Un canon éructe ses entrailles métalliques
Dans un pays que tu ne connais pas !

Tu as tout juste deux fois neuf ans
Et des rires de gamin plein les yeux
Que tu vas devoir ranger pour toujours
Au fond de tes poches recousues plus de mille fois.

De ton avenir prématuré,
Tu as seulement des souvenirs d'enfance
Émergeant de la sourde angoisse d'une liberté pubère
Qui patiente sur le seuil de tes "aujourd'hui" encore vivants.

Tes jours n'ont pas dépassé tes instincts de gosse
Et pourtant cet amour maternel hébété
T'a bien regardé partir vers son lointain fatal,
Avec au revers de son cœur une fierté imbécile
Et dans ses regards médaillés,
La triste joie des faiseuses de héros.

C'est pour la consoler,
Que tu vas suivre les traces de sang paternel
Qui suintent encore de la mémoire clinquante
Épinglée sur le torse de cette veuve exemplaire.

Aujourd'hui,
Ta mère s'est fixée dans un "garde-à-elle" impeccable
Et dans la brume déchirée par ses larmes orgueilleuses,
Un baiser mécanique s'est posé sur tes devoirs en uniforme.

Mais tu as pour toujours,
Sur tes lèvres encore mouillées du lait maternel,
Les impérissables saveurs électriques
De ta première dernière nuit d'amour.

Ce matin,
La petite Marie a crié silencieusement
Et dans une aurore vomie par l'aube empoisonnée,
Elle t'a regardé partir loin de son innocence immolée.

Hier,
Elle s'est offerte au-delà de ses raisons
Pour conjurer cet adieu trop puissant.
Elle a dit oui en ne pensant qu'à toi,
Pour enfanter ton retour égoïste
Et te jurer sa promesse adolescente.
Jusqu'au bout de ses larmes,
Elle veut croire que tu reviendras un jour,
Pour te blottir dans l'intervalle de ce destin suspendu
Afin de lui réapprendre l'amour vrai.

Mais dans ce pays que tu ne connais pas,
Un canon va souiller tes entrailles ironiques.

Il va recracher ton destin,
Hors de ta vie,
Hors de ta mère,
Hors de ton amour premier,
Loin de ces toujours que tu ne connaîtras pas.