Vous autres qui avez toujours été beaux,
Ne savez pas le poids de chaque regard en coin,
Vous n’avez jamais eu cette bosse en fardeau,
D’être le gros qu’on voit arriver de si loin.
Car qui sait, Ă part nous, caste des triples- ventres,
La confusion, la honte, le malheur, mélangés,
Dans la graisse d’un corps ou le désir concentre
Le besoin de manger et celui d’être aimé.
C’est vivre chaque jour comme une contradiction
Compenser la laideur par un supplément d’âme
Un désir masochiste aux paroles d’attrition
Réponses connues d’avance à nos élans, nos flammes
Puis vient cet instant d’une absolue conscience
Où se brise l’anneau le plus fort de la chaîne,
La moindre once de chair marquée par l’alliance
De l’âme au nouveau corps qui sort de ses veines.
Chaque jour, chaque geste devient un combat
Pour contraindre et plier la mécanique infirme,
Lui faire suivre la vie d’un animal de bât,
Chargé plus qu’à l’excès de douleurs intimes.
Chaque foulée relancée avec une rage de guerre
Contre le pire ennemi qu’on porte tous en nous,
Celui qui vous sait faible, qui est pire qu’un père,
Qui n’aspire qu’aux victoires de vous mettre à genoux.
Et tout ce qui est perdu, laissé sur le bitume,
Tout ce qui est rendu dans une goutte de sueur,
Vous rend plus fort et tisse bien plus qu’un costume
Une expansion de soi bien au- delà du cœur.
Vous savez la souffrance, dressez la volonté
Comme des animaux de races inférieures
Plus faciles à plier telles ces âmes domptées
Qui n’ont jamais tué leur « moi » pour meilleur.
C’est moi, je suis nouveau, j’ai rebâti mon corps
Je me suis retaillé à la serpe virile
Et mon autre silhouette n’est qu’un animal mort
Ne laissant que ses plaies et souvenirs bacilles.
Car toutes les blessures de vos mots enfoncés
Dans la peau trop tendue d’où je me suis enfui,
Restent là , tatouées à l’encre bleue foncée,
Sur le vélin bréviaire de ma part de nuit.
Je n’ai même plus de haine pour les faux innocents
Qui m’ont laissé grandir drapé de ridicule,
Car sur ces cruautés de veaux adolescents,
J’ai dressé ma vie d’homme : mi David, mi Hercule.
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