L’homme vêtu de noir marchait de lente allure
Sur ce trottoir bondé de piétons insouciants ;
Un paquet sous le bras et les pas nonchalants
Il allait son chemin sans risquer la foulure.
Inspectant les recoins, les couloirs, les ruelles
Il tentait de trouver quelque part un gamin
Pour pouvoir lui conter, en lui prenant la main,
L’histoire du manga farci d’images belles.
De loin, un homme étrange épouse cette houle
Qui, sur l’autre trottoir, écoule son courant.
On dirait qu’il le suit en espion apparent
Le filant, fort discret, sans troubler cette foule.
Rien ne vient perturber cette fine manœuvre
Et notre homme suiveur surveille du regard.
Le vieil homme suivi s’en va du boulevard
Et grimpe un escalier en serrant son chef d’œuvre.
Il finit tout en haut, sur la cour d’une place
Par trouver une troupe employée au grands jeux.
Il se fraye un chemin puis se met parmi eux,
Ces gamins désoeuvrés échappés d’une classe.
Alors de son paquet il défait la ficelle
Et brandit le manga devant ce beau troupeau.
Puis il lit d’un ton calme entamant un morceau
Du livret merveilleux qui soudain étincelle.
Le libraire séduit comprend lors sa méprise
Et s’alarme de joie en voyant le vieillard.
Son soupçon primitif éprouvé au bazar
De son vivant commerce a enfin lâché prise.