Lettre à une jeune poétesse...
Lettre à une jeune poétesse…
Chère jeune poétesse!
Vous me demandez si vos poèmes méritent d'être nommés poèmes. Vous me demandez si vous êtes une poétesse.
Que vous répondre, chère jeune poétesse, que vous répondre, si ce n'est que la nuit vous sera vie.
La nuit, lorsque soufflera l'Autan et que Garonne gémira comme femme en gésine, vous le saurez.
La nuit, lorsque seul le rossignol entendra vos soupirs, vous le vivrez.
Vous vivrez ces instants où le mot se fait Homme, où quand d'un corps malade jaillit cette étincelle que d'aucuns nomment Verbe, quand certains la dédaignent; les étoiles apparaissent, et des mondes s'éteignent.
Vous me demandez, jeune amie, si vous êtes faite pour ce métier d'écrivain.
Mais écrire, belle enfant, ce n'est point un métier, ce n'est pas un ouvrage.
Poésie et argent ne font pas bon ménage, poésie est jalouse, et le temps est outrage.
Vous verrez le soleil dédaigner vos journées, et les ors, les fracas, les soirées et les fêtes, bien des autres y riront, se payant votre tête.
Seule au monde et amère, comme un fauve en cavale, vous lirez, vous irez, sachant mers et campagnes, portant haut vos seins doux, vos enfants en Cocagne. Loin de vous les amours, parfois quelque champagne.
Mais les mots, jeune amie, les mots, ils seront vôtres.
Vous les malaxerez comme on fait du pain frais, vous les disposerez en lilas et bouquets, vous en ferez des notes, des sonates, des coffrets.
Et quand au jour dernier vous serez affaiblie, vos mains seules en errance, votre bouche enfiévrée, on vous murmurera qu'on vous a tant aimée.
Mais il sera trop tard: vos vers auront fugué.
Alors soudain des peuples chanteront vos ramages, on vous récitera, des statues souriront; un écolier ému relira quelque page. Et un soir, quelque part, au fin fond d'un village, ou dans un bidonville, enfumé et bruyant, une jeune fille timide osera les écrire, ses premiers vers d'enfant, vous prenant en modèle.
Alors ma jeune amie, ce jour là , doucement, comme en ronde éternelle:
vous serez poétesse.
Sabine Aussenac.
-à la manière de Rainer Maria Rilke...
www.poesie-sabine-aussenac.com
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Lou, aux nuits rossignol...