Le chocolat
Je me souviens d’un jour, c’était pendant la guerre,
Nos seize ans affamés étaient privés de tout,
Quant à nos distractions, il n’y en avait guère,
Ballades à vélo, cinéma, c’était tout.
Ce dimanche de mars notre petite Ă©quipe,
Huit filles et garçons qui n’étaient que copains,
DĂ©cida de partir pour le circuit classique :
Fontvieille, Barbegal, par la Montée des Pins.
Retenu par un match, je suis parti plus tard
Et j’ai dû rattraper le groupe à Montmajour
Ignorant, de ce fait, qu’au moment du départ,
Notre copain Francis, malin comme toujours,
Les avait régalés en partageant en frères
Une tablette entière d’excellent chocolat
Qu’il avait dérobée à sa mère, épicière.
J’étais bien un ami mais je n’étais pas lĂ
Alors, ils l’avaient tous dégustée sans m’attendre.
En apprenant cela, j’étais presque en colère,
Lorsque, derrière moi, je fus surpris d’entendre :
« Tenez, j’en ai gardé pour le retardataire »
C’est ainsi que parlait la plus jolie des filles.
Elle me vouvoyait comme c’était l’usage,
Cela n’empêchait pas sa voix d’être gentille
Et j’aimais bien ses yeux, sa bouche…et son corsage.
Je pris les trois carreaux que ses doigts me tendaient
En la remerciant d’un serrement de main,
Mais comme dans ses yeux mon regard se perdait,
Je sus que cet instant aurait des lendemains.
Pendant l’après midi, pédalant sagement
Nous avons bavardé du swing et des zazous,
Puis chacun est rentré retrouver sa maman
Sans qu’il ne soit question du plus petit bisou.
Mais, dès le jour suivant, soi-disant par hasard,
Nous nous sommes revus, ce fut un vrai bonheur
Il y eut des rendez-vous, des rentrés en retard
Et bientôt sans effort le « tu » fut de rigueur
Puis, un jour, le bisou est devenu baiser
Un amour était né qui n’a fait que grandir
Et que le temps passé n’a pas pu épuiser
Puisqu’après soixante ans il ne veut pas mourir
Depuis, lorsqu’un ami me pose la question :
« Quel serait le dessert qui ferait ton bonheur
Je réponds tout de suite et sans hésitation :
« J'aime le chocolat, il n’y a rien de meilleur »