L'avant retrouvailles - (Recueil: "Douleurs").
Injustement épargnée par le grand silence prédateur,
La vieille était humblement agenouillée
Près du trop grand lit de bois mort
Soutenu par quatre bougies larmoyantes.
Repliée sous ses 80 ans devenus soudain inutiles,
Elle priait du bout de ses dernières forces
Pour que le dernier espoir de sa vie l'emporte avec lui,
Au-delà de ce dernier sourire entendu
Qui caressait le bout de ses doigts suppliants.
Ils s'étaient marié et remarié
Pendant presque 60 ans.
Nuit après jour.
L'un près de l'autre
Et l'autre dans l'amour de l'un.
Ils allaient mourir l'un après l'autre,
L'autre derrière l'un,
Mais pas l'un sans l'autre
Ou juste le temps d'un dernier instant.
Ils avaient eu quatre enfants
Pour multiplier leur jeunesse comblée.
Ils avaient bercé deux filles et deux garçons
Pour se retrouver dans les yeux de leurs petits-enfants,
Pour vieillir loin de la peur solitaire des vieux.
Pourtant ils se sont laissé oublier
Par ceux qu'ils n'attendaient plus depuis longtemps
Et ils avaient continué de vivre l'un pour l'autre,
L'autre accroché au dernier souffle de l'un.
Mais aujourd'hui,
Elle s'était trompée d'heure.
Elle avait oublié,
Le temps d'une inattention fatale,
D'aller se promener au bras de son amour.
Alors,
Toute repentante auprès du grand lit à moitié vide,
Elle creusait sa place abandonnée pour un instant,
D'une main pleine d'excuses murmurées.
Elle ne pouvait pas exister seule.
La vie l'avait déjà déshabillée de ses enfants
Et nue sous sa peau tremblotante,
La vieille se réchauffait avec espoir
A l'ultime avant-dernier sourire de son vieux
Qui l'attendait pour l'emmener loin de son chagrin.
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« La vie n'est supportable que si l'on y introduit non pas de l'utopie mais de la poésie (Edgar Morin) »
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