Plume d'or ![](https://www.oasisdesartistes.org/uploads/rank3dbf8ea81e642.gif) ![](https://www.oasisdesartistes.org/uploads/cavt50f01942c7bb9.png) Inscrit le: 9/6/2009 De: Rouen, Mornes des esses et Casablanca |
La descente (partie 1) Je me présente Yves Janssens, je suis né le 18 février 1982 à Bruxelles, aujourd’hui j’ai 42 ans, je vais vous raconter mes problèmes d’addiction et comment je m’en suis sorti, l’année dernière.
Donc, nous sommes le 17 avril 2023, dans les profondeurs du mĂ©tro bruxellois, j’errais, le visage fatiguĂ© et regard perdu, traĂ®nant un sac en plastique contenant mes maigres possessions. L’air humide des tunnels semblait peser sur mes Ă©paules larges mais voĂ»tĂ©es. Mon allure autrefois imposante, avec mon mètre quatre-vingt-sept et mes cent kilos de muscles, n’était plus qu’une caricature d’un homme brisĂ©. Â
Chaque matin, je m’éveillais sur un banc ou dans un recoin sombre de la station Gare Centrale. Une couverture abĂ®mĂ©e m’enveloppait Ă peine, et mes premières pensĂ©es se concentraient inĂ©vitablement sur une seule chose : trouver une dose. Le crack, cet ennemi insidieux, dictait ma vie. Chaque journĂ©e Ă©tait un combat acharnĂ© pour amasser quelques euros, acheter la drogue, puis sombrer Ă nouveau dans un nuage toxique de dĂ©sespoir. Â
Le soleil, que je ne voyais presque jamais, se levait sans moi. Je passais mes journĂ©es dans les couloirs souterrains, scrutant les visages des passants, espĂ©rant une pièce ou un regard de pitiĂ©. Certains me reconnaissaient et dĂ©tournaient les yeux, d’autres m’ignoraient simplement. La honte que j’éprouvasse face Ă cette existence ne suffisait pas Ă freiner ma quĂŞte incessante.    À midi, je me trouvais souvent près des distributeurs automatiques de la station De Brouckère. Le bruit mĂ©canique des billets glissant hors des machines m’hypnotisait. J’observais les gens retirer de l’argent, analysant leurs gestes, cherchant des opportunitĂ©s pour quĂ©mander ou, parfois, pour voler. Â
Les rares euros que je parvenais Ă obtenir, souvent après de longues heures Ă tendre la main ou Ă mendier avec un gobelet en carton, Ă©taient immĂ©diatement utilisĂ©s. Une fois l’argent en main, je marchais d’un pas rapide vers un quartier que je connaissais bien, un lieu oĂą les dealers opĂ©raient en plein jour. LĂ , j’échangeais mon maigre butin contre des cailloux blancs, puis je retournais dans un coin reculĂ© pour me perdre dans la fumĂ©e. Â
C’était un cycle sans fin. Chaque bouffĂ©e m’éloignait un peu plus de la rĂ©alitĂ©, mais le soulagement Ă©tait Ă©phĂ©mère. La drogue m’apaisait Ă peine ; elle laissait rapidement place Ă une souffrance accrue, Ă une faim insatiable pour une nouvelle dose. Â
Les rares instants de luciditĂ© que j’avais, Ă©taient les plus cruels. Dans ces moments, des souvenirs surgissaient comme des coups de poignard : les rires de mes filles, Ericka et Audeline, jouant au bord de l’étang un dimanche après-midi ; le regard amoureux de mon ex-femme lors de notre mariage. Â
Je me revoyais, en costume, entrant dans les bureaux de l’assurance oĂą je travaillais. J’étais un homme apprĂ©ciĂ©, compĂ©tent, dont le rire tonitruant faisait Ă©cho dans les couloirs. Aujourd’hui, ce mĂŞme homme fouillait dans les poubelles pour y trouver des restes de nourriture. Â
Je pensais souvent Ă Ericka, qui avait maintenant 14 ans. Elle devait ĂŞtre belle et intelligente, comme sa mère. J’imaginais qu’elle me haĂŻssait, et cette idĂ©e me coupait le souffle. Quant Ă Audeline, Ă peine 9 ans, j’avais peur qu’elle oublie jusqu’à mon visage. Â
Chaque soir, Je retrouvais Lara dans une station diffĂ©rente. Lara, cette femme qui m’avait entraĂ®nĂ© dans ce gouffre. On s’était rencontrĂ© par hasard dans un bar, il y a quatre ans. Elle avait un rire rauque, une aura rebelle, et un regard hantĂ© qui m’avait fascinĂ©. On avait parlĂ© toute la nuit, partagĂ© nos douleurs, et finalement, elle m’avait prĂ©sentĂ© la drogue. Â
Aujourd’hui, Lara n’était qu’une ombre. Ses joues creuses, ses mains tremblantes, son air absent... elle Ă©tait mon miroir. Ensemble, on partageait notre misère, mais je sentais qu’elle m’enfonçait davantage. Je voulais fuir, mais je n’avais nulle part oĂą aller. Â
Certaines nuits, lorsque le mĂ©tro fermait ses portes, j’errais dans les rues dĂ©sertes, envahi par une douleur insupportable. Les rĂ©verbères projetaient mon ombre longue et vacillante sur les trottoirs sales. Je me tenais parfois au bord d’un pont, regardant les eaux sombres du canal. Â
« Si je saute, tout s’arrĂŞte », pensais-je. Â
Mais une voix en moi, tĂ©nue mais persistante, me retenait. Une promesse silencieuse, une Ă©tincelle d’espoir que je ne comprenais pas encore, m’empĂŞchait de faire le dernier pas.  Le 24 mai 2023, dans la station Arts-Loi, je m’étais assis sur un banc, fatiguĂ©, mes yeux fixant le vide. Ă€ 17h20, une femme s’approcha et s’assit Ă cĂ´tĂ© de moi. Elle portait des vĂŞtements colorĂ©s et tenait un sac de courses. Elle semblait ordinaire, mais son sourire Ă©tait d’une douceur inattendue. Â
« Vous allez bien ? » demanda-t-elle. Â
Je la regardais, dĂ©contenancĂ©. Peu de gens me parlaient encore comme Ă un ĂŞtre humain. Je hochais la tĂŞte, trop surpris pour rĂ©pondre. Â
« Mon nom est Kaoutar. Vous ĂŞtes souvent ici Ă cette heure », ajouta-t-elle, presque en murmurant. Â
Elle lui parla pendant quelques minutes, rien de grandiose, juste des mots simples sur sa journĂ©e, sa foi, et un verset biblique qu’elle aimait. J’écoutais, sans comprendre pourquoi je ne me levais pas pour partir. Â
Quand elle quitta la station, je me sentis Ă©trangement diffĂ©rent, comme si un petit poids avait Ă©tĂ© levĂ© de mes Ă©paules. Â
Le lendemain de ma rencontre avec Kaoutar, j’étais de retour Ă Arts-Loi, toujours engluĂ© dans mon sombre quotidien. La nuit prĂ©cĂ©dente n’avait Ă©tĂ© qu’une rĂ©pĂ©tition de mon enfer habituel : des heures Ă chercher de quoi acheter ma dose, suivies de l’anesthĂ©sie temporaire de la drogue. Pourtant, un dĂ©tail diffĂ©rent s’était immiscĂ© dans mon esprit. Â
Ce dĂ©tail, c’était elle. Â
Je ne comprenais pas pourquoi ces quelques minutes d’échange avec une inconnue continuaient de rĂ©sonner en moi. Ses mots Ă©taient simples, presque banals : « Dieu est proche de ceux qui ont le cĹ“ur brisĂ© ». Pourtant, c’était comme si une note claire avait rĂ©sonnĂ© dans un silence pesant. Â
Ă€ 17h20, j’attendais. Je n’osais pas l’admettre, mais j’espĂ©rais la revoir. Quand Kaoutar apparut enfin, avec son regard calme, je me sentis presque soulagĂ©. Â
Elle s’approcha de moi avec la mĂŞme douceur que la veille, comme si elle me connaissait depuis toujours. « Vous ĂŞtes encore là », me dit-elle. Â
J’haussais les Ă©paules. Je ne voulais pas avouer que je l’avais attendue. Mais elle, imperturbable, continua Ă me parler. Elle mentionna un Ă©pisode de sa propre vie, une pĂ©riode oĂą elle avait elle aussi touchĂ© le fond après son divorce. Â
« Vous savez, Yves... Ce n’est pas facile de croire quand tout semble perdu. Mais si vous faites un pas, juste un, vers la lumière, elle viendra Ă vous. » Â
Cette phrase resta avec moi longtemps après son dĂ©part. Â
Les jours suivants, je continuais ma routine. Chaque matin, je me levais avec le mĂŞme poids : la quĂŞte incessante d’argent et de drogue. Les mĂ©tros bruxellois devenaient mon champ de bataille, oĂą j’affrontais les regards accusateurs, les Ă©checs constants, et la faim qui me tordait le ventre. Â
Un matin, j’ai croisĂ© un miroir brisĂ© dans une cabine dĂ©saffectĂ©e de la station Rogier. Je m’arrĂŞtais et contemplais mon reflet. Les cernes marquĂ©s, les joues creuses, les vĂŞtements en lambeaux... Je ne me reconnaissais plus. Â
« Comment en suis-je arrivĂ© lĂ ? », pensais-je. Â
Ce mĂŞme jour, dans un moment de luciditĂ© entre deux bouffĂ©es de crack, il Ă©crivit le prĂ©nom *Ericka* sur le mur d’une station. Il resta lĂ , le regard fixĂ© sur ces lettres, les larmes montantes. Â
Mais Ă 17h20, Ă Arts-Loi, je retrouvais Kaoutar. Chaque jour, elle restait un peu plus longtemps, discutant avec moi. Parfois, elle me parlait de sa foi ; d’autres fois, elle posait simplement des questions sur ma vie. Je restais Ă©vasif, mais je commençais Ă rĂ©pondre.  Ce soir-lĂ , après ma conversation quotidienne avec Kaoutar, je fis une rencontre brutale avec mon passĂ©. En passant par une ruelle près de la Gare du Midi, je tombais sur un vieil ami d’enfance, Lucas. Â
Lucas, autrefois mon confident, Ă©tait mĂ©connaissable. Mince, rasĂ© de près, vĂŞtu d’un costume impeccable, il portait un regard incrĂ©dule en me reconnaissant. Â
« Mon Dieu, Yves... c’est toi ? » Â
Je sentis la honte monter en moi comme une vague. Je bredouillais une rĂ©ponse Ă©vasive, mais Lucas insista. « Comment t’as pu tomber aussi bas ? Tu Ă©tais brillant, tu te souviens ? On avait des plans, des rĂŞves ! » Â
Ces mots me frappèrent comme un coup de poing. Je rĂ©pliquais sèchement, mais Lucas ne s’offusqua pas. Il me tendit un billet de vingt euros avant de partir, un geste qui fit monter une bile amère dans ma gorge. Â
Cette nuit-lĂ , je dĂ©pensais l’argent pour du crack, mais cette fois, le soulagement ne vint pas. Seule restait une sensation de vide insupportable. Â
Le 30 mai 2023 Ă 17h20, je se rendais Ă Arts-Loi. Kaoutar Ă©tait lĂ , comme chaque jour. Mais ce soir, j’étais diffĂ©rent. Les mots de Lucas tournaient en boucle dans ma tĂŞte, et le visage de Kaoutar semblait reprĂ©senter l’unique bouĂ©e de sauvetage dans mon naufrage. Â
« Pourquoi vous me parlez ? » demandais-je brusquement. Â
Kaoutar me regarda avec patience. « Parce que je crois en vous. » Â
Cette rĂ©ponse me dĂ©sarma. Personne ne m’avait dit cela depuis des annĂ©es. Â
Pour la première fois, je parlais. Vraiment. Je lui racontais comment Lara m’avait entraĂ®nĂ© dans l’addiction, comment j’avais tout perdu, comment je pensais au suicide chaque jour. Â
Kaoutar m’écouta sans interruption. Quand j’ai terminĂ©, les larmes coulant sur mon visage, elle posa doucement une main sur mon bras. Â
« Ce n’est pas trop tard, Yves. Vous n’êtes jamais seul. Je veux que vous y croyiez. Dieu vous voit, mĂŞme dans cet Ă©tat. » Â
Le lendemain, je passais la journĂ©e dans une Ă©trange torpeur. Mes pensĂ©es tournaient autour de ce que Kaoutar avait dit : « Vous n’êtes jamais seul. » Cela semblait absurde, mais je voulais y croire. Â
Ce soir-lĂ , je ne consommais pas. Je ne savais pas pourquoi, mais je m’étais simplement assis sur un banc, les mains jointes, essayant maladroitement de prier. Â
Je m’éveillais sur le banc d’une station, le corps courbaturĂ©. La nuit avait Ă©tĂ© longue, mais je n’avais pas consommĂ©. Pour la première fois en des mois, mon esprit n’était pas engourdi par la drogue, et la rĂ©alitĂ© frappait avec une violence insoutenable. Â
Chaque bruit dans le mĂ©tro semblait amplifiĂ©. Les conversations des passants, le grincement des rames, les annonces automatiques… tout devenait une cacophonie oppressante. Je me tenais la tĂŞte, envahi par une anxiĂ©tĂ© que je ne pouvais fuir. Â
Ă€ midi, alors que j’arpentais les couloirs de la station Rogier, mon corps commença Ă se rebeller. Les sueurs froides, les tremblements, cette douleur sourde dans mes membres... Je connaissais trop bien ces symptĂ´mes : le manque. Chaque cellule de mon ĂŞtre rĂ©clamait la drogue. Â
Je me tenais contre un mur, respirant avec difficultĂ©. Des passants me dĂ©visageaient, certains murmuraient entre eux, mais personne ne s’arrĂŞtait. J’avais l’impression d’être un animal blessĂ©, exposĂ© Ă la lumière crue de l’indiffĂ©rence. Â
Une pensée traversa mon esprit : « Pourquoi je m’inflige ça ? Une seule dose, et tout ce mal disparaît. »
Mais cette fois, quelque chose me retint. Le visage de Kaoutar apparut dans mon esprit, avec ses paroles de la veille : « Vous n’êtes jamais seul. » Je ne comprenais pas pourquoi, mais ces mots rĂ©sonnaient encore. Â
Tout l’après-midi, j’errais sans but, essayant de me distraire. Je comptais les dalles sur le sol du mĂ©tro, je suivais des silhouettes au hasard, je tentais de me convaincre que je n’avais pas besoin de crack. Mais la tentation revenait comme une vague, de plus en plus forte. Â
Ă€ plusieurs reprises, j’ai failli cĂ©der. Une fois, j’ai tendu mĂŞme une main tremblante vers un billet froissĂ© dans ma poche, prĂŞt Ă retourner chez un dealer. Mais je m’arrĂŞtais net. Â
Je me surpris Ă murmurer : « Aide-moi. » Ă€ qui m’adressais-je ? Ă€ Dieu ? Ă€ moi-mĂŞme ? Je n’en savais rien. Â
Quand Kaoutar apparut Ă Arts-Loi, je me prĂ©cipitais vers elle comme un naufragĂ© voyant une bouĂ©e. Â
« Vous avez encore quelques minutes pour moi ? » demandais-je, essoufflĂ©. Â
Elle me rĂ©pondit par un sourire, s’assit Ă mes cĂ´tĂ©s, et me tendit une bouteille d’eau. « Je vous vois souvent ici, Yves. Aujourd’hui, vous avez l’air... diffĂ©rent. » Â
Je hochais la tĂŞte, puis, dans un souffle, j’avouais : « Je n’ai pas consommĂ© depuis hier. » Â
Kaoutar posa sa main sur mon Ă©paule. « C’est un premier pas, Yves. MĂŞme si c’est difficile, vous avez commencĂ© quelque chose. » Â
On parla pendant dix minutes. Je partageais ma journĂ©e, mes luttes, mes envies de cĂ©der. Kaoutar Ă©coutait attentivement, sans jugement. Avant de partir, elle me remit un petit carnet. Â
« Écrivez-y tout ce que vous ressentez, mĂŞme les pires choses. Et chaque soir, si vous pouvez, notez une chose pour laquelle vous ĂŞtes reconnaissant. » Â
J’acceptais, intriguĂ©. Â
Les jours suivants furent un combat acharnĂ©. J’oscillais entre l’envie de m’en sortir et l’attrait irrĂ©sistible du crack. Je passais des nuits blanches, assis sur des bancs ou dans des coins sombres du mĂ©tro, les mains tremblantes et l’esprit assailli par des pensĂ©es contradictoires. Â
Le carnet devint un exutoire. J’y griffonnais des mots, des phrases brisĂ©es, parfois rien de plus que des gribouillis furieux. Â
2 juin : « Je déteste cette vie. Mais je veux essayer. »
3 juin : « Aujourd’hui, j’ai volĂ© une pomme. Je suis dĂ©solĂ©. »  4 juin : « Merci Ă Kaoutar. Sans elle, je serais dĂ©jĂ mort. »Â
En ce jour du 5 juin, la tentation finit par ĂŞtre plus forte. Ce jour-lĂ , après une matinĂ©e passĂ©e Ă mendier sans succès, je trouvais un portefeuille abandonnĂ© sur un siège du mĂ©tro. J’hĂ©sitais, puis je l’ouvris. Il contenait 50 euros. Â
Une heure plus tard, j’avais achetĂ© de quoi me dĂ©foncer. Â
La première bouffĂ©e apporta un soulagement immĂ©diat, mais aussi une vague de honte si Ă©crasante que j’en pleurais. Assis seul dans un recoin sombre, je me maudissais. Je repensais Ă Kaoutar, au carnet, Ă mes filles, et je me sentais indigne de tout. Â
Cette nuit-lĂ , je retournais Ă Arts-Loi, bien après l’heure habituelle. J’espĂ©rais croiser Kaoutar, mais elle n’était pas lĂ . Le mĂ©tro se vidait, et je restais assis, incapable de bouger, envahi par un sentiment d’échec. Je ne pouvais pas me confier Ă mon soutient. Â
Le lendemain, je retournais Ă Arts-Loi, le cĹ“ur lourd. Je craignais de revoir Kaoutar. J’avais peur qu’elle devine ma rechute, peur de la dĂ©cevoir. Â
Ă€ 17h20, elle arriva comme d’habitude. Je baissais les yeux, incapable de soutenir son regard. Â
« Yves ? Ça va ? » demanda-t-elle doucement. Â
Je hochais la tĂŞte, puis, incapable de mentir, murmurais : « J’ai cĂ©dĂ© hier. » Â
Kaoutar s’assit en silence, rĂ©flĂ©chissant. Puis elle me dit : « Vous ĂŞtes humain, Yves. Vous tomberez encore, peut-ĂŞtre. Ce qui compte, c’est de vous relever chaque fois. » Â
Ces mots me serrèrent le cĹ“ur. Je sentais les larmes monter et, pour la première fois, je pleurais devant elle. Â
Kaoutar me tendit un mouchoir. « Ce que vous faites est difficile, mais vous n’êtes pas seul. Dieu voit vos efforts, même ceux que vous pensez insignifiants. Continuez. »  À partir de ce jour, je m’accrochais avec plus de force. Mes journées restaient un mélange de luttes, de tentations, et de petites victoires. Les mots de Kaoutar devenaient un mot d’ordre : « Vous n’êtes pas seul. »
Chaque soir, j’écrivais dans mon carnet, cherchant des raisons de continuer, des fragments de lumière dans l’obscuritĂ©. Â
Les jours suivant ma rechute, furent marquĂ©s par un retour Ă la routine dĂ©sespĂ©rĂ©e. Chaque matin, je me levais dans une nouvelle station de mĂ©tro, sans but prĂ©cis, juste un besoin incessant de retrouver la dose qui m’offrait un moment d’évasion. Mais les mots de Kaoutar me hantaient, et je me sentais prisonnier d’un piège que je n’avais jamais imaginĂ©. Je la voyait souvent dans la station Arts-Loi Ă 17h20, et chaque jour, ses paroles s’incrustaient un peu plus profondĂ©ment dans mon esprit. Â
Aujourd’hui, quelque chose en moi allait changer. Ce matin-lĂ , je me levais avec une dĂ©cision que je n’avais jamais eue depuis des mois : j’allais parler Ă Kaoutar. J’allais lui poser la question qui me brĂ»lait depuis que l’on se connaissait. Pourquoi elle ? Pourquoi cette femme d’origine maghrĂ©bine, avec ses cheveux noirs et sa gentillesse, qui semblait rayonner d’une lumière que je n’avais jamais connue, m’aidait-elle sans arrière-pensĂ©e ? Â
Quand Kaoutar arriva, je ne pus plus me retenir. Je la rejoignais dans le coin habituel de la station. Â
« Kaoutar, il faut que je vous demande quelque chose... » commençais-je, hĂ©sitant.  Elle me regarda dans les yeux, toujours aussi calme. « Bien sĂ»r, Yves. » Â
« Pourquoi... pourquoi vous m’aidez ? Je suis rien. Je suis... j’ai tout gâché... Toute… Toute ma vie. »
Je baissais les yeux, gĂŞnĂ©. « Vous ĂŞtes...ĂŠtiez… Une femme musulmane, non ? Pourquoi vous ĂŞtes devenue chrĂ©tienne ? » Â
Kaoutar sembla surprise par la question, mais elle sourit doucement. Â
« J’étais musulmane, oui. » Elle marqua une pause avant de continuer. « Mais j’ai trouvĂ© ma voie, ma vraie voie, en JĂ©sus. Vous savez, ma famille m’a Ă©levĂ©e dans la tradition, mais Ă un moment donnĂ©, je ne comprenais plus pourquoi je vivais. J’avais des questions, des doutes... tout semblait vain. Et puis, JĂ©sus est venu dans ma vie, de manière inattendue, mais il a tout changĂ©. » Â
J’écoutais attentivement, absorbant chaque mot. Un flot d’émotions nouvelles montait en moi, comme si une porte s’ouvrait sur un autre monde. Â
« Vous ne croyez pas qu’une femme comme vous, maghrĂ©bine, puisse devenir chrĂ©tienne ? » demandais-je, encore incrĂ©dule. Â
Kaoutar me regarda avec tendresse. « JĂ©sus n’a pas de frontières, Yves. Il ne regarde pas la couleur de notre peau ou d’oĂą nous venons. Il nous aime tous, chacun de nous. » Â
Ces mots me frappèrent de plein fouet. Je n’avais jamais considĂ©rĂ© la foi sous cet angle. Pour moi, la religion Ă©tait toujours une cause de division, un mur entre les gens. Mais Kaoutar venait de briser ce mur, sans mĂŞme le vouloir, en me parlant d’une relation et non d’une religion. Â
Le lendemain, Kaoutar arriva avec un sac en plastique. Je n’eu pas besoin de demander, je savais ce qu’il contenait. La dernière fois, elle m’avait dĂ©jĂ tendu une bouteille d’eau. Mais aujourd’hui, le sac Ă©tait plus lourd. Â
« J’ai pensĂ© que vous n’aviez pas mangĂ© depuis un moment... » dit-elle en souriant. Â
Je la regardais, abasourdi. « Vous m’avez apportĂ© Ă manger ? » Â
Elle hocha la tĂŞte. « Vous devez reprendre des forces. Vous ne pouvez pas vous en sortir sans prendre soin de votre corps. » Â
Je pris le sac, hĂ©sitant. C’était la première fois qu’on m’apportait de la nourriture par simple gĂ©nĂ©rositĂ© depuis bien longtemps. C’était plus qu’un simple repas. C’était un geste d’amour, de fraternitĂ©, quelque chose que je n’avais pas connu depuis ma chute. Je tremblais lĂ©gèrement en recevant le sac. Une boule se forma dans ma gorge, et je me sentais submergĂ© par une gratitude que je n’arrivais pas Ă exprimer. Â
« Vous ĂŞtes la seule personne qui m’aide encore... » disais-je dans un murmure, les yeux embuĂ©s de larmes.  Kaoutar posa une main douce sur mon Ă©paule. « Parce que vous le mĂ©ritez, Yves. Parce que vous avez encore une chance, et je crois que vous la saisirez. » Â
Les jours passèrent, et malgrĂ© mes luttes intĂ©rieures, je commençais Ă ressentir une force nouvelle. Chaque jour, Kaoutar restait un peu plus longtemps Ă discuter avec moi. On parlait de tout : de la vie, de la foi, de la souffrance, mais aussi des petites victoires. Je partageais mes rĂ©flexions, mes doutes, et peu Ă peu, Kaoutar me montrait un amour qui n’avait rien Ă voir avec de la pitiĂ©. C’était un amour fraternel, pur et inĂ©branlable. Â
Elle m’enseigna des prières simples, m’aidant Ă retrouver un contact avec Dieu. Ce n’était pas une conversion immĂ©diate, mais un cheminement. Je me rendais compte que je n’avais plus l’intention de fuir. Pour la première fois depuis des annĂ©es, j’envisageais l’idĂ©e de me reconstruire. Â
Un après-midi, alors qu’on Ă©tait assis sur un banc dans la station, Kaoutar me posa une question qui fit Ă©cho Ă tout ce que je ressentais. Â
« Yves, est-ce que vous avez un rĂŞve ? » Â
Je restais un instant sans rĂ©ponse. Je n’avais plus de rĂŞves. Plus d’espoir. Mais Ă cet instant, quelque chose en moi changea. Je regardais Kaoutar, cette femme qui croyait en moi sans raison apparente, et une pensĂ©e naquit en moi.  « Mon rĂŞve... Mon rĂŞve, c’est de revoir mes filles. De les rendre fières. De leur montrer que je peux m’en sortir. » Â
Kaoutar sourit, un sourire empli de douceur. « Vous pouvez. Je vous crois, Yves. » Â
Pour la première fois depuis longtemps, J’ai senti une Ă©tincelle d’espoir. Peut-ĂŞtre que je pouvais y arriver. Peut-ĂŞtre que je pourrais reconstruire ce que j’avais perdu. Â
Les jours suivants, je me battais contre moi-mĂŞme. Je savais que le chemin serait semĂ© d’embĂ»ches, que les rechutes seraient inĂ©vitables, mais je me sentais prĂŞt Ă les affronter. Kaoutar devenait mon phare dans cette nuit noire. Elle ne m’offrait pas de solutions miraculeuses, mais sa prĂ©sence, sa foi, et son amour inconditionnel me donnaient la force de me relever chaque jour. Â
Ce matin-lĂ , avant d’aller la retrouver, j’écrivis dans mon carnet : Â
« Je veux être un homme meilleur. Pour elles. Pour moi. »
Je savais que ce ne serait pas facile, mais pour la première fois depuis longtemps, je voyais un futur possible. Un futur où la rédemption n’était pas une illusion. Et pour la première fois depuis longtemps, je croyais en ce futur.
Les jours passaient et je continuais Ă suivre un chemin semĂ© d’embĂ»ches. Chaque matin, je me levais avec un lĂ©ger espoir, mais je luttais contre mes dĂ©mons intĂ©rieurs. Le besoin de drogue me taraudait sans cesse, comme une ombre que je ne pouvais chasser. Pourtant, chaque fois que je croisais le regard de Kaoutar, je me rappelais pourquoi je devais continuer. Â
Le 11 juin, après une nuit agitĂ©e, oĂą je m’étais Ă peine endormi, je me rendis dans la station Arts-Loi Ă l’heure habituelle. Mes pensĂ©es Ă©taient plus lourdes que d’habitude, et je me sentais Ă la fois fier de n’avoir pas cĂ©dĂ© Ă la tentation, mais aussi fatiguĂ© par l’effort constant que cela me demandait. Â
Je trouvais Kaoutar assise sur notre banc habituel, un lĂ©ger sourire aux lèvres. Comme chaque jour, elle me tendit une bouteille d’eau, puis s’assit près de moi. Â
« Comment allez-vous aujourd’hui ? » demanda-t-elle, sa voix douce, rassurante. Â
Je soupirais, cherchant mes mots. Je n’avais pas envie de mentir. Je savais que chaque conversation avec Kaoutar Ă©tait un moment oĂą je pouvais ĂŞtre honnĂŞte. Mais aujourd’hui, quelque chose en moi voulait dire toute la vĂ©ritĂ©. Â
« Je... je lutte encore. C’est difficile. Parfois, je me demande si je suis fait pour ça. Je me sens trop faible, trop sale pour m’en sortir. » Â
Kaoutar me regarda dans les yeux, son regard rempli de bienveillance. « Yves, il n’y a pas de faiblesse Ă admettre que l’on a besoin d’aide. Vous n’êtes pas seul dans cette bataille. » Â
Elle fit une pause avant d’ajouter : « Vous savez, la vĂ©ritĂ© est souvent la première Ă©tape pour guĂ©rir. La vĂ©ritĂ© sur ce que vous ĂŞtes, sur ce que vous avez vĂ©cu... Vous devez accepter votre passĂ© pour avancer. Mais ce passĂ© ne vous dĂ©finit pas. Ce qui compte, c’est ce que vous choisissez de devenir maintenant. » Â
Les mots de Kaoutar me frappèrent comme une vĂ©ritĂ© nue. Pour la première fois depuis longtemps, je me suis senti prĂŞt Ă regarder mon passĂ© en face, sans honte, sans peur. J’avais Ă©tĂ© un homme perdu, mais j’étais encore en vie. Et ça, ça avait une signification. Â
Le lendemain, je pris une dĂ©cision difficile. Je savais que pour avancer, je devais faire face Ă mes erreurs, Ă mon passĂ©, sans plus fuir. Ce matin-lĂ , j’allais chez un thĂ©rapeute, une Ă©tape que j’avais redoutĂ©e pendant longtemps. Mais Kaoutar m’avait poussĂ© Ă franchir ce pas. Elle m’avait dit : « Si vous voulez vraiment guĂ©rir, il faut d’abord accepter de vous regarder dans un miroir. » Â
Chez le thĂ©rapeute, je me senti vulnĂ©rable, mais Ă©trangement libĂ©rĂ©. Je parlais de ma descente dans l’addiction, de mon divorce, de mon Ă©chec en tant que père. Je parlais de Lara, de la douleur que j’avais ressentie en perdant tout, de la honte qui m’avait englouti. Â
Les larmes que j’avais retenues si longtemps commencèrent Ă couler. Mais au lieu de les repousser, je les laissais couler, sans honte. Chaque mot, chaque souvenir, semblait allĂ©ger un peu plus le fardeau que je portais depuis des annĂ©es.  À la fin de la session, le thĂ©rapeute me sourit. « Vous avez fait un grand pas aujourd’hui, Yves. Ne vous laissez pas rattraper par votre passĂ©. Utilisez-le pour vous bâtir. » Â
Ce soir-lĂ , après sa sĂ©ance, je me rendis Ă Arts-Loi, plus serein. Les premières Ă©tapes Ă©taient franchies, mais je savais que le chemin serait encore long. Quand j’aperçus Kaoutar, je me senti presque reconnaissant, comme si elle avait Ă©tĂ© la clĂ© de ce dĂ©clic intĂ©rieur. Â
Elle me regarda, son regard rempli de douceur, et devina immĂ©diatement que quelque chose avait changĂ© en moi. Â
« Comment ça s’est passĂ© ? » me demanda-t-elle. Â
Je pris une profonde inspiration. « C’était dur... mais nĂ©cessaire. Je... je crois que j’ai enfin acceptĂ© ce que j’étais, ce que j’ai fait. Et maintenant, je peux essayer de rĂ©parer. » Â
Kaoutar sourit, ses yeux brillants de fiertĂ©. « C’est ça, Yves. Vous ĂŞtes en train de reprendre votre vie en main. Ce que vous avez fait hier ne vous dĂ©finit plus. Ce qui compte, c’est ce que vous faites aujourd’hui. » Â
Ce soir-lĂ , Kaoutar m’apporta Ă nouveau de la nourriture, mais ce n’était pas juste un geste de compassion. C’était un acte d’amour fraternel, quelque chose qu’il n’avait pas connu depuis longtemps. Elle s'assura que je mangeais, que je prenais soin de moi, et me rappela de nouveau que je n'Ă©tais pas seul. Â
Les journĂ©es suivantes se dĂ©roulèrent de manière plus fluide, mais ma lutte intĂ©rieure ne cessait jamais complètement. Le besoin de drogue revenait, parfois plus fort, mais j’apprenais Ă le repousser. Kaoutar Ă©tait lĂ , chaque jour un peu plus, pour me soutenir et m’écouter. On prenait quelques minutes Ă chaque rencontre pour discuter, partager nos pensĂ©es. Â
Un jour, Kaoutar lui parla de sa propre vie, de ses rĂŞves d’enfance, de la famille qu’elle avait laissĂ©e au Maroc pour venir en Belgique. J’écoutais avec attention, trouvant dans ses mots une rĂ©sonance que je n’avais pas anticipĂ©e. Je me rendais compte que je ne connaissais pas seulement le vide, la douleur et l’échec. J’avais aussi dĂ©couvert une forme d’amour, un amour pur et inconditionnel. Kaoutar me montrait une forme d’amour fraternel que je n’avais jamais connu depuis ma chute. Elle n’attendait rien en retour, si ce n’est que je trouve la force de me relever. Â
Le regard de Kaoutar Ă©tait toujours bienveillant, mais aussi rempli de conviction. Elle croyait en moi, et cela commençait Ă me faire croire en moi-mĂŞme. Je ne savais pas encore comment j’allais m’en sortir, mais je savais une chose : je n’étais plus seul. Grâce Ă Kaoutar, grâce Ă Dieu, j’avais une chance de renaĂ®tre. Et cette chance, je comptais bien la saisir. Â
En ce matin du 15 juin, je me levais avant l’aube. Je me rendi dans la même station de métro, mais cette fois-ci, je n’étais pas là pour mendier ou chercher une dose. J’étais là pour commencer quelque chose de nouveau. J’allais voir un centre de désintoxication, j’allais m’engager dans une voie que je n’avais jamais osé emprunter.  Avant de partir, j’écrivis dans mon carnet :  « Ce n’est pas la fin. C’est un nouveau début. »
Je me sentais plus lĂ©ger, comme se je m’étais enfin libĂ©rĂ© de certaines chaĂ®nes invisibles qui m’avaient tenu prisonnier pendant trop longtemps. Et Ă travers tout cela, Kaoutar restait prĂ©sente, inĂ©branlable. Â
Je n’avais pas encore trouvĂ© la rĂ©demption complète, mais je savais que c’était possible, que je pouvais me reconstruire. Et je savais que j’avais trouvĂ© un vĂ©ritable soutien, une main tendue vers moi. Et ça, c’était tout ce dont j’avais besoin pour avancer. Â
Le lendemain, Ă©tait le jour oĂą j’entrais pour la première fois dans le centre de rĂ©habilitation, je sentis une apprĂ©hension que je n'avais pas anticipĂ©e. Je me tenais devant la porte, les mains moites, mon cĹ“ur battant la chamade. Derrière moi, le mĂ©tro continuait de gronder, la ville vivait sans moi. Mais aujourd'hui, je n'Ă©tais plus ce spectre errant dans les rues. J’allais enfin chercher la libertĂ©, ma libertĂ©. Â
Je m'Ă©loignais du bruit du monde extĂ©rieur, du tumulte du mĂ©tro, pour pĂ©nĂ©trer dans ce lieu calme, presque dĂ©sert. Un endroit oĂą des gens, comme moi, luttaient contre leurs addictions. Je pris une grande inspiration et poussais la porte. Â
À l’intérieur, l’atmosphère était différente. Les murs étaient blancs, presque aseptisés, mais il y avait quelque chose de rassurant dans la sérénité du lieu. Des voix se mélangeaient, des murmures de personnes qui, comme moi, cherchaient à reconstruire ce qu’elles avaient perdu. Je me sentais un instant perdu, mais je me rappelais les mots de Kaoutar : « Vous n’êtes pas seul, Yves. »
Je me rendais Ă l’accueil et je rencontrais un conseiller, une femme d’une quarantaine d’annĂ©es nommĂ©e Claire. Elle me posa des questions simples, mais qui eurent l'effet d’un Ă©lectrochoc : « Pourquoi ĂŞtes-vous ici, Yves ? » Â
Je me sentais hĂ©siter un instant. C’était la première fois que je mettais des mots sur ce que je ressentais. Je pris une profonde inspiration. Â
« Parce que je suis fatiguĂ© de vivre comme ça. Je veux ĂŞtre mieux. Pour mes filles, pour moi-mĂŞme. » Â
Claire sourit. « C’est un excellent dĂ©but. » Â
Bien que toujours angoissĂ©, je ressentais une sorte de soulagement. Je savais que ce ne serait pas facile, mais Ă cet instant, je venais de faire le premier pas vers ma guĂ©rison. Â
Les journĂ©es au centre Ă©taient longues et ardues. Je passais du temps avec les autres patients, j’écoutais leurs histoires, et je me rendais compte que chacun portait un fardeau unique. Les premières sĂ©ances de groupe Ă©taient Ă©prouvantes. Je parlais peu, mais j’écoutais attentivement, absorbant chaque parole, chaque confession. Je me rendais compte que je n’étais pas le seul Ă ĂŞtre tombĂ© si bas, mais aussi qu’il n’était pas trop tard pour me relever. Â
Un jour, après une sĂ©ance particulièrement difficile, je sortis du centre pour prendre l’air. Je m’étais assis sur un banc dans un parc Ă proximitĂ©. C’est alors que mon tĂ©lĂ©phone vibra. Il s’agissait d’un message de Kaoutar : Â
« Comment ça va, Yves ? Tu tiens bon ? »Â
Je sentis un lĂ©ger sourire naĂ®tre sur mes lèvres. Je lui rĂ©pondis rapidement : Â
« Je tiens bon, Kaoutar. C’est pas facile, mais je me bats. Merci de m’avoir montré qu’il y avait une autre voie. »
Elle rĂ©pondit presque instantanĂ©ment : « Tu n’as pas Ă me remercier. C’est toi qui fais le travail, c’est toi qui choisis d’avancer. Je crois en toi. »Â
Ses mots rĂ©sonnèrent profondĂ©ment en moi. La douceur et la conviction de Kaoutar Ă©taient plus puissantes que n’importe quel mĂ©dicament que j’avais pu prendre pour Ă©chapper Ă ma souffrance. Cet amour fraternel, sans jugement, me soutenait chaque jour. Je me rendais compte que la guĂ©rison ne venait pas seulement du traitement que je suivais, mais aussi de l’amour inconditionnel que je recevais des autres. Â
Le 18 juin 2023 malgrĂ© le soutien de Kaoutar et du centre, je savais que j’allais devoir affronter de nombreux dĂ©mons. Le chemin vers la guĂ©rison Ă©tait semĂ© d’embĂ»ches. Les journĂ©es Ă©taient rythmĂ©es par des moments de doute et de souffrance. Â
Un après-midi, après une sĂ©ance oĂą j’avais Ă©tĂ© confrontĂ© Ă mes pires souvenirs, je me retrouvais seul dans ma chambre du centre, les yeux fixĂ©s sur le plafond. Un vieux dĂ©mon refit surface, celui de l’auto-destruction. Je me sentais submergĂ© par le poids de mes erreurs, par le fossĂ© que j’avais creusĂ© entre ma famille et moi. Comment pourrais-je jamais rĂ©parer tout ce que j’avais fait ? Â
Je m'emparais de son carnet et j’écrivis : Â
« Je suis fatiguĂ© de tout ça. J’ai gâchĂ© ma vie, j’ai gâchĂ© tout ce que j’avais de prĂ©cieux. » Â
Mais au moment oĂą je m’apprĂŞtais Ă refermer mon carnet, je me rappelais une autre phrase que Kaoutar m’avait dite : « Vous n’êtes pas dĂ©fini par vos erreurs, Yves. Vous ĂŞtes dĂ©fini par ce que vous faites pour les rĂ©parer. » Â
Mes mains tremblèrent, mais j’écrivis, d’un trait rapide :  « Je me relève. Pour mes filles, pour moi-mĂŞme, je me relève. »Â
Je fermais le carnet, les yeux remplis de larmes. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentis prĂŞt Ă affronter l'avenir, Ă affronter ma propre vĂ©ritĂ©. Â
Les semaines passèrent, et je continuais mon programme au centre. Mes progrès Ă©taient lents, mais je me sentais chaque jour un peu plus fort, vivant. Le plus grand test arriva un matin, lorsque Claire, la thĂ©rapeute, m’annonça que j’avais l’opportunitĂ© de voir mes filles. Elles avaient acceptĂ© de me rencontrer, mais seulement Ă une condition : que je sois propre, que je sois dans un Ă©tat d’esprit stable. Â
Le jour de la rencontre arriva. Je me rendis au parc oĂą j’avais l’habitude de rencontrer Kaoutar, mais cette fois-ci, je n’étais pas seul. J’attendais avec apprĂ©hension, le cĹ“ur battant. Puis je les aperçu au loin, Ericka et Audeline, marchant vers moi. Elles avaient grandi depuis la dernière fois que je les avais vues. Ericka, 14 ans, Ă©tait grande et forte, tandis qu’Audeline, 9 ans, avait un sourire timide mais confiant. Â
Je me levais, les bras tendus, mais mes filles restèrent Ă distance. Je les regardais, le visage rempli de honte, mais aussi de tendresse. Â
« Papa, tu... tu vas mieux ? » me demanda Ericka, avec une voix que j’avais du mal Ă reconnaĂ®tre. Â
Je hochais la tĂŞte, les yeux remplis de larmes. « Oui, je vais mieux. Je vais me battre pour vous, pour moi. Je suis dĂ©solĂ©, j’ai Ă©tĂ© un mauvais père. » Â
Audeline s’approcha doucement, et Ă ma surprise, elle posa ses bras autour de moi. « Papa, on t’aime. » Â
Mes larmes coulèrent sans retenue. Je serrais ma fille contre moi, et pour la première fois depuis des annĂ©es, je me sentis vivant, connectĂ© Ă quelque chose de rĂ©el, de vrai. Â
Ce fut une rencontre difficile, mais elle marqua un tournant pour moi. Je savais que le chemin serait long, mais j’étais prĂŞt Ă tout donner pour me reconstruire, pour rĂ©parer les liens brisĂ©s. Kaoutar avait raison : je n’étais pas seul. Et tant que je me battais, il y avait toujours de l’espoir. Â
Après la rencontre avec mes filles, je ressentais une bouffĂ©e de soulagement, mais aussi une pression nouvelle. Pour la première fois depuis longtemps, j’avais un but tangible, quelque chose pour lequel me battre. Mais en mĂŞme temps, une angoisse profonde s'Ă©tait installĂ©e en moi : allais-je ĂŞtre capable de maintenir mes progrès ? Mes filles m’avaient montrĂ© un amour que je n’avais pas mĂ©ritĂ©, et je ne pouvais pas, ne devais pas, les dĂ©cevoir Ă nouveau. Â
Les journĂ©es au centre Ă©taient dĂ©sormais rythmĂ©es par cette nouvelle motivation. Je me levais tĂ´t, je me prĂ©sentais aux sĂ©ances avec un esprit plus clair, plus dĂ©terminĂ©. Mais chaque soir, lorsque je retournais dans ma chambre, les pensĂ©es sombres refaisaient surface. Parfois, la solitude Ă©tait plus lourde Ă porter que l’angoisse de la rechute. La tentation du passĂ© Ă©tait toujours lĂ , tapie dans l’ombre. Â
Le 20 juin, après une journĂ©e d’introspection difficile, je me rendis Ă Arts-Loi. Kaoutar m’attendait, comme d’habitude, mais aujourd’hui, quelque chose Ă©tait diffĂ©rent dans son regard. J’avais l’impression qu’elle pouvait lire en moi, deviner les luttes que je n’avais pas encore partagĂ©es. Â
« Kaoutar, je ne sais pas si je vais rĂ©ussir Ă tenir. » Je m’assis près d’elle, les mains serrĂ©es sur mes genoux. « Chaque jour, je sens que je fais un pas en avant, mais je sais que je pourrais tout perdre en un instant. » Â
Kaoutar me regarda, un regard ferme et doux Ă la fois. « Tu fais dĂ©jĂ plus que tu ne crois, Yves. La guĂ©rison n’est pas une ligne droite. Il y aura des hauts et des bas, des moments oĂą tu te sentiras faible, mais tant que tu te relèves après chaque chute, tu avances. » Â
Elle marqua une pause, puis ajouta : « Je sais que c’est difficile, mais tu ne l’as pas fait tout seul jusqu’ici. Tu as appris Ă accepter l’aide des autres, et c’est cela qui fait toute la diffĂ©rence. » Â
Je la regardais, mon regard se noyant dans celui de Kaoutar. Je me rendais compte, avec une clartĂ© nouvelle, que je ne se battais plus seul. Les premières fois oĂą j’avais croisĂ© son regard, je n’avais pas compris pourquoi elle s’intĂ©ressait Ă moi. Maintenant, je savais. Elle m’avait tendu la main, mais c’était moi qui avais dĂ» choisir de la saisir. Et j’avais fait ce choix, encore et encore. Â
Les semaines passèrent, et je continuais mon travail au centre. Les rechutes n’étaient pas rares, mais je m’efforçais de les accepter comme des Ă©tapes inĂ©vitables de mon chemin. Ă€ chaque difficultĂ©, Je me souvenais des conseils de Kaoutar, de ses paroles pleines de sagesse : « Vous n’êtes pas dĂ©fini par vos erreurs, mais par votre volontĂ© de changer. »Â
Un matin, Claire, la thĂ©rapeute, m’annonça une nouvelle importante : « Yves, tu es prĂŞt pour un nouveau programme. Nous avons un groupe de soutien pour les parents, pour ceux qui souhaitent se rĂ©concilier avec leurs enfants. » Â
Je me sentais submergĂ© par l’émotion. Je n’avais pas osĂ© y penser, mais l’idĂ©e de pouvoir restaurer une relation avec mes filles, d’être un père Ă nouveau, me donnait une raison supplĂ©mentaire de continuer. Â
Ce programme allait ĂŞtre difficile, mais je savais que ce serait aussi une chance inouĂŻe de rĂ©parer ce que j’avais brisĂ©. Je me sentais terrifiĂ© Ă l’idĂ©e d’affronter mes propres faiblesses, mais une part de moi savait que je devais le faire. Cela faisait partie de mon chemin de rĂ©demption. Â
Le soir du 22 juin, alors que je rentrais au centre après une sĂ©ance particulièrement Ă©puisante, j’aperçu un visage familier dans le mĂ©tro. C’était Lara, l’ancienne toxicomane qui avait jouĂ© un rĂ´le majeur dans ma chute. Elle m’observait de loin, son regard vide, mais rempli de cette mĂŞme dĂ©pendance que j’avais vue en elle des annĂ©es auparavant. Â
Je m’arrĂŞtais, mon cĹ“ur battant plus fort. Un mĂ©lange de colère, de regret, et de honte m’envahit. Lara s’approcha de moi, ses mains tremblantes, son regard suppliant. Â
« Yves, tu... tu es allĂ© dans ce centre ? » Elle avait un sourire faible, mais je n’y voyais plus cette sĂ©duction manipulatrice qui m’avais envoĂ»tĂ© autrefois. Â
Je la fixais longuement. Le passĂ© frappait Ă la porte, mais aujourd’hui, j’étais diffĂ©rent. Aujourd’hui, je savais ce que je devait faire. Â
« Lara, je ne peux plus te suivre. Je t’ai pardonnĂ©, mais je ne peux plus te laisser m’entraĂ®ner dans cette chute sans fin... » Je me redressais, mon ton ferme mais calme. « Je me bats pour une autre vie. » Â
Elle resta lĂ , figĂ©e, le regard perdu, tandis que je m’éloignais. Je me sentais plus lĂ©ger. Je savais que je venais de faire un pas important dans ma guĂ©rison, un pas qui m’éloignait encore un peu plus de la personne que j’avais Ă©tĂ©. Â
Le 23 juin, après une longue semaine de travail au centre, j’ai appelĂ© Ericka. Je n’avais pas osĂ© la contacter avant, de peur qu’elle me rejette, mais aujourd’hui, je sentais que c’était le moment. Je me tenais dans un coin du parc, le tĂ©lĂ©phone Ă l’oreille, mon cĹ“ur battant la chamade. Â
Quand la voix de ma fille rĂ©pondit, je sentis la tension se relâcher dans mes Ă©paules. Â
« Ericka... C’est papa. » Â
J’attendais un moment, incertain de la rĂ©action qu’elle allait avoir. Puis, au bout de quelques secondes, elle rĂ©pondit, sa voix hĂ©sitante mais douce. Â
« Papa, tu vas bien ? » Â
Je me sentis submergĂ©. « Oui, je vais mieux. Je travaille dur pour ça. Je veux te dire que je me bats pour revenir dans ta vie, pour ĂŞtre un père pour toi. » Â
Ericka resta silencieuse un instant, puis rĂ©pondit : « Je suis contente que tu ailles mieux, papa. » Â
Les mots Ă©taient simples, mais pour moi, ils Ă©taient tout ce dont j’avais besoin. Ils Ă©taient un signe que la route n’était pas encore terminĂ©e, mais que je pouvais enfin avancer, un pas après l’autre. Â
Les jours suivants, je me concentrais sur les petites victoires. Je continuais mon programme au centre, mais je savais que chaque moment que je passais avec mes filles, chaque progrès dans ma guĂ©rison, Ă©tait un pas vers un avenir plus lumineux. Â
Ă€ chaque rencontre avec Kaoutar, je me sentais un peu plus fort. Son soutien, sa foi inĂ©branlable, me donnaient la confiance nĂ©cessaire pour avancer. J’avais compris que la guĂ©rison ne venait pas seulement de la lutte contre la drogue, mais de l’amour que je recevais et que j’offrais. Â
J’écrivais dans mon carnet tous les jours. Parfois des pensĂ©es confuses, parfois des paroles pleines de douleur, mais de plus en plus, des mots de gratitude, de progrès, et d’espoir. Â
« Je suis en train de me reconstruire, lentement, mais sûrement. Je n’ai pas tout réparé, mais je me bats pour ça. Et ça, c’est suffisant. »
Chaque jour était une victoire. Un pas en avant vers la liberté, vers une vie pleine de sens, vers l’amour retrouvé.
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