Je suis tisserande
Dans une petite bourgade
Simple campagnarde
Analphabète et ignare
Je mène une vie dérisoire
Plate, banale, sans histoires
Celle des artisans
Ces petites gens!
Mes habits sentent la laine
Mes mains sentent la laine
Ma peau sent la laine
Mon haleine sent la laine
Le sang coulant dans mes veines
Sent la laine
Ma vie sent la laine!
Ma vie maussade et monotone
N'est que labeur et peine
Ni vacances ni jours fériés
Je ne sais conjuguer
Que le verbe "travailler"
A tous les modes, Ã tous les temps
Tous les jours, toutes les saisons
Sans joie, sans fougue, sans passion
Mon travail est dur et éprouvant
Travail de longue haleine:
D'abord
Choisir la laine
La plus belle, la plus fine
La laver, l'étaler
La sécher au soleil
Quelle besogne!
Ensuite
Vient le temps de la teinture
Choisir les couleurs de la nature
Les plus fortes, les plus éclatantes
Les plus brillantes, les plus vivantes
Après
Préparer le métier à tisser
Derrière lequel j'ai passé
Toute ma vie à me lasser
A m'user, Ã me surpasser
A trimer, à trépasser!
Enfin
Commence le vrai labeur
Durant de longues heures
Nuit et jour
Effort et sueur
Tournis, torticolis
Doigts endoloris
Bras engourdis
Yeux épuisés
Pieds ankylosés
Corps vidé
Machine humaine
Besogne surhumaine!
Cependant
En mariant formes et couleurs
En créant reliefs et contours
En enfantant beauté et splendeur
En donnant la vie au tapis
Je me sens enfin en vie
Je ne suis plus une simple artisane
Cette vulgaire paysanne
Je deviens une créatrice
Une artiste!
Je vends mon chef-d'Å“uvre
Comme une vulgaire marchandise
Dans la ville la plus proche
L'argent que j'empoche
Suffit à peine
A acheter de la laine
Pour la future besogne
Il ne me reste presque rien
Pour subsister à mes besoins
Et à ceux des miens
Vie de chien!
Plus tard
A près mille et une transitions
Mon tapis est enfin en exposition
Dans une galerie de Paris
A présent il n'a plus de prix
Il coûte une fortune gigantesque
Dont la berbère analphabète
N'a eu que les miettes!
Personne ne pense à l'artiste
Qui a créé cette œuvre magnifique
Le tapis, on l'applaudit
La tisserande, on l'oublie!
Est-ce une vie?
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Agadir, le5/6/2010
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Ma vie n'est plus une barque dans une mer enragée
Et je ne suis plus le naufragé!
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Mostafa, point fat, seul, las, si doux, rêvant de sa mie!!!