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     La descente (partie 1)
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Expéditeur Conversation
Mr_Guyguy
Envoyé le :  17/12/2024 23:07
Plume d'or
Inscrit le: 9/6/2009
De: Rouen, Mornes des esses et Casablanca
La descente (partie 1)
Je me présente Yves Janssens, je suis né le 18 février 1982 à Bruxelles, aujourd’hui j’ai 42 ans, je vais vous raconter mes problèmes d’addiction et comment je m’en suis sorti, l’année dernière.

Donc, nous sommes le 17 avril 2023, dans les profondeurs du métro bruxellois, j’errais, le visage fatigué et regard perdu, traînant un sac en plastique contenant mes maigres possessions. L’air humide des tunnels semblait peser sur mes épaules larges mais voûtées. Mon allure autrefois imposante, avec mon mètre quatre-vingt-sept et mes cent kilos de muscles, n’était plus qu’une caricature d’un homme brisé.  

Chaque matin, je m’éveillais sur un banc ou dans un recoin sombre de la station Gare Centrale. Une couverture abîmée m’enveloppait à peine, et mes premières pensées se concentraient inévitablement sur une seule chose : trouver une dose. Le crack, cet ennemi insidieux, dictait ma vie. Chaque journée était un combat acharné pour amasser quelques euros, acheter la drogue, puis sombrer à nouveau dans un nuage toxique de désespoir.  

Le soleil, que je ne voyais presque jamais, se levait sans moi. Je passais mes journées dans les couloirs souterrains, scrutant les visages des passants, espérant une pièce ou un regard de pitié. Certains me reconnaissaient et détournaient les yeux, d’autres m’ignoraient simplement. La honte que j’éprouvasse face à cette existence ne suffisait pas à freiner ma quête incessante.  
  
À midi, je me trouvais souvent près des distributeurs automatiques de la station De Brouckère. Le bruit mécanique des billets glissant hors des machines m’hypnotisait. J’observais les gens retirer de l’argent, analysant leurs gestes, cherchant des opportunités pour quémander ou, parfois, pour voler.  

Les rares euros que je parvenais à obtenir, souvent après de longues heures à tendre la main ou à mendier avec un gobelet en carton, étaient immédiatement utilisés. Une fois l’argent en main, je marchais d’un pas rapide vers un quartier que je connaissais bien, un lieu où les dealers opéraient en plein jour. Là, j’échangeais mon maigre butin contre des cailloux blancs, puis je retournais dans un coin reculé pour me perdre dans la fumée.  

C’était un cycle sans fin. Chaque bouffée m’éloignait un peu plus de la réalité, mais le soulagement était éphémère. La drogue m’apaisait à peine ; elle laissait rapidement place à une souffrance accrue, à une faim insatiable pour une nouvelle dose.  

Les rares instants de lucidité que j’avais, étaient les plus cruels. Dans ces moments, des souvenirs surgissaient comme des coups de poignard : les rires de mes filles, Ericka et Audeline, jouant au bord de l’étang un dimanche après-midi ; le regard amoureux de mon ex-femme lors de notre mariage.  

Je me revoyais, en costume, entrant dans les bureaux de l’assurance où je travaillais. J’étais un homme apprécié, compétent, dont le rire tonitruant faisait écho dans les couloirs. Aujourd’hui, ce même homme fouillait dans les poubelles pour y trouver des restes de nourriture.  

Je pensais souvent à Ericka, qui avait maintenant 14 ans. Elle devait être belle et intelligente, comme sa mère. J’imaginais qu’elle me haïssait, et cette idée me coupait le souffle. Quant à Audeline, à peine 9 ans, j’avais peur qu’elle oublie jusqu’à mon visage.  

Chaque soir, Je retrouvais Lara dans une station différente. Lara, cette femme qui m’avait entraîné dans ce gouffre. On s’était rencontré par hasard dans un bar, il y a quatre ans. Elle avait un rire rauque, une aura rebelle, et un regard hanté qui m’avait fasciné. On avait parlé toute la nuit, partagé nos douleurs, et finalement, elle m’avait présenté la drogue.  

Aujourd’hui, Lara n’était qu’une ombre. Ses joues creuses, ses mains tremblantes, son air absent... elle était mon miroir. Ensemble, on partageait notre misère, mais je sentais qu’elle m’enfonçait davantage. Je voulais fuir, mais je n’avais nulle part où aller.  

Certaines nuits, lorsque le métro fermait ses portes, j’errais dans les rues désertes, envahi par une douleur insupportable. Les réverbères projetaient mon ombre longue et vacillante sur les trottoirs sales. Je me tenais parfois au bord d’un pont, regardant les eaux sombres du canal.  

« Si je saute, tout s’arrête », pensais-je.  

Mais une voix en moi, ténue mais persistante, me retenait. Une promesse silencieuse, une étincelle d’espoir que je ne comprenais pas encore, m’empêchait de faire le dernier pas.  
Le 24 mai 2023, dans la station Arts-Loi, je m’étais assis sur un banc, fatigué, mes yeux fixant le vide. À 17h20, une femme s’approcha et s’assit à côté de moi. Elle portait des vêtements colorés et tenait un sac de courses. Elle semblait ordinaire, mais son sourire était d’une douceur inattendue.  

« Vous allez bien ? » demanda-t-elle.  

Je la regardais, décontenancé. Peu de gens me parlaient encore comme à un être humain. Je hochais la tête, trop surpris pour répondre.  

« Mon nom est Kaoutar. Vous êtes souvent ici à cette heure », ajouta-t-elle, presque en murmurant.  

Elle lui parla pendant quelques minutes, rien de grandiose, juste des mots simples sur sa journée, sa foi, et un verset biblique qu’elle aimait. J’écoutais, sans comprendre pourquoi je ne me levais pas pour partir.  

Quand elle quitta la station, je me sentis étrangement différent, comme si un petit poids avait été levé de mes épaules.  


Le lendemain de ma rencontre avec Kaoutar, j’étais de retour à Arts-Loi, toujours englué dans mon sombre quotidien. La nuit précédente n’avait été qu’une répétition de mon enfer habituel : des heures à chercher de quoi acheter ma dose, suivies de l’anesthésie temporaire de la drogue. Pourtant, un détail différent s’était immiscé dans mon esprit.  

Ce détail, c’était elle.  

Je ne comprenais pas pourquoi ces quelques minutes d’échange avec une inconnue continuaient de résonner en moi. Ses mots étaient simples, presque banals : « Dieu est proche de ceux qui ont le cœur brisé ». Pourtant, c’était comme si une note claire avait résonné dans un silence pesant.  

À 17h20, j’attendais. Je n’osais pas l’admettre, mais j’espérais la revoir. Quand Kaoutar apparut enfin, avec son regard calme, je me sentis presque soulagé.  

Elle s’approcha de moi avec la même douceur que la veille, comme si elle me connaissait depuis toujours. « Vous êtes encore là », me dit-elle.  

J’haussais les épaules. Je ne voulais pas avouer que je l’avais attendue. Mais elle, imperturbable, continua à me parler. Elle mentionna un épisode de sa propre vie, une période où elle avait elle aussi touché le fond après son divorce.  

« Vous savez, Yves... Ce n’est pas facile de croire quand tout semble perdu. Mais si vous faites un pas, juste un, vers la lumière, elle viendra à vous. »  

Cette phrase resta avec moi longtemps après son départ.  


Les jours suivants, je continuais ma routine. Chaque matin, je me levais avec le même poids : la quête incessante d’argent et de drogue. Les métros bruxellois devenaient mon champ de bataille, où j’affrontais les regards accusateurs, les échecs constants, et la faim qui me tordait le ventre.  

Un matin, j’ai croisé un miroir brisé dans une cabine désaffectée de la station Rogier. Je m’arrêtais et contemplais mon reflet. Les cernes marqués, les joues creuses, les vêtements en lambeaux... Je ne me reconnaissais plus.  

« Comment en suis-je arrivé là ? », pensais-je.  

Ce même jour, dans un moment de lucidité entre deux bouffées de crack, il écrivit le prénom *Ericka* sur le mur d’une station. Il resta là, le regard fixé sur ces lettres, les larmes montantes.  

Mais à 17h20, à Arts-Loi, je retrouvais Kaoutar. Chaque jour, elle restait un peu plus longtemps, discutant avec moi. Parfois, elle me parlait de sa foi ; d’autres fois, elle posait simplement des questions sur ma vie. Je restais évasif, mais je commençais à répondre.  
Ce soir-là, après ma conversation quotidienne avec Kaoutar, je fis une rencontre brutale avec mon passé. En passant par une ruelle près de la Gare du Midi, je tombais sur un vieil ami d’enfance, Lucas.  

Lucas, autrefois mon confident, était méconnaissable. Mince, rasé de près, vêtu d’un costume impeccable, il portait un regard incrédule en me reconnaissant.  

« Mon Dieu, Yves... c’est toi ? »  

Je sentis la honte monter en moi comme une vague. Je bredouillais une réponse évasive, mais Lucas insista. « Comment t’as pu tomber aussi bas ? Tu étais brillant, tu te souviens ? On avait des plans, des rêves ! »  

Ces mots me frappèrent comme un coup de poing. Je répliquais sèchement, mais Lucas ne s’offusqua pas. Il me tendit un billet de vingt euros avant de partir, un geste qui fit monter une bile amère dans ma gorge.  

Cette nuit-là, je dépensais l’argent pour du crack, mais cette fois, le soulagement ne vint pas. Seule restait une sensation de vide insupportable.  

Le 30 mai 2023 à 17h20, je se rendais à Arts-Loi. Kaoutar était là, comme chaque jour. Mais ce soir, j’étais différent. Les mots de Lucas tournaient en boucle dans ma tête, et le visage de Kaoutar semblait représenter l’unique bouée de sauvetage dans mon naufrage.  

« Pourquoi vous me parlez ? » demandais-je brusquement.  

Kaoutar me regarda avec patience. « Parce que je crois en vous. »  

Cette réponse me désarma. Personne ne m’avait dit cela depuis des années.  

Pour la première fois, je parlais. Vraiment. Je lui racontais comment Lara m’avait entraîné dans l’addiction, comment j’avais tout perdu, comment je pensais au suicide chaque jour.  

Kaoutar m’écouta sans interruption. Quand j’ai terminé, les larmes coulant sur mon visage, elle posa doucement une main sur mon bras.  

« Ce n’est pas trop tard, Yves. Vous n’êtes jamais seul. Je veux que vous y croyiez. Dieu vous voit, même dans cet état. »  

Le lendemain, je passais la journée dans une étrange torpeur. Mes pensées tournaient autour de ce que Kaoutar avait dit : « Vous n’êtes jamais seul. »
Cela semblait absurde, mais je voulais y croire.  

Ce soir-là, je ne consommais pas. Je ne savais pas pourquoi, mais je m’étais simplement assis sur un banc, les mains jointes, essayant maladroitement de prier.  


Je m’éveillais sur le banc d’une station, le corps courbaturé. La nuit avait été longue, mais je n’avais pas consommé. Pour la première fois en des mois, mon esprit n’était pas engourdi par la drogue, et la réalité frappait avec une violence insoutenable.  

Chaque bruit dans le métro semblait amplifié. Les conversations des passants, le grincement des rames, les annonces automatiques… tout devenait une cacophonie oppressante. Je me tenais la tête, envahi par une anxiété que je ne pouvais fuir.  

À midi, alors que j’arpentais les couloirs de la station Rogier, mon corps commença à se rebeller. Les sueurs froides, les tremblements, cette douleur sourde dans mes membres... Je connaissais trop bien ces symptômes : le manque. Chaque cellule de mon être réclamait la drogue.  

Je me tenais contre un mur, respirant avec difficulté. Des passants me dévisageaient, certains murmuraient entre eux, mais personne ne s’arrêtait. J’avais l’impression d’être un animal blessé, exposé à la lumière crue de l’indifférence.  

Une pensée traversa mon esprit : « Pourquoi je m’inflige ça ? Une seule dose, et tout ce mal disparaît. »

Mais cette fois, quelque chose me retint. Le visage de Kaoutar apparut dans mon esprit, avec ses paroles de la veille : « Vous n’êtes jamais seul. »
Je ne comprenais pas pourquoi, mais ces mots résonnaient encore.  

Tout l’après-midi, j’errais sans but, essayant de me distraire. Je comptais les dalles sur le sol du métro, je suivais des silhouettes au hasard, je tentais de me convaincre que je n’avais pas besoin de crack. Mais la tentation revenait comme une vague, de plus en plus forte.  

À plusieurs reprises, j’ai failli céder. Une fois, j’ai tendu même une main tremblante vers un billet froissé dans ma poche, prêt à retourner chez un dealer. Mais je m’arrêtais net.  

Je me surpris à murmurer : « Aide-moi. » À qui m’adressais-je ? À Dieu ? À moi-même ? Je n’en savais rien.  

Quand Kaoutar apparut à Arts-Loi, je me précipitais vers elle comme un naufragé voyant une bouée.  

« Vous avez encore quelques minutes pour moi ? » demandais-je, essoufflé.  

Elle me répondit par un sourire, s’assit à mes côtés, et me tendit une bouteille d’eau. « Je vous vois souvent ici, Yves. Aujourd’hui, vous avez l’air... différent. »  

Je hochais la tête, puis, dans un souffle, j’avouais : « Je n’ai pas consommé depuis hier. »  

Kaoutar posa sa main sur mon épaule. « C’est un premier pas, Yves. Même si c’est difficile, vous avez commencé quelque chose. »  

On parla pendant dix minutes. Je partageais ma journée, mes luttes, mes envies de céder. Kaoutar écoutait attentivement, sans jugement. Avant de partir, elle me remit un petit carnet.  

« Écrivez-y tout ce que vous ressentez, même les pires choses. Et chaque soir, si vous pouvez, notez une chose pour laquelle vous êtes reconnaissant. »  

J’acceptais, intrigué.  


Les jours suivants furent un combat acharné. J’oscillais entre l’envie de m’en sortir et l’attrait irrésistible du crack. Je passais des nuits blanches, assis sur des bancs ou dans des coins sombres du métro, les mains tremblantes et l’esprit assailli par des pensées contradictoires.  

Le carnet devint un exutoire. J’y griffonnais des mots, des phrases brisées, parfois rien de plus que des gribouillis furieux.  

2 juin : « Je déteste cette vie. Mais je veux essayer. »

3 juin : « Aujourd’hui, j’ai volé une pomme. Je suis désolé. »
 
4 juin : « Merci à Kaoutar. Sans elle, je serais déjà mort. » 


En ce jour du 5 juin, la tentation finit par être plus forte. Ce jour-là, après une matinée passée à mendier sans succès, je trouvais un portefeuille abandonné sur un siège du métro. J’hésitais, puis je l’ouvris. Il contenait 50 euros.  

Une heure plus tard, j’avais acheté de quoi me défoncer.  

La première bouffée apporta un soulagement immédiat, mais aussi une vague de honte si écrasante que j’en pleurais. Assis seul dans un recoin sombre, je me maudissais. Je repensais à Kaoutar, au carnet, à mes filles, et je me sentais indigne de tout.  

Cette nuit-là, je retournais à Arts-Loi, bien après l’heure habituelle. J’espérais croiser Kaoutar, mais elle n’était pas là. Le métro se vidait, et je restais assis, incapable de bouger, envahi par un sentiment d’échec. Je ne pouvais pas me confier à mon soutient.  


Le lendemain, je retournais à Arts-Loi, le cœur lourd. Je craignais de revoir Kaoutar. J’avais peur qu’elle devine ma rechute, peur de la décevoir.  

À 17h20, elle arriva comme d’habitude. Je baissais les yeux, incapable de soutenir son regard.  

« Yves ? Ça va ? » demanda-t-elle doucement.  

Je hochais la tête, puis, incapable de mentir, murmurais : « J’ai cédé hier. »  

Kaoutar s’assit en silence, réfléchissant. Puis elle me dit : « Vous êtes humain, Yves. Vous tomberez encore, peut-être. Ce qui compte, c’est de vous relever chaque fois. »  

Ces mots me serrèrent le cœur. Je sentais les larmes monter et, pour la première fois, je pleurais devant elle.  

Kaoutar me tendit un mouchoir. « Ce que vous faites est difficile, mais vous n’êtes pas seul. Dieu voit vos efforts, même ceux que vous pensez insignifiants. Continuez. »  
À partir de ce jour, je m’accrochais avec plus de force. Mes journées restaient un mélange de luttes, de tentations, et de petites victoires. Les mots de Kaoutar devenaient un mot d’ordre :
« Vous n’êtes pas seul. »

Chaque soir, j’écrivais dans mon carnet, cherchant des raisons de continuer, des fragments de lumière dans l’obscurité.  


Les jours suivant ma rechute, furent marqués par un retour à la routine désespérée. Chaque matin, je me levais dans une nouvelle station de métro, sans but précis, juste un besoin incessant de retrouver la dose qui m’offrait un moment d’évasion. Mais les mots de Kaoutar me hantaient, et je me sentais prisonnier d’un piège que je n’avais jamais imaginé. Je la voyait souvent dans la station Arts-Loi à 17h20, et chaque jour, ses paroles s’incrustaient un peu plus profondément dans mon esprit.  

Aujourd’hui, quelque chose en moi allait changer. Ce matin-là, je me levais avec une décision que je n’avais jamais eue depuis des mois : j’allais parler à Kaoutar. J’allais lui poser la question qui me brûlait depuis que l’on se connaissait. Pourquoi elle ? Pourquoi cette femme d’origine maghrébine, avec ses cheveux noirs et sa gentillesse, qui semblait rayonner d’une lumière que je n’avais jamais connue, m’aidait-elle sans arrière-pensée ?  

Quand Kaoutar arriva, je ne pus plus me retenir. Je la rejoignais dans le coin habituel de la station.  

« Kaoutar, il faut que je vous demande quelque chose... » commençais-je, hésitant.  
Elle me regarda dans les yeux, toujours aussi calme. « Bien sûr, Yves. »  

« Pourquoi... pourquoi vous m’aidez ? Je suis rien. Je suis... j’ai tout gâché... Toute… Toute ma vie. »

Je baissais les yeux, gêné. « Vous êtes...Êtiez… Une femme musulmane, non ? Pourquoi vous êtes devenue chrétienne ? »  

Kaoutar sembla surprise par la question, mais elle sourit doucement.  

« J’étais musulmane, oui. » Elle marqua une pause avant de continuer. « Mais j’ai trouvé ma voie, ma vraie voie, en Jésus. Vous savez, ma famille m’a élevée dans la tradition, mais à un moment donné, je ne comprenais plus pourquoi je vivais. J’avais des questions, des doutes... tout semblait vain. Et puis, Jésus est venu dans ma vie, de manière inattendue, mais il a tout changé. »  

J’écoutais attentivement, absorbant chaque mot. Un flot d’émotions nouvelles montait en moi, comme si une porte s’ouvrait sur un autre monde.  

« Vous ne croyez pas qu’une femme comme vous, maghrébine, puisse devenir chrétienne ? » demandais-je, encore incrédule.  

Kaoutar me regarda avec tendresse. « Jésus n’a pas de frontières, Yves. Il ne regarde pas la couleur de notre peau ou d’où nous venons. Il nous aime tous, chacun de nous. »  

Ces mots me frappèrent de plein fouet. Je n’avais jamais considéré la foi sous cet angle. Pour moi, la religion était toujours une cause de division, un mur entre les gens. Mais Kaoutar venait de briser ce mur, sans même le vouloir, en me parlant d’une relation et non d’une religion.  


Le lendemain, Kaoutar arriva avec un sac en plastique. Je n’eu pas besoin de demander, je savais ce qu’il contenait. La dernière fois, elle m’avait déjà tendu une bouteille d’eau. Mais aujourd’hui, le sac était plus lourd.  

« J’ai pensé que vous n’aviez pas mangé depuis un moment... » dit-elle en souriant.  

Je la regardais, abasourdi. « Vous m’avez apporté à manger ? »  

Elle hocha la tête. « Vous devez reprendre des forces. Vous ne pouvez pas vous en sortir sans prendre soin de votre corps. »  

Je pris le sac, hésitant. C’était la première fois qu’on m’apportait de la nourriture par simple générosité depuis bien longtemps. C’était plus qu’un simple repas. C’était un geste d’amour, de fraternité, quelque chose que je n’avais pas connu depuis ma chute. Je tremblais légèrement en recevant le sac. Une boule se forma dans ma gorge, et je me sentais submergé par une gratitude que je n’arrivais pas à exprimer.  

« Vous êtes la seule personne qui m’aide encore... » disais-je dans un murmure, les yeux embués de larmes.  
Kaoutar posa une main douce sur mon épaule. « Parce que vous le méritez, Yves. Parce que vous avez encore une chance, et je crois que vous la saisirez. »  


Les jours passèrent, et malgré mes luttes intérieures, je commençais à ressentir une force nouvelle. Chaque jour, Kaoutar restait un peu plus longtemps à discuter avec moi. On parlait de tout : de la vie, de la foi, de la souffrance, mais aussi des petites victoires. Je partageais mes réflexions, mes doutes, et peu à peu, Kaoutar me montrait un amour qui n’avait rien à voir avec de la pitié. C’était un amour fraternel, pur et inébranlable.  

Elle m’enseigna des prières simples, m’aidant à retrouver un contact avec Dieu. Ce n’était pas une conversion immédiate, mais un cheminement. Je me rendais compte que je n’avais plus l’intention de fuir. Pour la première fois depuis des années, j’envisageais l’idée de me reconstruire.  

Un après-midi, alors qu’on était assis sur un banc dans la station, Kaoutar me posa une question qui fit écho à tout ce que je ressentais.  

« Yves, est-ce que vous avez un rêve ? »  

Je restais un instant sans réponse. Je n’avais plus de rêves. Plus d’espoir. Mais à cet instant, quelque chose en moi changea. Je regardais Kaoutar, cette femme qui croyait en moi sans raison apparente, et une pensée naquit en moi.  
« Mon rêve... Mon rêve, c’est de revoir mes filles. De les rendre fières. De leur montrer que je peux m’en sortir. »  

Kaoutar sourit, un sourire empli de douceur. « Vous pouvez. Je vous crois, Yves. »  

Pour la première fois depuis longtemps, J’ai senti une étincelle d’espoir. Peut-être que je pouvais y arriver. Peut-être que je pourrais reconstruire ce que j’avais perdu.  


Les jours suivants, je me battais contre moi-même. Je savais que le chemin serait semé d’embûches, que les rechutes seraient inévitables, mais je me sentais prêt à les affronter. Kaoutar devenait mon phare dans cette nuit noire. Elle ne m’offrait pas de solutions miraculeuses, mais sa présence, sa foi, et son amour inconditionnel me donnaient la force de me relever chaque jour.  

Ce matin-là, avant d’aller la retrouver, j’écrivis dans mon carnet :  

« Je veux être un homme meilleur. Pour elles. Pour moi. »

Je savais que ce ne serait pas facile, mais pour la première fois depuis longtemps, je voyais un futur possible. Un futur où la rédemption n’était pas une illusion. Et pour la première fois depuis longtemps, je croyais en ce futur.


Les jours passaient et je continuais à suivre un chemin semé d’embûches. Chaque matin, je me levais avec un léger espoir, mais je luttais contre mes démons intérieurs. Le besoin de drogue me taraudait sans cesse, comme une ombre que je ne pouvais chasser. Pourtant, chaque fois que je croisais le regard de Kaoutar, je me rappelais pourquoi je devais continuer.  

Le 11 juin, après une nuit agitée, où je m’étais à peine endormi, je me rendis dans la station Arts-Loi à l’heure habituelle. Mes pensées étaient plus lourdes que d’habitude, et je me sentais à la fois fier de n’avoir pas cédé à la tentation, mais aussi fatigué par l’effort constant que cela me demandait.  

Je trouvais Kaoutar assise sur notre banc habituel, un léger sourire aux lèvres. Comme chaque jour, elle me tendit une bouteille d’eau, puis s’assit près de moi.  

« Comment allez-vous aujourd’hui ? » demanda-t-elle, sa voix douce, rassurante.  

Je soupirais, cherchant mes mots. Je n’avais pas envie de mentir. Je savais que chaque conversation avec Kaoutar était un moment où je pouvais être honnête. Mais aujourd’hui, quelque chose en moi voulait dire toute la vérité.  

« Je... je lutte encore. C’est difficile. Parfois, je me demande si je suis fait pour ça. Je me sens trop faible, trop sale pour m’en sortir. »  

Kaoutar me regarda dans les yeux, son regard rempli de bienveillance. « Yves, il n’y a pas de faiblesse à admettre que l’on a besoin d’aide. Vous n’êtes pas seul dans cette bataille. »  

Elle fit une pause avant d’ajouter : « Vous savez, la vérité est souvent la première étape pour guérir. La vérité sur ce que vous êtes, sur ce que vous avez vécu... Vous devez accepter votre passé pour avancer. Mais ce passé ne vous définit pas. Ce qui compte, c’est ce que vous choisissez de devenir maintenant. »  

Les mots de Kaoutar me frappèrent comme une vérité nue. Pour la première fois depuis longtemps, je me suis senti prêt à regarder mon passé en face, sans honte, sans peur. J’avais été un homme perdu, mais j’étais encore en vie. Et ça, ça avait une signification.  


Le lendemain, je pris une décision difficile. Je savais que pour avancer, je devais faire face à mes erreurs, à mon passé, sans plus fuir. Ce matin-là, j’allais chez un thérapeute, une étape que j’avais redoutée pendant longtemps. Mais Kaoutar m’avait poussé à franchir ce pas. Elle m’avait dit : « Si vous voulez vraiment guérir, il faut d’abord accepter de vous regarder dans un miroir. »  

Chez le thérapeute, je me senti vulnérable, mais étrangement libéré. Je parlais de ma descente dans l’addiction, de mon divorce, de mon échec en tant que père. Je parlais de Lara, de la douleur que j’avais ressentie en perdant tout, de la honte qui m’avait englouti.  

Les larmes que j’avais retenues si longtemps commencèrent à couler. Mais au lieu de les repousser, je les laissais couler, sans honte. Chaque mot, chaque souvenir, semblait alléger un peu plus le fardeau que je portais depuis des années.  
À la fin de la session, le thérapeute me sourit. « Vous avez fait un grand pas aujourd’hui, Yves. Ne vous laissez pas rattraper par votre passé. Utilisez-le pour vous bâtir. »  


Ce soir-là, après sa séance, je me rendis à Arts-Loi, plus serein. Les premières étapes étaient franchies, mais je savais que le chemin serait encore long. Quand j’aperçus Kaoutar, je me senti presque reconnaissant, comme si elle avait été la clé de ce déclic intérieur.  

Elle me regarda, son regard rempli de douceur, et devina immédiatement que quelque chose avait changé en moi.  

« Comment ça s’est passé ? » me demanda-t-elle.  

Je pris une profonde inspiration. « C’était dur... mais nécessaire. Je... je crois que j’ai enfin accepté ce que j’étais, ce que j’ai fait. Et maintenant, je peux essayer de réparer. »  

Kaoutar sourit, ses yeux brillants de fierté. « C’est ça, Yves. Vous êtes en train de reprendre votre vie en main. Ce que vous avez fait hier ne vous définit plus. Ce qui compte, c’est ce que vous faites aujourd’hui. »  

Ce soir-là, Kaoutar m’apporta à nouveau de la nourriture, mais ce n’était pas juste un geste de compassion. C’était un acte d’amour fraternel, quelque chose qu’il n’avait pas connu depuis longtemps. Elle s'assura que je mangeais, que je prenais soin de moi, et me rappela de nouveau que je n'étais pas seul.  


Les journées suivantes se déroulèrent de manière plus fluide, mais ma lutte intérieure ne cessait jamais complètement. Le besoin de drogue revenait, parfois plus fort, mais j’apprenais à le repousser. Kaoutar était là, chaque jour un peu plus, pour me soutenir et m’écouter. On prenait quelques minutes à chaque rencontre pour discuter, partager nos pensées.  

Un jour, Kaoutar lui parla de sa propre vie, de ses rêves d’enfance, de la famille qu’elle avait laissée au Maroc pour venir en Belgique. J’écoutais avec attention, trouvant dans ses mots une résonance que je n’avais pas anticipée. Je me rendais compte que je ne connaissais pas seulement le vide, la douleur et l’échec. J’avais aussi découvert une forme d’amour, un amour pur et inconditionnel. Kaoutar me montrait une forme d’amour fraternel que je n’avais jamais connu depuis ma chute. Elle n’attendait rien en retour, si ce n’est que je trouve la force de me relever.  

Le regard de Kaoutar était toujours bienveillant, mais aussi rempli de conviction. Elle croyait en moi, et cela commençait à me faire croire en moi-même. Je ne savais pas encore comment j’allais m’en sortir, mais je savais une chose : je n’étais plus seul. Grâce à Kaoutar, grâce à Dieu, j’avais une chance de renaître. Et cette chance, je comptais bien la saisir.  


En ce matin du 15 juin, je me levais avant l’aube. Je me rendi dans la même station de métro, mais cette fois-ci, je n’étais pas là pour mendier ou chercher une dose. J’étais là pour commencer quelque chose de nouveau. J’allais voir un centre de désintoxication, j’allais m’engager dans une voie que je n’avais jamais osé emprunter.  
Avant de partir, j’écrivis dans mon carnet :  
« Ce n’est pas la fin. C’est un nouveau début. »

Je me sentais plus léger, comme se je m’étais enfin libéré de certaines chaînes invisibles qui m’avaient tenu prisonnier pendant trop longtemps. Et à travers tout cela, Kaoutar restait présente, inébranlable.  

Je n’avais pas encore trouvé la rédemption complète, mais je savais que c’était possible, que je pouvais me reconstruire. Et je savais que j’avais trouvé un véritable soutien, une main tendue vers moi. Et ça, c’était tout ce dont j’avais besoin pour avancer.  


Le lendemain, était le jour où j’entrais pour la première fois dans le centre de réhabilitation, je sentis une appréhension que je n'avais pas anticipée. Je me tenais devant la porte, les mains moites, mon cœur battant la chamade. Derrière moi, le métro continuait de gronder, la ville vivait sans moi. Mais aujourd'hui, je n'étais plus ce spectre errant dans les rues. J’allais enfin chercher la liberté, ma liberté.  

Je m'éloignais du bruit du monde extérieur, du tumulte du métro, pour pénétrer dans ce lieu calme, presque désert. Un endroit où des gens, comme moi, luttaient contre leurs addictions. Je pris une grande inspiration et poussais la porte.  

À l’intérieur, l’atmosphère était différente. Les murs étaient blancs, presque aseptisés, mais il y avait quelque chose de rassurant dans la sérénité du lieu. Des voix se mélangeaient, des murmures de personnes qui, comme moi, cherchaient à reconstruire ce qu’elles avaient perdu. Je me sentais un instant perdu, mais je me rappelais les mots de Kaoutar : « Vous n’êtes pas seul, Yves. »

Je me rendais à l’accueil et je rencontrais un conseiller, une femme d’une quarantaine d’années nommée Claire. Elle me posa des questions simples, mais qui eurent l'effet d’un électrochoc : « Pourquoi êtes-vous ici, Yves ? »  

Je me sentais hésiter un instant. C’était la première fois que je mettais des mots sur ce que je ressentais. Je pris une profonde inspiration.  

« Parce que je suis fatigué de vivre comme ça. Je veux être mieux. Pour mes filles, pour moi-même. »  

Claire sourit. « C’est un excellent début. »  

Bien que toujours angoissé, je ressentais une sorte de soulagement. Je savais que ce ne serait pas facile, mais à cet instant, je venais de faire le premier pas vers ma guérison.  


Les journées au centre étaient longues et ardues. Je passais du temps avec les autres patients, j’écoutais leurs histoires, et je me rendais compte que chacun portait un fardeau unique. Les premières séances de groupe étaient éprouvantes. Je parlais peu, mais j’écoutais attentivement, absorbant chaque parole, chaque confession. Je me rendais compte que je n’étais pas le seul à être tombé si bas, mais aussi qu’il n’était pas trop tard pour me relever.  

Un jour, après une séance particulièrement difficile, je sortis du centre pour prendre l’air. Je m’étais assis sur un banc dans un parc à proximité. C’est alors que mon téléphone vibra. Il s’agissait d’un message de Kaoutar :  

« Comment ça va, Yves ? Tu tiens bon ? » 

Je sentis un léger sourire naître sur mes lèvres. Je lui répondis rapidement :  

« Je tiens bon, Kaoutar. C’est pas facile, mais je me bats. Merci de m’avoir montré qu’il y avait une autre voie. »

Elle répondit presque instantanément : « Tu n’as pas à me remercier. C’est toi qui fais le travail, c’est toi qui choisis d’avancer. Je crois en toi. » 

Ses mots résonnèrent profondément en moi. La douceur et la conviction de Kaoutar étaient plus puissantes que n’importe quel médicament que j’avais pu prendre pour échapper à ma souffrance. Cet amour fraternel, sans jugement, me soutenait chaque jour. Je me rendais compte que la guérison ne venait pas seulement du traitement que je suivais, mais aussi de l’amour inconditionnel que je recevais des autres.  


Le 18 juin 2023 malgré le soutien de Kaoutar et du centre, je savais que j’allais devoir affronter de nombreux démons. Le chemin vers la guérison était semé d’embûches. Les journées étaient rythmées par des moments de doute et de souffrance.  

Un après-midi, après une séance où j’avais été confronté à mes pires souvenirs, je me retrouvais seul dans ma chambre du centre, les yeux fixés sur le plafond. Un vieux démon refit surface, celui de l’auto-destruction. Je me sentais submergé par le poids de mes erreurs, par le fossé que j’avais creusé entre ma famille et moi. Comment pourrais-je jamais réparer tout ce que j’avais fait ?  

Je m'emparais de son carnet et j’écrivis :  

« Je suis fatigué de tout ça. J’ai gâché ma vie, j’ai gâché tout ce que j’avais de précieux. »  

Mais au moment où je m’apprêtais à refermer mon carnet, je me rappelais une autre phrase que Kaoutar m’avait dite : « Vous n’êtes pas défini par vos erreurs, Yves. Vous êtes défini par ce que vous faites pour les réparer. »  

Mes mains tremblèrent, mais j’écrivis, d’un trait rapide :  
« Je me relève. Pour mes filles, pour moi-même, je me relève. » 

Je fermais le carnet, les yeux remplis de larmes. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentis prêt à affronter l'avenir, à affronter ma propre vérité.  


Les semaines passèrent, et je continuais mon programme au centre. Mes progrès étaient lents, mais je me sentais chaque jour un peu plus fort, vivant. Le plus grand test arriva un matin, lorsque Claire, la thérapeute, m’annonça que j’avais l’opportunité de voir mes filles. Elles avaient accepté de me rencontrer, mais seulement à une condition : que je sois propre, que je sois dans un état d’esprit stable.  

Le jour de la rencontre arriva. Je me rendis au parc où j’avais l’habitude de rencontrer Kaoutar, mais cette fois-ci, je n’étais pas seul. J’attendais avec appréhension, le cœur battant. Puis je les aperçu au loin, Ericka et Audeline, marchant vers moi. Elles avaient grandi depuis la dernière fois que je les avais vues. Ericka, 14 ans, était grande et forte, tandis qu’Audeline, 9 ans, avait un sourire timide mais confiant.  

Je me levais, les bras tendus, mais mes filles restèrent à distance. Je les regardais, le visage rempli de honte, mais aussi de tendresse.  

« Papa, tu... tu vas mieux ? » me demanda Ericka, avec une voix que j’avais du mal à reconnaître.  

Je hochais la tête, les yeux remplis de larmes. « Oui, je vais mieux. Je vais me battre pour vous, pour moi. Je suis désolé, j’ai été un mauvais père. »  

Audeline s’approcha doucement, et à ma surprise, elle posa ses bras autour de moi. « Papa, on t’aime. »  

Mes larmes coulèrent sans retenue. Je serrais ma fille contre moi, et pour la première fois depuis des années, je me sentis vivant, connecté à quelque chose de réel, de vrai.  

Ce fut une rencontre difficile, mais elle marqua un tournant pour moi. Je savais que le chemin serait long, mais j’étais prêt à tout donner pour me reconstruire, pour réparer les liens brisés. Kaoutar avait raison : je n’étais pas seul. Et tant que je me battais, il y avait toujours de l’espoir.  

Après la rencontre avec mes filles, je ressentais une bouffée de soulagement, mais aussi une pression nouvelle. Pour la première fois depuis longtemps, j’avais un but tangible, quelque chose pour lequel me battre. Mais en même temps, une angoisse profonde s'était installée en moi : allais-je être capable de maintenir mes progrès ? Mes filles m’avaient montré un amour que je n’avais pas mérité, et je ne pouvais pas, ne devais pas, les décevoir à nouveau.  

Les journées au centre étaient désormais rythmées par cette nouvelle motivation. Je me levais tôt, je me présentais aux séances avec un esprit plus clair, plus déterminé. Mais chaque soir, lorsque je retournais dans ma chambre, les pensées sombres refaisaient surface. Parfois, la solitude était plus lourde à porter que l’angoisse de la rechute. La tentation du passé était toujours là, tapie dans l’ombre.  


Le 20 juin, après une journée d’introspection difficile, je me rendis à Arts-Loi. Kaoutar m’attendait, comme d’habitude, mais aujourd’hui, quelque chose était différent dans son regard. J’avais l’impression qu’elle pouvait lire en moi, deviner les luttes que je n’avais pas encore partagées.  

« Kaoutar, je ne sais pas si je vais réussir à tenir. » Je m’assis près d’elle, les mains serrées sur mes genoux. « Chaque jour, je sens que je fais un pas en avant, mais je sais que je pourrais tout perdre en un instant. »  

Kaoutar me regarda, un regard ferme et doux à la fois. « Tu fais déjà plus que tu ne crois, Yves. La guérison n’est pas une ligne droite. Il y aura des hauts et des bas, des moments où tu te sentiras faible, mais tant que tu te relèves après chaque chute, tu avances. »  

Elle marqua une pause, puis ajouta : « Je sais que c’est difficile, mais tu ne l’as pas fait tout seul jusqu’ici. Tu as appris à accepter l’aide des autres, et c’est cela qui fait toute la différence. »  

Je la regardais, mon regard se noyant dans celui de Kaoutar. Je me rendais compte, avec une clarté nouvelle, que je ne se battais plus seul. Les premières fois où j’avais croisé son regard, je n’avais pas compris pourquoi elle s’intéressait à moi. Maintenant, je savais. Elle m’avait tendu la main, mais c’était moi qui avais dû choisir de la saisir. Et j’avais fait ce choix, encore et encore.  


Les semaines passèrent, et je continuais mon travail au centre. Les rechutes n’étaient pas rares, mais je m’efforçais de les accepter comme des étapes inévitables de mon chemin. À chaque difficulté, Je me souvenais des conseils de Kaoutar, de ses paroles pleines de sagesse : « Vous n’êtes pas défini par vos erreurs, mais par votre volonté de changer. » 

Un matin, Claire, la thérapeute, m’annonça une nouvelle importante : « Yves, tu es prêt pour un nouveau programme. Nous avons un groupe de soutien pour les parents, pour ceux qui souhaitent se réconcilier avec leurs enfants. »  

Je me sentais submergé par l’émotion. Je n’avais pas osé y penser, mais l’idée de pouvoir restaurer une relation avec mes filles, d’être un père à nouveau, me donnait une raison supplémentaire de continuer.  

Ce programme allait être difficile, mais je savais que ce serait aussi une chance inouïe de réparer ce que j’avais brisé. Je me sentais terrifié à l’idée d’affronter mes propres faiblesses, mais une part de moi savait que je devais le faire. Cela faisait partie de mon chemin de rédemption.  

Le soir du 22 juin, alors que je rentrais au centre après une séance particulièrement épuisante, j’aperçu un visage familier dans le métro. C’était Lara, l’ancienne toxicomane qui avait joué un rôle majeur dans ma chute. Elle m’observait de loin, son regard vide, mais rempli de cette même dépendance que j’avais vue en elle des années auparavant.  

Je m’arrêtais, mon cœur battant plus fort. Un mélange de colère, de regret, et de honte m’envahit. Lara s’approcha de moi, ses mains tremblantes, son regard suppliant.  

« Yves, tu... tu es allé dans ce centre ? » Elle avait un sourire faible, mais je n’y voyais plus cette séduction manipulatrice qui m’avais envoûté autrefois.  

Je la fixais longuement. Le passé frappait à la porte, mais aujourd’hui, j’étais différent. Aujourd’hui, je savais ce que je devait faire.  

« Lara, je ne peux plus te suivre. Je t’ai pardonné, mais je ne peux plus te laisser m’entraîner dans cette chute sans fin... » Je me redressais, mon ton ferme mais calme. « Je me bats pour une autre vie. »  

Elle resta là, figée, le regard perdu, tandis que je m’éloignais. Je me sentais plus léger. Je savais que je venais de faire un pas important dans ma guérison, un pas qui m’éloignait encore un peu plus de la personne que j’avais été.  

Le 23 juin, après une longue semaine de travail au centre, j’ai appelé Ericka. Je n’avais pas osé la contacter avant, de peur qu’elle me rejette, mais aujourd’hui, je sentais que c’était le moment. Je me tenais dans un coin du parc, le téléphone à l’oreille, mon cœur battant la chamade.  

Quand la voix de ma fille répondit, je sentis la tension se relâcher dans mes épaules.  

« Ericka... C’est papa. »  

J’attendais un moment, incertain de la réaction qu’elle allait avoir. Puis, au bout de quelques secondes, elle répondit, sa voix hésitante mais douce.  

« Papa, tu vas bien ? »  

Je me sentis submergé. « Oui, je vais mieux. Je travaille dur pour ça. Je veux te dire que je me bats pour revenir dans ta vie, pour être un père pour toi. »  

Ericka resta silencieuse un instant, puis répondit : « Je suis contente que tu ailles mieux, papa. »  

Les mots étaient simples, mais pour moi, ils étaient tout ce dont j’avais besoin. Ils étaient un signe que la route n’était pas encore terminée, mais que je pouvais enfin avancer, un pas après l’autre.  


Les jours suivants, je me concentrais sur les petites victoires. Je continuais mon programme au centre, mais je savais que chaque moment que je passais avec mes filles, chaque progrès dans ma guérison, était un pas vers un avenir plus lumineux.  

À chaque rencontre avec Kaoutar, je me sentais un peu plus fort. Son soutien, sa foi inébranlable, me donnaient la confiance nécessaire pour avancer. J’avais compris que la guérison ne venait pas seulement de la lutte contre la drogue, mais de l’amour que je recevais et que j’offrais.  

J’écrivais dans mon carnet tous les jours. Parfois des pensées confuses, parfois des paroles pleines de douleur, mais de plus en plus, des mots de gratitude, de progrès, et d’espoir.  

« Je suis en train de me reconstruire, lentement, mais sûrement. Je n’ai pas tout réparé, mais je me bats pour ça. Et ça, c’est suffisant. »

Chaque jour était une victoire. Un pas en avant vers la liberté, vers une vie pleine de sens, vers l’amour retrouvé.
Sybilla
Envoyé le :  18/12/2024 0:51
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Re: La descente (partie 1)
Bonsoir Mr_guyguy,

De nouveau une histoire extrêmement captivante du début à la fin.

J'ai hâte de lire la suite !



Belle soirée Cher Ami poète Mr_guyguy !
Toutes mes amitiés
Sybilla


----------------
Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates ""réelles"" de parution.

Le rĂŞve est le poumon de ma vie (Citation de Sybilla)

Mr_Guyguy
Envoyé le :  18/12/2024 8:31
Plume d'or
Inscrit le: 9/6/2009
De: Rouen, Mornes des esses et Casablanca
Re: La descente (partie 1)
Bonjour Sybilla,

Je te remercie pour ton commentaire. La suite arrive bientĂ´t ^^.

Bonne journée à toi!

Amitiés.
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