Elle savait qu'un père ça existait.
Elle l'avait lu dans les livres offerts aux papas
Pour qu'ils racontent des histoires de famille à leurs enfants.
Elle savait aussi qu'une mère ça souriait.
Elle le récitait soir et matin,
Agenouillée sous les vigilances glacées de l'orphelinat.
Elle savait bien ce qu'était une maison pleine de baisers.
Elle l'avait tant et plus rêvé,
Tristement recueillie dans ses mouchoirs de draps rugueux
Et reniflant au milieu des autres lits humides
Qui rêvaient tous la même chose.
Elle savait bien ce qu'était une promenade pleine de rires.
Elle l'avait tant et trop pleuré
Lorsqu'elle imaginait son chemin du bonheur,
A la queue leu leu des autres larmes silencieuses
Qui se suivaient des yeux pour ne pas se sentir seules.
Elle savait bien ce qu'était un dimanche plein de tendresse.
Elle l'avait tant et tant projeté,
Au cœur de chaque film des sombres après-midi fériés
Qu'elle devait partager illusion après illusion
Entre frères et sœurs immatriculés.
Elle savait aussi,
Comment être aimée telle une enfant attendue.
Elle se le répétait à chaque instant,
En embrassant les parfums de sa poupée en chiffon mâché.
Elle savait même
Comment sourire à des parents comblés.
Elle s'exerçait chaque matin
Devant la glace qui déformait ses espoirs en chagrins.
Mais elle ne savait pas très bien pourquoi
L'abandon l'avait choisie sans rien lui demander.
Car elle savait trop bien qu'elle appartenait
A quelqu'un qui ne la reconnaissait pas.
Chaque jour que même Dieu avait du mal à faire
Elle promenait ses fragiles réponses mal endormies,
Au fond d'un trop vieux landau imaginaire
Qu'elle tenait tout au long de ses récréations
Bien serré dans l'étau de ses petits doigts recroquevillés.
A chaque repas,
Elle regardait la place abandonnée à côté de sa vie.
Une grande place sans amour assis dessus,
Mais toujours pleine d'un autre enfant dépossédé
Qui prenait chaque fois la place de sa maman.
Chaque soir,
En tenant fermement son ombre par la main,
Elle allait déposer son petit corps oublié
Entre les rêves froissés de ses nuits fabuleuses.
Et seconde après seconde,
Pour ne pas s'endormir sans écouter l'appel
Hurlé par ses parents perdus dans ses nuits,
Elle apprenait par cœur son vrai prénom de famille
En épelant ses souvenirs analphabètes.
Mais elle était trop vieille de six années plus une demie
Et elle savait qu'on ne viendrait jamais plus.
- Arteaga.