ODE A L'AMOUR
Vieux chevalier du Graal, dans ta quête éternelle,
Tu jouis, bel Amour, des conquêtes cruelles.
Ton mal qui se répand tel un fleuve qui gronde,
D'un flot roulant sans fin bat les rives du monde.
D'une flèche ajustée, meurtrissure subtile,
Des êtres tu ruines les défenses futiles.
Ta griffe vermeille qui s'amuse et lacère
Les laisse pantelants jusqu'aux tréfonds des chairs
Ton œil est un soleil où la raison se perd.
Elle y meurt consumée, dissoute dans l'éther.
Tes cheveux sont une onde où la force s'égare
Et s'épuise, embaumée de tes parfums barbares.
Ta bouche est un calice où les corps altérés
Boivent jusqu'à la lie tes blasphèmes sucrés,
Et tes gestes lascifs aux caprices suprêmes
Délivrent tout à tour la candeur et la haine.
Quand, chargés de tes fers, les amants fous bénissent
De ta prison dorée les plantureux délices,
Ils sont jouets naïfs de tes sombres desseins,
Et trophées exhibés à ton écu d'airain.
Car celui qui se noie dans ta fleur purpurine
Bientôt s'abaissera sous tes Fourches Caudines.
Que tu sois messager du ciel ou de l'enfer,
Un orgueilleux dédain va fermer ta paupière.
Archange ou bien Satan, qu'importe ta fureur
Si tu me transportes, monstrueuse splendeur,
Dans ton sillage chaud, langoureux et pervers,
Jusqu'au ciel flamboyant d'un torride univers.