LA MAME
Elle avait tant marché au long de ses chemins,
S'en allant seule aux champs dans les frileux matins,
Fatigué ses jambes des pieds jusqu'aux genoux
Qu'elle semblait quelquefois ne plus tenir debout.
Elle avait tant porté de fagots sur son dos
Courbée comme une bête sous le pesant fardeau
Qu'elle trottinait encor sous le souffle du vent
Comme pliée pour résister à son assaut puissant.
Elle avait tant battu son linge blanc au lavoir
A genoux, dans le froid du matin jusqu'au soir,
Que ses mains et ses doigts déformés par l'effort
Souvent la nuit la faisaient souffrir encore.
Elle avait tant pleuré tout au long de ces guerres
Quand elle avait perdu un mari, un frère,
Que cette rivière salée, charriant tant de cailloux
Avait creusé des sillons le long de ses joues.
Pourtant qu' elle était belle, notre vieille mamé
Les yeux délavés par les pleurs et les années,
La peau brunie, fripée, tannée par le soleil,
Sommeillant sur le banc à l'ombre de la treille.