuisine, ses gestes précis mais sans enthousiasme. Amina jouait dans un coin avec sa poupée en tissu, tandis que Youssef dessinait des formes maladroites sur une planche de bois.

Mohamed, assis près de la porte, enroulait machinalement le cordon de son fez autour de son doigt. Son regard semblait perdu, fixé sur un point invisible au-delà des murs.

« Adib, tu ne manges rien ce matin ? » demanda Sofia, déposant un bol de lait chaud sur la table.

« Je n’ai pas faim », répondit-il d’une voix distante.

Sofia le regarda, ses sourcils légèrement froncés.
« Tu ne dors plus. Tu es distrait. C’est quoi, cette ombre qui te suit ? »

Mohamed haussa les Ă©paules, Ă©vitant son regard.
« Rien ne me suit. Les affaires me préoccupent, c’est tout. »

Sofia soupira.
« Ce soir, je vais au marché. J’ai besoin d’huile et de tissus. »

Il releva enfin les yeux.
« Va tôt, alors. La nuit, il y a des... dangers. »

Sofia hocha la tête mais ne répondit pas.

Mohamed ouvrit sa boucherie plus tard que d’habitude. La rue Jnan Kbir était déjà animée : des porteurs s’interpellaient bruyamment, des femmes vêtues de haïks blancs traversaient les ruelles en silence, et des enfants couraient pieds nus, leurs rires se mêlant aux bruits de la médina.

« Salam, Si Mohamed ! » lança un client en entrant précipitamment.
« Wa alaykum salam », répondit Mohamed en ajustant son tablier.

« Donne-moi deux kilos d’agneau. Ma femme veut faire un méchoui ce soir. »

Mohamed hocha la tête, se dirigeant vers le comptoir. Mais ses mains tremblaient légèrement alors qu’il saisissait le couteau.

« Tu vas bien ? » demanda le client en le regardant avec attention.

« Oui, toujours », répondit Mohamed avec un sourire forcé.

Mais son esprit était ailleurs. Les regards insistants des soldats français qu’il avait croisés hier, les murmures dans la médina, les questions de Sofia… Tout cela s’entremêlait dans un tourbillon d’inquiétudes qu’il peinait à contenir.

Vers midi, alors que Mohamed s’apprêtait à fermer pour le déjeuner, un homme entra dans la boutique. C’était un Européen, grand et mince, vêtu d’un costume beige poussiéreux. Il portait un chapeau de paille légèrement incliné sur le côté.

« Bonjour », dit l’homme en français, avec un sourire qui ne parvint pas à cacher une certaine méfiance.

« Bonjour », répondit Mohamed, son français approximatif trahissant son inconfort.

« Vous êtes Mohamed Adib Hamdaoui, n’est-ce pas ? »

Mohamed hocha la tête, serrant instinctivement la lame qu’il tenait encore.
« Oui. Que voulez-vous ? »

L’homme sortit un carnet de sa poche.
« Je suis Lambert, inspecteur de la police française. Nous faisons une enquête sur… certaines choses. Rien de grave. Mais nous aimerions parler à tous les commerçants de ce quartier. »

Mohamed força un sourire.
« Je suis juste un boucher. Je n’ai rien à dire. »

Lambert observa la boutique d’un regard perçant.
« Vous semblez être un homme occupé. Nous reviendrons. »

Il tourna les talons et sortit, laissant Mohamed seul avec ses pensées.

Le soir venu, Sofia enfila un châle et se prépara à sortir. Amina, accrochée à ses jupes, tenta de la retenir.
« Maman, reste avec nous ce soir ! »

Sofia se pencha et embrassa sa fille sur le front.
« Je reviens vite, ma chérie. Sois sage avec ton père. »

Youssef, assis sur le tapis, releva la tĂŞte.
« Baba, pourquoi maman sort toujours seule ? »

Mohamed, assis dans un coin, répondit d’une voix sèche.
« Elle fait ce qu’elle doit faire. Mange ton pain et ne pose pas de questions. »

Sofia quitta la maison, laissant derrière elle une porte qui claqua doucement dans le silence.

Les heures passèrent, et Sofia ne revint pas. Mohamed, assis près de la fenêtre, regardait fixement la rue déserte.

« Baba, où est maman ? » demanda Youssef, sa voix tremblante.

« Elle reviendra », répondit Mohamed, mais son ton manquait de conviction.

Amina s’endormit dans un coin, son pouce dans la bouche, tandis que Youssef restait éveillé, observant son père avec inquiétude.

Minuit approchait, et Mohamed se leva brusquement.
« Restez ici », dit-il à Youssef. Je vais la chercher.

Il sortit dans la nuit noire, ses pas résonnant sur les pavés. Les ruelles de la médina étaient silencieuses, seulement éclairées par quelques lanternes vacillantes.

« Sofia ! appela-t-il », sa voix résonnant dans le vide.

Mais il savait déjà qu’il ne la trouverait pas.

Quand Mohamed rentra chez lui, les enfants étaient endormis. Il s’assit à la table, son visage enfoui dans ses mains.

« Sofia… » murmura-t-il, mais son ton n’était ni désespéré ni inquiet.

Dans sa cave, sous la maison, il savait déjà où elle était. Les restes soigneusement emballés et dissimulés attendaient que la boucherie ouvre à nouveau.


L’aube de ce 17 juillet trouva la médina de Casablanca engourdie, comme frappée par un poids invisible. Les ruelles, d’ordinaire déjà animées à cette heure, semblaient silencieuses. Un murmure s’était répandu comme une traînée de poudre : Sofia Hamdaoui, l’épouse du boucher, avait disparu.

Mohamed ouvrit sa boucherie plus tard qu’à l’accoutumée. Ses gestes étaient mécaniques : il enroulait son tablier autour de sa taille, aiguisait ses couteaux, ajustait les crochets métalliques. Mais derrière ce masque de routine, il sentait la tension grimper.

Un premier client entra, une femme âgée voilée jusqu’aux yeux.
« Salam, Si Mohamed. J’ai entendu dire que ta femme n’est pas rentrée hier soir. »

Mohamed leva les yeux, un sourire feint se dessinant sur son visage.
« Oui, elle devait aller au marché. Je pense qu’elle a peut-être rendu visite à une tante à El Jadida. »

La vieille femme hocha la tĂŞte, sceptique.
« Qu’Allah vous aide à la retrouver. »

Elle repartit rapidement, mais Mohamed sentait déjà que les soupçons commençaient à s’installer.

Plus tard dans la matinée, Lambert, l’inspecteur français, arriva devant la boucherie, accompagné d’un jeune sergent. Les bottes des deux hommes frappèrent le pavé avec une régularité qui semblait peser sur les habitants, attirant les regards curieux des voisins.

« Bonjour, Si Mohamed », dit Lambert en entrant, son ton délibérément cordial. « Puis-je vous parler un moment ? »

Mohamed, toujours maître de lui-même, hocha la tête.
« Bien sûr, Monsieur l’Inspecteur. »

Ils s’assirent près du comptoir, tandis que le sergent restait debout, observant la boutique avec une attention étrange.

« Nous avons entendu dire que votre femme, Sofia Hamdaoui, n’est pas rentrée chez vous hier soir », commença Lambert.

« Oui », répondit Mohamed, un air inquiet peint sur son visage. « Elle est partie faire des courses au marché, et elle n’est pas revenue. »

Lambert inclina légèrement la tête, l’observant avec des yeux perçants.
« Est-ce qu’elle avait l’habitude de s’absenter ainsi ? »

« Jamais. C’est pour ça que je suis inquiet. Sofia est une femme responsable. »

« Avez-vous des ennemis, Si Mohamed ? » demanda Lambert d’un ton presque léger, mais calculé.

Mohamed laissa Ă©chapper un rire nerveux.
« Un simple boucher, Monsieur ? Quels ennemis pourrais-je avoir ? »

Lambert le fixa longuement, puis se leva.
« Très bien. Nous allons enquêter dans le quartier. Si vous avez des informations, faites-le-nous savoir. »

L’après-midi fut étrange. Les habitués de la boucherie semblaient hésiter avant d’entrer, échangeant des regards furtifs avec Mohamed.

Un jeune homme du quartier entra finalement, nerveux.
« Salam, Si Mohamed. Donne-moi un kilo de bœuf. »

Mohamed hocha la tête et s’exécuta, mais il remarqua les yeux du garçon qui scrutaient les coins sombres de la boutique.

« Tu cherches quelque chose ? » lança Mohamed en tendant le paquet.

Le garçon sursauta légèrement.
« Non, non… Je suis juste désolé pour ta femme. »

Mohamed hocha la tête, un sourire figé sur les lèvres.
« Merci, mon garçon. »

Mais derrière ce masque, il sentait son monde se fissurer.

De retour chez lui, Mohamed trouva Amina blottie dans un coin, serrant sa poupée contre elle. Youssef, assis près de la table, semblait perdu dans ses pensées.

« Baba, où est maman ? » demanda-t-il d’une voix tremblante.

Mohamed s’agenouilla devant lui, posant une main sur son épaule.
« Maman reviendra bientôt. Elle a dû être retardée. »
Mais Youssef détourna le regard, comme s’il devinait que son père mentait.

Cette nuit-là, Mohamed descendit dans la cave. La lampe à huile projetait des ombres dansantes sur les murs, créant une atmosphère oppressante.

Il ouvrit le coffre, dévoilant les restes soigneusement emballés. Une odeur douceâtre, presque insupportable, emplit l’air.

« Contrôle-toi », murmura-t-il, ses mains tremblant légèrement.

Il referma le coffre, Ă©teignit la lampe et remonta silencieusement.


Le lendemain, la médina était en effervescence. Les rumeurs sur la disparition de Sofia prenaient de l’ampleur. Certains disaient qu’elle avait été enlevée par des bandits, d’autres murmuraient qu’un étranger l’avait séduite.

Mais quelques voisins commençaient à parler à voix basse d’un autre scénario : « Et si Mohamed lui-même avait quelque chose à cacher ? »

Lambert, de son côté, poursuivait son enquête. Il interrogea les marchands du marché, les voisins des Hamdaoui, mais aucune information concrète n’émergeait. Pourtant, quelque chose dans l’attitude de Mohamed continuait de le troubler.

« Ce boucher n’est pas aussi simple qu’il en a l’air », dit-il à son sergent après une journée de recherches infructueuses.

Mohamed Adib, dans sa boutique, sentait le poids des regards et des murmures. Mais il jouait son rôle à la perfection : un mari inquiet, un commerçant diligent, un homme sans histoires.

Mais chaque sourire qu’il offrait, chaque mot qu’il prononçait, le rapprochait un peu plus du bord du gouffre.


Le 18 juillet, l’ombre de la disparition de Sofia continuait de planer sur Casablanca, grandissant à chaque rumeur qui circulait dans les ruelles poussiéreuses de la médina. Ce matin du mois de juillet, la chaleur avait atteint des niveaux insupportables, et les rues semblaient comme figées sous un poids invisible.

Mohamed, comme chaque jour depuis la disparition de Sofia, ouvrit sa boucherie à l’aube, mais il sentait la pression monter à chaque instant. Les regards des passants, les murmures dans les ruelles, la présence persistante de l’inspecteur Lambert et de ses hommes, tout cela le rendait nerveux. La scène qui se déroulait dans son esprit depuis plusieurs jours, il la voyait à chaque instant : Sofia, morte, découpée, cachée dans le coin sombre de sa cave.

Il chercha à maintenir une façade calme et professionnelle, servant ses clients avec une précision glacée, mais son esprit était ailleurs.

Un client entra, un homme grand, avec une barbe soigneusement taillée. Il se dirigea vers le comptoir sans même un salut.
« Salam, Si Mohamed. »

Mohamed le regarda sans sourire, une main posée sur le couteau de boucher.
« Salam. Que puis-je faire pour toi ? »

L’homme hésita un instant, ses yeux scrutant les étals.
« Tu n’as pas vu ta femme, n’est-ce pas ? »

Mohamed le fixa, déstabilisé.
« Non. Elle est partie il y a quelques jours. »

L’homme se pencha en avant, chuchotant :
« Il y a des rumeurs dans le quartier. Des gens disent que tu sais ce qui est arrivé à Sofia. »

Le cœur de Mohamed rata un battement, mais il contrôla sa respiration.
« Ce ne sont que des rumeurs. Je cherche ma femme. Vous voulez de la viande ou non ? »

L’homme recula, apparemment satisfait de la réponse.
« Oui. Donne-moi du bœuf. Un kilo. »

L’après-midi, alors que la chaleur devenait presque insupportable, Lambert fit son apparition à la boucherie. Il entra sans frapper, son regard acéré balayant immédiatement la pièce.

« Salam, Si Mohamed. Vous m’accordez quelques minutes ? »
Mohamed hocha la tĂŞte, sans sourire.
« Bien sûr. Que puis-je faire pour vous, Monsieur l’Inspecteur ? »

Lambert s’assit, comme un prédateur qui attendait que sa proie se rapproche.
« Nous avons poursuivi notre enquête, Si Mohamed. Vous savez, certaines choses ne passent pas inaperçues dans une ville comme Casablanca. »

Mohamed plissa les yeux, son cœur battant dans sa poitrine.
« Qu’essayez-vous de dire ? »

Lambert sourit légèrement.
« Oh, rien. Mais il y a des témoignages qui nous préoccupent. Les voisins disent que votre femme ne serait jamais partie sans prévenir, et certains ont vu un homme étrange rôder autour de votre maison juste avant sa disparition. »

Les mots résonnaient dans l’air chaud de la boucherie, comme des cloches sonnant la fin d’un monde paisible. Mohamed se redressa lentement, son regard fixant celui de Lambert.
« Vous m’accusez de quoi, exactement ? »

Lambert haussait les épaules, feignant l’indifférence.
« Nous n’accusons personne. Mais nous devons être sûrs. Et pour ça, nous allons perquisitionner votre maison, Si Mohamed. »

Le cœur de Mohamed Adib s’emballa. La pièce sembla se resserrer autour de lui. Il savait ce qui se trouvait dans la cave. Il savait que si Lambert descendait dans cette pièce, tout était fini.

La perquisition arriva plus tôt que prévu. Le bruit des bottes dans les escaliers fit trembler les murs de la maison des Hamdaoui. Mohamed les mena silencieusement jusqu’à la cave, sentant son cœur battre dans sa gorge.

Lambert, accompagné du sergent, inspecta chaque recoin, ses yeux scrutant chaque détail avec l’intensité d’un homme qui savait déjà ce qu’il cherchait.

Mohamed se tenait là, immobile, son visage figé, tandis que les policiers fouillaient chaque étagère, chaque boîte, chaque recoin poussiéreux.

Finalement, après ce qui parut une éternité, Lambert s’arrêta devant le coffre en bois, celui qui abritait les restes de Sofia. Il s’approcha lentement, son regard perçant ne quittant pas Mohamed.

« Ce coffre, Si Mohamed ? demanda Lambert d’une voix calme, presque amicale. »

Mohamed se redressa, forçant un sourire.
« C’est juste un vieux coffre. Il ne contient que des… vieux vêtements. »

Lambert observa longuement Mohamed avant de s’approcher du coffre. Il posa une main sur le bois, le faisant craquer sous ses doigts.

« Ouvrez-le, Si Mohamed. »

Quand le coffre s’ouvrit, l’air s’emplit de l’odeur lourde du sang et de la chair en décomposition. Les policiers eurent un instant d’hésitation, puis l’un d’eux cria, reculé par le spectacle macabre.

Les restes de Sofia, découpés avec une précision glaciale, reposaient là, dans un enchevêtrement sordide.

Mohamed recula lentement, son visage livide, mais il ne dit rien. Lambert s’approcha de lui, ses yeux emplis de dégoût et de satisfaction.
« Vous pensiez que vous pouviez tout cacher, Si Mohamed ? Vous pensiez que personne ne verrait à travers votre masque de père de famille respecté ? »

Mohamed, acculé, ne répondit pas immédiatement. Enfin, d’une voix tremblante, il murmura :
« J’ai fait ce qu’il fallait. Pour nous. Pour nous tous. Vous ne comprenez pas. »

Lambert fixa longuement Mohamed.
« Non. Je comprends très bien. Vous avez tué pour nourrir votre boucherie. Vous avez tué pour faire disparaître vos victimes. Et maintenant, vous allez répondre de vos actes. »

Les policiers l’attrapèrent, le traînant hors de la cave et l’emmenant dans les ruelles de la médina. Les témoins se pressaient autour de lui, mais personne n’osait intervenir.

Ce soir-là, alors que la ville dormait, Mohamed Adib Hamdaoui réussit un dernier coup de maître. Une explosion eut lieu non loin de sa maison, affolant tout le quartier. Dans la confusion de la nuit, il s’échappa des mains des policiers qui, pourtant le tenait, se glissant dans l’ombre, fuyant vers le sud, vers le désert, abandonnant ses enfants, Youssef et Amina.

Le Sahara, vaste et sans fin, semblait être son seul refuge. Le vent chaud du désert soufflait contre son visage alors qu’il s’enfonçait dans les dunes, laissant derrière lui Casablanca, ses secrets, et sa famille.

On ne retrouva jamais Mohamed Adib Hamdaoui. Les rumeurs sur sa fuite dans le désert circulaient, mais aucune trace n’apparaissait. Certaines disaient qu’il s’était perdu dans les sables du Sahara, d’autres qu’il avait trouvé refuge parmi les tribus nomades.

La médina de Casablanca, bouleversée par cette révélation macabre, continua de se reconstruire, le temps effaçant lentement les traces de l’horreur. Mais dans l’obscurité des ruelles étroites, le nom de Mohamed Adib Hamdaoui était murmuré avec un frisson, comme une ombre qui ne disparaîtrait jamais.
Sybilla
Envoyé le :  13/12/2024 15:27
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Re: Noir total
Bonjour Cher Ami poète Mr_guyguy,

Très très longue histoire très bien narrée !
Je l'ai lue jusqu'au bout et c'était très troublant, surtout à la chute de l'histoire lorsque le corps de sa femme est retrouvé...

J'ai eu des frissons dans le dos...
Brrr...



Belle journée Cher Ami poète Mr_guyguy !
Toutes mes amitiés
Sybilla


----------------
Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates ""réelles"" de parution.

Le rĂŞve est le poumon de ma vie (Citation de Sybilla)

Mr_Guyguy
Envoyé le :  17/12/2024 23:18
Plume d'or
Inscrit le: 9/6/2009
De: Rouen, Mornes des esses et Casablanca
Re: Noir total
Bonjour Sybilla,

Je m'en excuse ma chère, j'avoue que cette histoire aussi est très longue, et encore je t'avouerai que j'aurai pu pousser le vice plus loin ^^.

Ah bah, c'est parfait, c'Ă©tait le but, je te remercie pour ton commentaire.

Bonne soirée à toi!

Amitiés.
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