Plume d'or Inscrit le: 5/3/2008 De: Tunisie |
Épître, Pénélope à Ulysse (inspiré du premier chant des Héroïdes d'Ovide) Épître, Pénélope à Ulysse Quando ego non timui graviora pericula veris ? Res est solliciti plena timoris amor. (Publius Ovidius Naso)
Ta triste épouse dont les jours pâlissent Pleure et songe à toi, ô, absent Ulysse ! Dans cette solitude enseveli, Mon cœur, que jamais ne console l’oubli, De ton image se souvient encore ; Chaque jour, quand se lève l’aurore, Et quand l’aube blanchit le ciel, J’implore, à genoux, les dieux immortels De te rendre aux soupirs qui me ravagent, Guerrier imprudent au cœur volage ! Et de ne point priver, dans leur courroux, Une épouse éplorée de son époux ! Mais, hélas ! Jusqu’aux nuées solennelles, Le vent n’emporte point ma voix plus frêle Que le chant béni de l’oiseau songeur ! Ô, colère des dieux ! Ô, destin vengeur ! De mille maux divers mon cœur est la proie ! Que m’importe cette odieuse Troie, À tant d’Achéens si chère, où tu cours ? Elle est moins immense que mon amour, Cette mer fatale à Iphigénie Qui t’y porta sur ses ondes infinies ! Priam, Ménélas, noms qu’abhorre mon cœur ! Mon cœur t’aimera, vaincu ou vainqueur ! Maudit soit le jour où, quittant tes terres, D’un ravisseur coupable et adultère Jusqu’à Ilion tu poursuivis le pas ! Je pleure ici et tu ne me vois pas ; Maintes fois, mon front devenait blême, Quand à Antiloque et Tlépolème Dans ma solitude je songeais morts ; Je frémis quand j’entends le nom d’Hector Qui, de notre sang valeureux trempée, Tant de fois rougit sa cruelle épée Qui eut pour fourreau les cœurs de nos guerriers ! Plus que toi, de ces Troyens meurtriers Je craignais les fers. Je vis leurs lances Une nuit, dans ton sein plein de vaillance Plongées. Quelque grand que fût mon effroi, Je ne pouvais te sauver, ô, mon roi ! Mais toi, imprudent ! Foudre qui passe, Oubliant ton épouse que les jours lassent, Et ton enfant sur son sein endormi, Tu affrontais, à Troie, mille ennemis ! Une nuit, avec un seul homme pour armée, Tu combattis les Thraces. Moi, alarmée, Je tremblais pour tes jours, père oublieux ! Je sais que Troie, maudite par les dieux, Est tombée. Que la foudre achéenne Sur elle tomba, et que ses reines, – Femmes, même ennemies, dont je plains le malheur – Mais le temps de Troie essuiera les pleurs ; Dans ses sillons les épis s’élèvent De sans mouillés. Elle oublie et rêve, Mais moi, je n’oublie point ! Dans ce lit froid, Je languis chaque jour, chaque nuit, sans toi Et de ton doux sourire qui me console Je ne vois plus l’aurore. Tes douces paroles Hélas ! Ne bercent plus mon cœur amer ! Mon roi, cette incommensurable mer Dont tu ne vois point le port coupable, Est pour mon amour plus redoutable Qu’Ilion et ses tours plus hautes que l’azur ! Mon cœur est jaloux. Une femme au front pur Retient-elle ta nacelle à son rivage ? Es-tu sous un toit ou sous un nuage ? Ô, mon Ulysse, aimes-tu ? Es-tu aimé ? Et par des yeux charmants es-tu charmé ? Daigne me répondre, car je frissonne, Quand tu te tais et tu m’abandonnes ! Oh ! J’eusse aimé que Troie ne tombât point ! De moi tu eusses toujours été loin, Mais à mes feux je te saurai fidèle ! La guerre t’eût conduit loin des yeux des belles, Car plus que les épées, plus que les dards, Je crains la femme aux impudiques regards ! Mais que dis-je ? Ô, dieux ! Époux, je m’égare, Pardonne-moi, mais l’amour toujours s’effare ! Chaque jour, loin du monde, seule dans ces lieux, Aux flots profonds et aux vents joyeux Je demande : « Avez-vous vu la nacelle Qui porte mon bien-aimé sur ses ailes ? Ô, flots ! Ô vents ! Le vîtes-vous passer ? » Mais de ma faible voix l’écho lassé Seul me répond. Et Pylos et Sparte Ignorent. La houle loin de moi t’emporte Et les amants viennent ici assiéger Comme les Grecs Troie, ton palais outragé, De Dulichium, de Samos, de Zacinthe, De l’hymen oubliant les lois saintes, Et de l’amour souillant le nom sacré, Comme une déesse, à mes pieds m’adorer ! Pisandre, Antinoüs, Médon, Eurimaque, Que je repousse en montrant Télémaque, Règnent dans ta cour, car ils te croient mort. L’honneur d’un roi, qu’ils oublient sans remords, Et d’un époux, que leurs vœux avilissent, Importent peu à leurs sombres caprices Auxquels mon père m’ordonne d’obéir. Mais je n’aime que toi ! Comment leur offrir Un cœur qui t’appartient et qui t’aime Et des dieux austères braver l’anathème ? Mais je suis seule. Laërte au dos courbé Est vieux. De sa tête l’on voit tomber Des cheveux augustes, blancs comme le marbre, Comme en hiver tomber les feuilles d’un arbre ; Télémaque radieux est encore enfant, Je ne puis braver ces hommes triomphants. La pudeur me conseille la prudence ; Pour distraire ces amants qui t’offensent De Laërte je tisse le linceul ! Oh ! Je t’attends, moi et ton enfant seul, Je veux mon époux, il veut son père ! De trois malheureux écoute les prières ! Ma beauté se fane, mon front s’assombrit, Mon cœur ténébreux est endolori Par le deuil constant, ô, sombre faiblesse, De mon amour et de ma jeunesse Dont mon cœur se rappelle les jours radieux ! Je voulais demeurer belle pour tes yeux, Mais dans cet univers rien ne demeure ! Le destin fermera mon œil qui pleure Et, comme une fleur que le temps vient cueillir, Jadis jeune, tu me verras vieillir.
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