Plume de soie Inscrit le: 28/12/2009 De: |
La robe, le repas, les fleurs (Les amitiés particulières) La robe, le repas, les fleurs...
Elle n'avait jamais songé à se marier. Le mariage était bien trop bourgeois pour que cela puisse lui traverser l'esprit. Elle avait succombé à cette hérésie seulement parce qu'il le lui avait demandé, et finalement, elle s'était pris à ce jeu bourgeois : la robe, le repas, les fleurs, les invités, la musique, le lieu... Et le marié dans tout ça, me direz-vous? Il ne devint pas plus important que la robe, le repas, les fleurs et tout le reste. Il l'avait demandé, elle l'avait accepté. A notre époque, on se fout bien de savoir avec qui, dans le mariage ce qui importe, c'est la robe, le repas, les fleurs...
Pierre était témoin de tout ça. De cette mascarade. Il était témoin des déferlantes d'arômes et de tissus blancs, de roses blanches et de taffetas. Mais, il se devait d'être aussi témoin devant Dieu de l'éternité de cet amour. Mais pour tout athée qu'il était, le mensonge n'était qu'un péché et des plus véniel. Il n'avait participé à tout ça que sur quelques petites choses dont le choix de la robe : il pouvait être contre le mariage, il ne pouvait pas laisser sa meilleure amie déambuler jusqu'à l'autel dans un amas de tissu blanc.
A la veille de la cérémonie, Pierre a reçu Estelle chez elle pour passer sa dernière nuit de célibataire loin du futur marié : traditions obligent. C'est vers 20 heures qu'elle a débarqué avec un bouteille de téquila et un filet de citron vert.
«Tu as du sel, je suppose? demanda-t-elle. - Évidemment, mais seulement pour la téquila... ironisa-t-il.»
Le grand jour arrivant à grand pas, elle ne faisait preuve d'aucune anxiété. Elle s'est assise sur le canapé, après avoir sorti deux verres à liqueur du buffet de la salle à manger. En ramenant le sel et un couteau pour les citrons, Pierre s'est rendu compte de l'indifférence qu'elle pouvait éprouvé envers cet homme et cet événement. Elle avait dit, bien des années auparavant, que ce n'était pas l'homme de sa vie. Elle avait bien conscience qu'on ne pouvait pas passer sa vie aux côtés du même homme et qu'il y avait plusieurs hommes dans une vie.
Il y avait Pierre déjà . Il était là depuis quelques années et ne l'avait jamais quitté. Il avait vu passé bien des hommes dans la vie d'Estelle. Des comètes. Lui était encore là , l'étoile qui veille. Il veillait sur sa vie comme elle veillait sur la sienne. Il lui laissait faire les erreurs qu'elle devait faire. C'était lui l'homme de sa vie, elle le savait, il le savait, tout le monde le savait. Personne n'en parlait. Personne ne mettait sur la table cette étrange relation qu'il y avait entre elle et lui. Ni les amis, ni la famille.
« Je fais une erreur, lui demanda-t-elle.? -Tu verras. »
Ils boivent deux ou trois téquilas en respectant l'ordre fixé par les convenances : téquila cul-sec, citron et sel. La chaleur monte aussi vite que les verres ont été bu. Les discussions existentielles sur la nécessité du mariage laissent place à des choses plus futiles. Ils aimaient, tout les deux, revenir sur le passé : la rencontre, la cohabitation, la séparation et, surtout, les garçons qui ont traversé leurs vies. Ces babillages sur le passé étaient emplie de regrets :
«- Tu m'en as voulu? Dit-elle. - Parfois. »
Le silence s'impose parmi les volutes bleus. Pierre s'engage à le rompre :
«- Ça a été difficile de te voir partir, ça a été difficile de partir mais je crois que ça nous a sauvé, alors je ne regrette pas. - Je regrette, moi. - Que je sois parti? - Oui et d'être parti aussi. Tu m'as détesté à ce moment là . - Non pas toi, mais lui oui. Il t'a volé à moi comme aucun autre ne l'avait fait auparavant. On avait l'habitude d'être ensemble même si tu avais quelqu'un. Pas là . Il t'a voulu pour lui tout seul et toi, tu es parti. Tu as accepté d'être à lui »
Le silence redevint ainsi roi, dans cette accès de sincérité. C'est la bouteille presque terminée qu'ils se sont assoupis sur le canapé du salon. C'est un réveil de téléphone portable qui les attirera vers la lumière en sursaut.
«- Putain, je me mari aujourd'hui ! Jura-t-elle. - Laisse-moi dormir, dit-il dans un grognement presque inhumain. »
Maquillage, coiffure, enfilage de la robe : tout était prévu. Tout avait été soigneusement chronométré par Pierre et son organisation légendaire. Mais il était déjà 10 heures et Estelle devait être à la mairie à 15 heures. Si le futur marié était d'ordinaire toujours en retard, elle s'imaginait aisément qu'aujourd'hui il allait être ponctuel.
Les discours et les pleures étaient terminé depuis longtemps déjà . La pression de bien faire était retombé. Pierre et Estelle se sont retrouvés devant la salle où se passait la soirée pour fumer une cigarette. Le spectacle laisse à désirer : une mariée, une cigarette à la main, assise par terre à l'entrée de sa salle de réception. Pierre est assis à côté d'elle. Son costume trois pièces lui va comme un gant. Il a toujours eu beaucoup de classe.
« - Tu te souviens du jour où on s'est rencontré ? dit-il. - Vaguement. - Ça fera dix ans dans un mois. Il s'en est passé des choses en dix ans. »
La porte s'ouvre sur les deux amis assis dans la pénombre.
« - Viens, Estelle. C'est la première danse, dit un ami du marié. - Ah, les affaires reprennent. On danse ensemble, tout à l'heure ? - Évidemment. »
Pierre ne suit pas Estelle dans cette bataille perdue d'avance. Il regarde l'assistance par la baie vitrée. Les amis, la famille, tout le monde regarde le couple valser. C'est Pierre qui a choisi la chanson. Une vielle chanson américaine qui parle d'un amour perdu, d'un vieux tourne-disque et d'une carte routière rongée par le temps. C'est une très jolie chanson pour une première danse. Il rallume une cigarette en se détournant du spectacle de la nuit. En prenant son portable, il échappe un soupir.
« - Allo ? - Mikaël ? - Oui... - C'est moi, c'est Pierre - Ah tient, ça fait un bail. Comment vas-tu ? Répond Mikaël, étonné. - Très bien et toi? - Bien, merci. Que fais-tu de beau ? - Je suis au mariage d'Estelle et j'ai pensé à toi. Et toi, tu fais quoi ? - Je suis avec ma copine, on allait boire un verre. - Ah... Je vais pas te déranger plus longtemps, alors. Je t'embrasse. »
Silence.
- « Je te rappellerai, promis. Je t'embrasse mon Pierrot. »
Il raccroche, bien conscient que cet appel lui a fait plus de mal que de bien. C'est le cœur légèrement serré qu'il entre dans la salle de réception. D'un regard, Estelle appelle Pierre à la rejoindre sur la piste de danse. Dans le boom-boom qu'ils aimaient tant, elle vient se coller contre lui, sa tête sur son épaule. La main gauche de Pierre est venu se poser dans le dos de la jeune mariée tandis que la droite va prendre la main d'Estelle pour l'étreindre, quelques instants. Ils bougent lentement au milieu de ces fous qui dansent dans tous les sens. Ils sont seuls au monde. Elle redresse la tête et tombe dans les yeux presque mouillés de Pierre.
« - C'est étrange... dit-il. - Quoi ? - C'est étrange de danser avec la femme de sa vie le jour de son mariage, lui avoua-t-il. - Oui, je suppose. »
Sa tête revient se poser sur l'épaule de Pierre.
« - Moi aussi, je t'aime, marmonna-t-elle finalement. »
D'ici quelques heures, ce mariage ne sera qu'un lointain souvenir. Qui s'en souviendra ? Qui se souviendra exactement de la robe, du repas, des fleurs...
|