Le Vieux
Comme vous sachez-le, j’ai eu aussi vingt ans
Et mon joli minois a fait bien des ravages.
Je marchais les pieds nus, les cheveux dans le vent,
Les femmes se retournaient souvent sur mon passage.
J’ai eu beaucoup d’amis, j’ai pris beaucoup d’amants,
J’ai enflammé des cœurs et reçu des poèmes.
J’ai tant de souvenirs de mes anciens printemps
Et tant de belles nuits, parsemées de « je t’aime »…
Et puis un beau matin j’ai rencontré l’amour.
Nous nous sommes mariés, comme dans tous les romans
Et pendant des années, de Londres à Singapour
Nous nous sommes aimés, sans voir passer le temps.
Deux beaux enfants sont nés de cet amour sans faille,
Nous leur avons donné ce qu’il y avait de mieux.
Après beaucoup d’efforts, à force de travail
Ils ont appris la vie avec l’aide de Dieu.
Fatigués mais heureux, aspirant au repos,
Se retrouvant tous deux comme de vieux mariés,
Nous avions espéré pour un dernier cadeau
Poursuivre ce chemin encore quelques années.
Mais pour ma compagne les jours étaient comptés,
Elle s’éteignit sans bruit comme elle avait vécu.
Le chagrin fut trop lourd, je n’ai pas supporté
C’est pourquoi aujourd’hui, j’ai l’air aussi perdue.
Je n’suis plus qu’un vieux qui ne bouge pas,
Que vous devez laver et aider à s’asseoir.
Je vous comprends fort bien mais je ne réponds pas,
Cloué dans mon fauteuil du matin jusqu’au soir.
Vous dites « faites un effort papi, soyez gentil »
Et mĂŞme quelques fois vous me secouez un peu.
Ce qui me fait trembler ce n’est pas la fatigue,
C’est le manque d’elle qui me tue, peu à peu.
Je ne vous en veux pas de votre indifférence,
Pour chacun d’entre nous la vie à ses chagrins.
Si j’avais le pouvoir d’abréger ma souffrance
Je partirai sur l’heure, sans attendre demain.