Plume de satin Inscrit le: 28/3/2006 De: Ile de La Réunion |
Blanco Je revois ce chien comme ci, aujourd'hui encore, il était devant moi. Son nom, reflétait son apparence physique. Il était blanc, avec une ou deux tâches noires, sur le dos. Le poils ras, la queue raide et, par dessus tout, un vrai regard d'humain ! Quand ses yeux s'arrêtaient sur les gens, on aurait dit que la parole leur était donnée. Il avait le regard vivant ! A cette époque, malheureusement, les chiens pullulaient chez nous, comme les mouches en plein été ; à ne plus que savoir en faire ! D’ailleurs, comme il y avait déjà plusieurs compagnons de jeux, de son espèce à la maison , Papa estima que BLANCO était vraiment de trop ! Pourquoi lui, et pas un autre, je ne l'ai jamais su ! Toujours est-il, qu'un jour, à la tombée de la nuit, mon Père l'emprisonna dans un grand sac de jute, qu'il ficela aux deux extrémités.
Papa avait trouvé une solution définitive : aller le jeter dans les rampes de La Montagne. Ce lieu, propice aux disparitions inopinées, recevait souvent la visite de " promeneurs nocturnes ; qui voulaient se débarrasser d'un animal devenu gênant ou encore, " à l'article de la mort ". Le regard du chien que l'on condamnait à une mort certaine et irrémédiable, m'était insupportable. Certes, je ne l'aimais pas plus que les autres ; mais, j'eus le coeur transpercé par la lame de son dernier regard ! Je revois les mains tremblantes de mon Père, nouant les ficelles du sac, qui plongeaient BLANCO dans la noirceur de la nuit autant que, dans l'évidence de la mort ! Mon Père, contrarié malgré tout par cet acte qu'il sentait répréhensible et indigne de lui, déposa le chien dans le coffre arrière de la voiture. Celle-ci, tout à coup lestée du poids de la victime, s'élança sur la route, comme poussée par un vent cyclonique ! Les yeux vivants de BLANCO devaient être moites sous ses larmes retenues avec noblesse, dans l'incompréhension et l'impuissance totales, de ce qui lui arrivait ! Quelques longs instants plus tard, Papa revînt de ce parcours funeste qui le pesait, mais ne souffla mot ; préférant se coucher que d'avoir, cette fois, à affronter le regard de ses enfants ! Son coeur et celui du chien devaient communiquer par télépathie, la douleur de l'un, ravivant sans doute, celle de l'autre. Chacun, cette nuit a dû rêver de chiens prisonniers, comme de leurs maîtres geôliers !
Les jours, les semaines, et même une année sans doute, s'étaient écoulés depuis cet " incident " désagréable. Comme une bulle de savon, ce souvenir avait fini par s'évaporer. D'ailleurs, de façon logique, comme dans LE PETIT POUCET, faute de ne pouvoir nourrir ses " enfants " de façon satisfaisante, Papa avait pris une décision que nous respections dans nos coeurs d'enfants ; sans vraiment tout comprendre, ni tout accepter, cependant ! La vie continuait inlassablement à dérouler son ruban, jusqu'à un certain samedi après-midi, au cours duquel, mon Père s'installa sous le manguier, dans un " fauteuil pliant ", en quête d'une petite sieste.
Parmi les chiens qui se prélassaient tout autour de lui, il y en eut un, qui s'était rapproché de lui. Sans gêne ni complexe, il s'assit face à Papa qui dormait et se mit à le regarder tendrement. Un peu plus courageux tout à coup, il s'approcha davantage et posa sa gueule sur le genou voué à l'abandon, du dormeur. Mon Père, à peine réveillé et, à son habitude peu affectueux, entrouvrit ses yeux et pria le chien d'aller " faire l'amour " ailleurs. Celui-ci, retira sa tête, mais resta figé là . Comme un Bouddha, il ne bougeait pas et n'obéissait pas ! Un peu plus téméraire la minute d'après, alors que les cils de Papa s'embrassaient à nouveau, le chien , posa de nouveau sa gueule sur le genou toujours voué à l'abandon, du dormeur.
Une seconde fois, arraché des bras de Morphée ; Papa " chassa " le chien avec des mots qui claquent, des mots qui fouettent. Imitant le sourd et muet du quartier, le chien retira sa tête. Assoiffé d'amour et de tendresse, figé comme le même Bouddha, il ne bougeait pas et n'obéissait pas ! Importuné par cette présence lourde et troublante, Papa quitta son sommeil, pour daigner toiser, cette bête têtue et insignifiante, statufiée devant lui. Il fixa le chien, sa blancheur douteuse, ses tâches noires sur le dos, son poils ras , sa queue raide. Leur regard ont dû se croiser ! Un frisson enveloppa mon Père, réveillant en lui, le souvenir d'une gueule connue et reconnaissable parmi toutes les autres. Elle s'était imprimée dans sa mémoire et nulle gomme n'avait pu l'effacer ! Il réfléchissait intensément, confondu par l'angoisse, l'appréhension, et peut-être même un doute. A son tour, il devenait Bouddha ! Le chien sentit qu'il avait fait germer un doute et naître des sentiments, dans le coeur de l'humain qui le dévisageait avec peur et stupeur à la fois. Sa queue transformée en balancelle, lui donnait le tempo de ces retrouvailles.
Le rythme de son pauvre coeur de chien, se mêlait aux battements du pauvre coeur de l'humain ! Médusé dans son " pliant ", mon Père visionnait peut-être, sur l'écran de sa mémoire : leur dernière rencontre. La bouche ficelée et la gorge ligotée par l'émotion, Papa dit tout doucement : " BLANCO ? ". Le chien l'observait de ses yeux d'humain. Redevable d'être enfin reconnu, il lui léchait les mains ! " BLANCO ? " répéta mon Père comme pour s'assurer, qu'il ne rêvait pas et que ce chien, n'était pas un fantôme du passé. Le coeur de la bête devait jouer de la mandoline car il dansait de joie, mangeant Papa des yeux ! Papa nous appela tous. Bien sûr que nous reconnaissions BLANCO ! Il avait su sauvegarder son regard toujours vivant, et nous, nous étions à notre tour, émus et reconnaissants! Une perle de rosée dérapa en silence, sur la joue de mon Père. Par quel miracle de la nature, BLANCO avait-il pu se libérer ? Combien de temps avait-il dû lutter contre ce sac de jute et ces maudites ficelles ? Quelles mains magiques l'avaient délivré ? Qu'était-il devenu depuis tout ce temps ? D'où venait-il exactement ? Les questions s'entrechoquaient dans nos têtes. Pourquoi s'embrouiller à chercher des réponses ? Ce chien nous avait apporté la sienne : il était là ! Il nous ravissait tous, il allégeait notre conscience, en la délestant d'un lourd fardeau à porter et à supporter ! Je crois que ce jour-là , nous avons vécu un intense moment de communion entre parents et enfants ; mais aussi, entre humains et animaux !
Le retour de " l'enfant prodige ", qui n'était pourtant pas parti de son plein gré, nous rendit, tout à coup, la liberté que nous avions voulu lui voler ! Il était revenu sans rancune, sur les lieux de ses derniers instants, pour nous réconcilier avec nous-mêmes, et avec tous les chiens, qui avaient le droit de vivre : leur vie de chien ! Je n'ai plus aperçu de sac de jute, ni de ficelles, en partance pour les rampes de La Montagne. Ce lieu propice aux disparitions inopinées, ne reçut plus jamais la venue d'un visiteur nocturne nommé PAPA. Il avait retrouvé toute sa dignité d'humain, grâce à la présence de BLANCO, chien fidèle !
Angélica
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