1 - Avant
Au commencement de Tout était le néant,
Une soupe inerte dans un chaudron géant
Végétant mollement dans un gouffre béant ;
Un fatras ténébreux de matière fossile ;
Une chétive boule, absconse et immobile,
Sommeillant lourdement d'un abandon docile ;
Un glacial symposium d'éléments très lointains
Conglomérant leurs feux et leurs tristes destins
Dans un profond abîme aux éclats incertains ;
Un innommable amas envahi de décombres
Qui avalait la clarté pour expulser l'ombre
Et qui se réjouissait de sa propre pénombre.
Cette chose baignait dans le vide absolu,
Les limbes durables de ce Temps dissolu,
Éphémère cercle sans fin et sans début.
Ô morne profusion de morne solitude !
Ici, point d'horizon, ici point d'altitude,
Rien qu'un interminable état de platitude !
Toute l'immensité présente en un seul corps !
Toute la substance en ce singulier décor !
Toute la matière dans l'imparfait accord !
On n'apercevait rien au loin des froids rivages.
Rien ne vivait autour, dans ces noirs voisinages.
Tout était à naître et dormait au fond des âges.
Un silence total régnait aux alentours
Et caressait ces lieux aux sinistres contours
D'où il ne s'échappait ni les nuits ni les jours.
On ne ressentait rien, si ce n'est les ténèbres !
L'univers n'avait pas encore de vertèbres
Et cherchait les chiffres des premières algèbres.
Opaque formule ! Nébuleuse équation !
Rien ne semblait s'ouvrir à l'interprétation,
Sorte de dérive en quête de direction.
Rien n'existait, ni sens, ni but, ni trajectoire !
Et tout se combinait de par l'aléatoire
Dans un formidable exercice expiatoire.
Cerné par la stupeur, envahi par le froid,
Tout était à l'étroit et suffoquait d'effroi,
Dans ce glauque univers sans murs et sans beffroi.
Il n'y avait ni d'aube ni de crépuscule.
Un halo ceinturait la veuve tubercule
Et pétrifiait le temps de ce fragile ovule.
Cet équilibre avait sa stricte perfection
Et tissait obstinément sa propre projection
Jusqu'Ã se morfondre dans son introspection.
Rien, absolument rien, aucun signe de vie,
Pas même la lueur d'une simple bougie !
C'était le point zéro, le calme avant l'orgie,
Glaise primordiale d'un chaos ordonné,
État originel d'un monde condamné
A vivre reclus durant l'éternité.
Ce Tout monolithique était l'unique nombre,
Une concentration d'opacité et d'ombre
Qui inspirait l'obscur pour expirer le sombre.
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Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ! (Alfred de Musset)