L'enfant des trottoirs solitaires.
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QUELQUE PART, DE LONG EN LARGE... ET DE HAUT EN BAS. ---------- |
J'ai 18 ans Et je m'appelle : 13/01/2068.
Entre la belle vie des uns Et les beaux jours des autres, Je me suis bâti un horizon vertical, Auréolé d'un arc-en-ciel en noir et blanc. Un petit bout de monde malséant, Entre les autres et les uns.
Mais la vie continue. Même pour ceux qui sont cloués sur place, Impitoyablement lâchés par son élan incontrôlable.
Alors je cherche simplement À ne pas trop mourir au jour le jour Et je compte sur chacune de mes secondes, Pour trouver de quoi conserver mes nuits Dans des grappes de chimères liquides, Âcrement titrées à 10°5.
Comme j'ai froissé depuis longtemps Les orgueils repliés dans ma tête en papier mâché, La biographie de mes futures années répandues Peut tranquillement dépendre du bon vouloir des passants.
Le bon vouloir de ceux qui ne donnent rien sans savoir pourquoi Ou de ceux qui savent pourquoi mais sans s'arrêter pour en parler. Comme le font parfois deux ou trois silhouettes fugaces Qui s'apitoient le plus rapidement possible, Sans vouloir comprendre beaucoup plus loin Qu'une pièce de vingt centimes symboliques.
A présent, Je ne sais plus que vivre à L'ombre de mon ombre Et je ne me souviens plus très bien de moi, Ni des raisons qui m'ont emporté si près de nulle part.
Et ma vie passe Et le temps me surpasse Et mes jours, mes nuits, mes heures, mes instants, Tous ces laps de moments perpétuels, Repassent par le même point d'un départ figé dans le temps.
Tous mes instants trottinent en rond dans ma tête, Sournoisement martelés par des tonnes de minutes sous-alimentées Et cadencés par des litres de secondes de "trop tard".
| J'ai trop attendu, Pour réapprendre à vivre mes années futures Et je n'ai plus la force, Pour ranimer cette envie moribonde De ressembler à ceux qui ont la chance de ne pas me ressembler.
Et quand bien même. Qui voudrait encore de moi ? Qui applaudirait à mon retour ? Alors que je n'arrive même plus à regarder en face, L'image de mes déchéances indélébiles Satinée par les reflets des caniveaux huileux.
Je suis devenu un trop ancien jeune moussaillon, Désigné par le mauvais sort d'un naufrage familial. Un pauvre petit marin d'eaux usées, Enlisé dans le sable rugueux au pied des fadaises Et buriné par les vents "gazoilés" de mes croisières citadines.
J'étais un "et cetera". Un simple "et quelque chose" Parmi d'autres inassouvis par L'espoir. À présent je suis un énième, Parmi des tas de souvenirs amnésiques. Je suis devenu une fatalité chronique, Une malchance invétérée qui n'arrive plus à s'intégrer, Dans la confiance d'une raison sociale emblématique Promise aux seuls avenirs sélectionnés.
Peut-être qu'un jour J'irai jusque derrière moi-même Et que j'essaierai d'ouvrir la porte d'un doute. Même si elle est refermée sur des lassitudes incrochetables.
Mais aujourd'hui je n'ai pas la clé. Je n'ai plus de volonté. Ni de courage. Alors j'ouvrirai demain, J'ouvrirai sûrement après-demain, Peut-être…
Ainsi, surgissant d'entre mes silences de détresse, Sans doute qu'au lieu de tendre une main creusée Et assoiffée d'indispensable, Aurai-je le désir de mendier quelques minutes de raison. Juste pour parler et comprendre. Juste pour essayer d'écouter et de réapprendre.
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Mais existe-t-il seulement un parloir encore ouvert, Dans les froids couloirs de nos exclusions ?
- Arteaga. |
Un jour de plus, un jour de trop, dans ce monde va-t-en-guerre d'aujourd'hui, les enfants de demain
pourront à leur tour raconter l'ignoble destin collé à leur vie dès la naissance... un jour de plus, un jour de trop.
Recueil : "L'INNOCENCE DÉVASTÉE".
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« La vie n'est supportable que si l'on y introduit non pas de l'utopie mais de la poésie (Edgar Morin) »
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