Dans ce magasin là,
Flotte un timide brouhaha,
Faits de tons qui ne s’élèvent pas
Murmures et bruits de voix…
Ici on vient en initié,
En habitué,
Lecteur invétéré,
Novice intimidé,
Ou par simple curiosité,
Ou parce qu’on nous l’a conseillé…
Mais toujours on se laisse surprendre,
Par ces instants qu’il vient nous rendre,
Ce temps que l’on vient reposer,
Pour flâner, rêver et s’oublier…
Dans les détours de ses allées,
Aux angles d’écrits carrés,
Ici et là on peut croiser,
Des grands, des petits, des blasés,
Des agités, des apaisés, des concentrés…
Il y a bien des indécis,
Qui ne savent pas vraiment si,
Cet ouvrage, peut-être celui-ci,
Qui plaira à la personne qui…
Alors, ils vont d’une pile à l’autre,
Attendant sans doute un apôtre,
Un vendeur, un homme parmi les autres,
Qui les sauvera de l’erreur,
Parce que son monde, il le connaît par cœur,
Et qu’il s’est fait maître de choeur…
Entre les livres de cuisine,
Le plaisir déjà titille les babines
De ces gens qui font des mines,
Se retrouvant petits enfants,
Devant le gateau au fromage blanc,
Celui de Grand Maman…
Certains feuillettent, et puis enquêtent
Dans les livres de recettes,
Parce qu’ils ont raté le met d’un repas,
Cherchant le petit truc qui leur manque là
Pour réussir le même plat,
Ah, ce n’était donc que cela!
Il leur revient des saveurs repliées
Entre les pages entreposées,
Des souvenirs embaumés
Qui se posent, du temps, une pincée,
Sur la cuillère en bois,
Celle qu’ils ne tiennent pas,
Tournant dans le bœuf aux carottes
Qui sur l’image mijote,
Dans la cocote qui crachote…
Dans les allées ce matin,
Il y en qui vont bon train
Et se la jouent indifférents,
Se veulent un peu plus savants,
En cherchant le dernier roman,
Celui qui a le ruban
A la couleur rouge sang,
Celui dont on parle tellement.
Ils le liront,
Ils l‘aimeront,
Parce qu‘il est dans l‘air du temps,
Pauvres gens,
Qui dédaignent les rayons de petits livres francs,
Pourtant…
Là-bas, chez les enfants,
On a installé des coussins sur des petits bancs,
Où les petits se sont assis sagement.
Et, sorties des albums en hurlant,
Des armées de chevaux d’argent
Montés par des soldats brillants,
Combattent aux pieds de ces chevaliers nains,
Qui s’évadent dans les dessins.
Les garçonnets ne les voient pas,
Si loin qu’ils sont déjà,
Sur les vagues de lignes bleues,
Des feuilles qui se plaignent un peu…
Pas toujours très précautionneux,
Ces petits dévorent des yeux,
Les livres qu’ils écornent un peu…
Et puis, il y a ceux qui sont pressés,
Qui ont déjà vérifié,
Que le bouquin, il allait le trouver
Dans la rangée numérotée,
Sous la lumière blanche et polie du plafonnier.
Ils avancent, sans un regard jeté sur les travées,
Oubliant de seulement de s’attarder
Devant les aventures, les romans, les épopées,
Volumes d’histoire imaginée,
Aux armures cartonnées,
Entreposés en mètres linéaires,
Où l’on fige les éphémères…
Près d’un rayonnage coloré,
De grands étals où sont ouverts
Des volumes à l’aspect divers,
D’où se déplient les hommes en marche,
Qui sur le papier marchent
De leur inimitable démarche.
Parfois, ceux qui les manipulent,
Se sentent ridicules,
A percevoir la peinture, qui sous leurs ongles s’accumule,
Le crayon, le pinceau,
La teinte d’un couché de peau,
Les notes de l’enfant qui joue du pipeau,
L’odeur du bord de l’eau…
Perdus dans cet autre univers,
Ils en oublient les commentaires,
En bas des pages,
Caractères bien solitaires,
Et si primaires,
Dans ce dédale de lumières.
Ils iraient bien sous les ombrelles
Comme ces belles demoiselles
En crinoline et en dentelle…
Quelques minutes d’infini
Dans leur vie bien trop définie
Où ils se refont le récit
De ces peintures trop assagies.
Alors, dans ce magasin là,
Où chantent des tons qui ne s’élèvent pas
Murmures et bruits de voix,
Les hommes viennent chercher parfois
La couleur des mots qui se range là,
Et laissent les lettres leur offrir un choix,
Pourquoi pas leur montrer la voie …


Bruits de vers.2010

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Françoise Pédel Picard