Plume de platine   Inscrit le: 11/4/2011 De: |
BONNE PÊCHE 35
BONNE PÊCHE 35
LA TUILE
Lyon, La Part Dieu, Samedi soir tard. Norbert débarque du TGV. Il a opté pour le rail : la circulation prévisible du dernier week-end d’août l’a dissuadé de prendre la route. Il louera un véhicule sur place si besoin est. Il a réservé un hôtel dans ses moyens, proche du quartier, pour se poser : les Loges . Quasiment direct par le métro. Une semaine pour commencer. Le siège sera peut-être long… Bien sûr, il a récupéré les coordonnées de Laure et de ses copines (fastoche), mais renoncé à s’annoncer, vu son handicap et la difficulté de s’expliquer au téléphone.
Reconnaître les lieux, prendre l’atmosphère avant l’action, vieille habitude du privé. A la veille d’agir, il n’est pas très rassuré : Quel accueil ? Arrive-t-il trop tard ? Où sont donc passées ses certitudes? Nuit en pointillés… La seule chose dont il a parfaitement conscience, c’est qu’il s’est passé quelque chose de particulier, baie Saint-Paul. Laure, il ne peut imaginer d’avenir sans elle. Et c’est maintenant que tout se joue. D’ailleurs sa résidence hôtel jouxte la rue Saint-Paul, un signe de plus. Quand on sait que l’avant-veille, il consolait Sylvie, faut reconnaître un caractère un poil macho… Ou alors qu’une page est bel et bien tournée.
Il s’est levé tôt. L’air du petit matin est frais mais très agréable. C’est une belle journée qui s’annonce. Il emprunte les bords de Saône et salue à l’opposé Notre dame de Fourvière (Tiens, pour un peu, il lui adresserait une prière) Rejoint la rue Saint Jean par la place de la Baleine. Le quartier commence à s’animer, son quartier à elle. Comme elle a bien su le lui décrire. Les échoppes d’artisans, les galeries d’art, le petit Casino, les petits bouchons. Délicieusement rétro avec une touche d’exotisme. Une oasis presque hors du temps. Il achète le Progrès. Tiens, ce doit être par là . Effectivement voilà la librairie à l’enseigne « La Bouquinière ». Fermée, normal pour un dimanche. Dans le même immeuble ancien, tout en arcades. Une porte cochère plus loin, un salon de thé ouvre ses portes. Il va déjeuner là , en terrasse. Ça a de la gueule. Il s’installe avec son canard, passe commande. Le numéro de l’annuaire l’a fait venir ici, mais elle doit loger ailleurs. Liste rouge ou portable. Lundi, il jouera le client surprise.
Quelques habitués s’attablent. Les discussions vont bon train. La rue se remplit de chalands. Il se berce aux échos feutrés de la vie. A la première occasion, y va de quelques lieux communs. Lorsque la patronne, une femme avenante et accorte vient lui apporter son deuxième café-croissants, il entame le baratin. Oui, il est de passage. C’est dommage que la librairie soit fermée, il aurait bien aimé saluer Laure Monestier avant de repartir.
? Mais vous pouvez parfaitement lui rendre visite, nous sommes voisines. Elle habite au dessus, nous avons la même entrée.
? C’est que je ne voudrais pas déranger, tant pis, ça sera pour une autre fois.
? Allons, allons, venez, je vous accompagne. Piégé, le Norbert. Ils passent par la porte cochère. A l’intérieur, les deux boites à courrier sont éloquentes. Au palier deux entrées se font face. La dame sonne. Pas de réponse. Insiste, puis s’écrie :
? J’y suis, elle est en bas à garnir ses rayons, elle a eu une grosse livraison vendredi. Allez, on y va.
Malgré ses protestations, elle redescend, toque à l’entrée de service et appelle :
? Laure, j’ai quelqu’un pour toi.
Une voix bien connue répond :
? Entrez, Madame Carles, c’est ouvert.
Aléa jacta est. Un peu plus tôt, un peu plus tard….
Ils entrent. Laure, en blouse blanche, leur tourne le dos, perchée sur un escabeau, un panier demi rempli d’ouvrages qu’elle dispose sur le rayonnage. Il enregistre la belle image, prépare un sourire ‘ coucou, c’est moi’.
Elle se retourne en disant :
? Qui donc, madame Carles ?
Et entrevoit Norbert derrière sa voisine. Le panier lui échappe en répandant bruyamment son contenu. Les yeux dessillés, elle pousse un grand cri, façon Doris Day dans ‘L’homme qui en savait trop’ et décide de se mettre aux abonnés absents. Quelle chute ! Gêné par la voisine, Nono ne peut intervenir pour limiter la casse. Ils se précipitent. Elle est sans connaissance. Une entaille au cuir chevelu saigne abondamment. L’escabeau. Norbert reprend ses réflexes de secouriste et dirige madame Carles, un brin affolée. On l’installe au mieux : apparemment, rien de cassé, juste des ecchymoses et la plaie à la tête. Mais elle est KO.
? Je m’occupe d’elle. Appelez le 15, vite !
La dame y court. Il est catastrophé, et perplexe. Tente de ranimer Laure. Ah, pour une surprise, c’est réussi ! Se sent vaguement coupable. Bon, qu’il lui fasse de l’effet, il veut bien, mais à ce point ? Madame Carles est revenue avec la trousse de secours du magasin. Quelques minutes après, la blessée ouvre un œil en gémissant.
? Laure, Laure, ça va mieux ?
Pas vraiment, elle enchaîne par une violente crise de nerf en suppliant d’une voix brisée :
? Laissez moi, laissez moi, allez-vous en !
Il est mal barré, le héros !!
A suivre
Parceval
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