L’homme et la femme
Sans se regarder
Marchaient à grandes
Enjambées mais hésitantes
Tout de même
Car le décor leur était
Inconnu

Le ciel s’était assombri
Et par endroit
Éclairs et eaux s’abattaient
En démesure
Sous leurs regards inquiets
Et ce murmure
Qui déjà les tourmentait
Devenait immense tonnerre

Il fallait rejoindre sans tarder
Ce qu’il restait de clarté
Dissimulée au bout de la plaine
Il aurait fallu marcher plus vite
Mais le sol d’abord ferme
Commençait à se dérober
Et le pas devenu plus lourd
Semblait résister

Derrière eux
Loin déjà
Le noir s’était installé
Pas la nuit, un noir plus profond
Infranchissable

Du verger il ne restait rien
Pas une racine ni ronce
Les cultures mangées par la terre
Ou peut-être le feu
Ou peut-être la colère
Le vert et l’abondance
Ne paraissaient plus
Et la terre n’était plus terre
Ou n’avait jamais été
Mais une mouvance
Un tremblement exagéré
Où se noyaient les couleurs
Qu’on croyait éternelles

Et cette voix qui n’appelait pas
Mais qui semblait parler
Une langue oubliée
Dicter des mots
Comme une loi
Sombre et puissante
Dominait l’orage
Pour dire aux choses
Qu’elles ne sont plus
Et aux hommes

Il lui tendit la main
Pour franchir ce qu’il restait
D’un royaume déjà oublié
Une nouvelle existence commençait
Sur une terre aride
Rongée par vent
Animée par le temps
Qui venait de décompter
Terre qui sera rebelle
Et jalouse de ses offrandes

Tout construire, inventer
Suer les gouttes de son front
Sur les outils
Semer récolter engranger
Survivre maintenant
Et imaginer un autre avenir
La tête baissée
Le regard limité par l’horizon
La vie limitée par la mort
Dans l’épaisseur de la connaissance