Plume d'argent Inscrit le: 24/10/2012 De: |
La fugue La fugue
Marre, mais j’en ai marre de tous ces gens qui décident à ma place, elle est où ma liberté, merde alors. Dire qu’à mon âge, je suis obligé de fuir comme un gamin, quelle honte. Ils m'attendaient les bougres devant chez moi avec leur ambulance. Ils peuvent attendre, je n'irai pas dans leur maison de retraite. Non, non, non, et non, j'ai déjà échappé à la canicule cet été et aux griffes de Germaine, ce n'est pas pour me laisser enfermer maintenant. Si vous tombez entre leurs mains vous devenez gâteux, infantilisé, je l'ai vu avec mes pauvres copains qui y sont rentrés. Toute la journée entendre et dès le matin: « alors le petit papy, on a fait son gros dodo, son petit pipi, et le beau caca dans la couche», j'en frissonne rien que d'y penser. Pas question que je me lève à 6 heures du matin et me couche à 18 heures, je ne suis pas une poule, ni même plus un coq d'ailleurs. Et puis faire quoi avec tous ces vieux? Compter les carreaux du couloir, en attendant la soupe, où des visites que je n'aurai pas. On s'est débarrassé de vous, ce n'est pas pour venir vous voir. Et puis ça pue, une fois l'eau de javel et après la lavande, on se croirait dans une litière à chat. Non je n'irais pas. Paraît même qu'il y a bain obligatoire tous les quinze jours, ce n'est pas parce qu'on devient vieux que l'on a moins de pudeur, je crois même que l'on en a encore plus. Bien sûr notre corps n'est plus très beau, ça pendouille de partout, il n'en mérite pas moins de respect. C'est gênant quand même de se faire tripoter quand on ne l'a pas demandé. Ah ça non, et puis ça me rappelle trop de mauvais souvenirs, quand l'an dernier à la sortie de l'hôpital après une mauvaise chute, l'infirmière venait chaque matin me faire ma toilette que je ne pouvais plus faire seul. Quand elle sonnait à ma porte, j'avais à peine le temps de dire : « entrez » que je me retrouvais à poil dans la salle de bain. Je voyais comme dans un film en accéléré, des bras se baisser des jambes se lever, si vite que je me demandais si c'était bien les miennes ou si on était plusieurs. En 5 minutes, je me retrouvais assis dans le fauteuil du salon, la zigounette encore toute humide, comme la bagnole après son lavage à la station-service, mais moi je n'avais pas l'option lustrage. Et ce médecin que toute ma vie j'ai payé, pour qu'il me dise que je n’étais pas malade et qui maintenant veut me faire enfermer, parce que je suis trop malade, ça peut lâcher à tout moment qu’il dit et donc qu'il ne faut pas que je reste tout seul. Mais bon Dieu qu'est-ce que ça peut leur foutre que je sois seul. Quand je mourrai, même si il y a 50 personnes autour de moi, je serai bien le seul à mourir, alors !, la mort ce n'est pas un spectacle, c’est l’intime de l’intime. Ils n’ont qu’à me piquer pendant qu’ils y sont, l’euthanasie légale, quelle lâcheté des deux côtés. Et oui quand on ne veut plus vivre, si on n’a pas le courage de se donner la mort, on ne demande pas à quelqu’un d’autre de le faire légalement, et quand on ne peut pas le faire soi-même, cela peut arriver, celui ou celle qui donnera la mort ne pourra le faire que par amour, par respect, pour la dignité et non pas légalement, et ce en en acceptant tous les risques. C’est ça l’éthique, décider librement de donner la mort au risque d’en perdre sa liberté. L’amour et la mort sont à ce prix, autrement tout cela n’a plus de sens. Et puis je ne suis pas dupe, ce qu’ils disent, c'est du baratin, un discours d'intellos pour épater la galerie et surtout nous faire oublier l'essentiel : les mauvaises conditions de fin de vie, tant matérielles que psychologiques. La maltraitance, ce n’est pas forcément des coups, mais des paroles blessantes et le plus insupportable c’est la négation de l’individu, l'oubli, vous êtes mort avant de l'être. Mais ça, chut. Les vieux, mourez dans la solitude et l'indignité, pendant que de braves gens intelligents, pensent pour vous et « blablattent ». (extrait de Douce-Amère)
|