Complainte d'une plume désuète
Je suis la plus triste plume d'un grand poète
Je sais encore bien écrire et bien disserter
Mais par ce pauvre temps devenue désuète
Il ne reste plus qu'à m'appeler retraitée
Et je suis toujours si bon vivante et si alerte
J'ai un corps mince, très doux à caresser
Soutenant à merveille un si serviable bout
Qu'un artiste a bien divisé sans me blesser
Et à peine me touche-t-on, je suis debout
Pour se plaindre, pour aimer, pour se confesser
J'avais un ami très intime appelé encrier
On s'embrassait mille fois chaque jour
En voyage, nul de nous ne devait être oublié
Reste des plus belles notre histoire d'amour
A chaque poème, nous étions encore plus liés
Sont venus d'autres temps appelés modernes
Des objets difformes ont très vite émergé
Dedans même l'encre s'infiltre et hiberne
Paresseux, ils sont le plus souvent en congé
Cela énerve tant les poètes et les consterne
Quand les doux doigts de monsieur me cajolent
Je me souviens de l'encrier et de sa main
Je sens mon fragile cœur de moi qui s'envole
Et pointent loin, très loin les beaux matins
De ces douces journées où j'avais un rôle!
Je rêve encore même d'un seul petit tercet
De ma langue, de l'encre et de la main du poète
Un très grand souhait qui m'a toujours bercée
Ce serait l'une de mes plus merveilleuses fêtes
J'aime encore chanter et m'entendre peu grincer!