Plume de platine Inscrit le: 8/4/2020 De: |
La femme peintre (30)
La femme à laquelle je rêvais ne m’attendait pas Se souvenait-elle seulement que j’existais Nous ne nous étions vus qu’une fois, deux mois auparavant Nous nous étions rencontrés chez des amis communs On nous avait présentés. Elle m’avait souri Au cours de la soirée, nous avions échangé quelques phrases Rien de plus Elle repartait le lendemain pour son île Depuis, je m’étais renseigné auprès de mes amis. Son île est minuscule. De son jardin, que l’on se tourne, ou pas, on voyait la mer Je l’avais imaginée là -bas Tout le froid de la mer autour de cette chair de femme Elle peignait Je m’étais procuré ses catalogues d’exposition Des grèves, des landes, des bateaux, des ciels Jamais une silhouette, jamais un visage, Comme si le monde avait été désert autour d’elle J’avais laissé passer du temps Je suis comme un champ, sillons tracés, en plein vent Les visages s’y déposent comme des graines La plupart meurent, ou bien des oiseaux les picorent Le sien avait germé, poussé, s’était épanoui en moi Un matin, quand je m’étais éveillé, il tenait toute la place Qu’est-ce que je savais d’elle Presque rien, en réalité, en dehors de mon désir Elle était brune, se coiffait d'une natte tressée Comme cela avait été la mode quelques années plus tôt Elle avait la bouche petite, le nez droit, les yeux bleus De très fines rides au coin des yeux et aux commissures des lèvres Elle vivait seule, m’avait-on dit, mais sait-on jamais Elle avait peut-être un amant sur l'île Il était là , Ils dormaient, enlacés Ou bien non... ils ne dormaient pas Ils s’étreignaient Elle gémissait, la bouche à son oreille Mais non, non, elle vivait seule Il n’y aurait pas de grand type méfiant, ce serait elle qui m’ouvrirait Elle ne serait ni maquillée ni parfumée, ses ongles ne seraient pas faits, Elle porterait une blouse tachée de peinture et un fichu dissimulerait ses cheveux Elle me dévisagerait avec une lueur d’étonnement dans ses yeux bleus : « C’est vous ? » Elle ouvrirait plus largement sa porte, elle s’effacerait pour me laisser entrer J’ai toujours tout vécu à l’avance, comme un gosse qui se gave de pain avant de passer à table Par moments, c’était plus fort que moi Je l’imaginais nue, je trompais ainsi la faim que j’avais d’elle Je gardais les yeux ouverts La nuit m’envahissait et lavait l’intérieur de mon crâne En chassait les vagues idées qu’élaborait mon imagination Je finis par m’endormir, je fis ce rêve : "Je gagnais l’île à pied, en marchant sur les eaux."
|