Le vent fou du matin vient tirer du sommeil
Delphes la belle Ă©blouie au soleil
Les oliviers parmi les pierres blanches
Au-dessus des rochers de marbre gris se penchent
Pour mieux voir s’éveiller tout un monde d’azur
Voluptueuse la mer Ă©tire ses lianes
Qu’elle laisse courir dans sa forêt de jade
D’écume s’effeuillant comme une fleur malade
Comme un grand lys langoureux qui se fane
Près du temple du dieu mort les eucalyptus
Mêlent leur doux parfum à l’odeur des fucus
Qui montent des rivages desséchés de sel
Jusqu’au sommet de la montagne au seuil du ciel
Des buissons de lauriers crèvent le paysage
En mille flaques roses vont jusqu’au village
Au-dessus de la mer perché sur son rocher
C’est l’heure où les pigeons s’élancent du clocher
Pour mieux voir s’éveiller tout un monde d’azur
Au seul carrefour éclaboussé de lumière
Une chanson native abolit le silence
C’est le chant cadencé d’une jeune bergère
Qui les pieds nus esquisse un pas de danse
Au devant de l’église blanchie à la chaux
L’ombre d’une madone adouci le chemin
Une vigne s’enroule autour de ses deux mains
A ses pieds se couche une rose qui a chaud
Les pêcheurs revenus depuis l’aurore au port
Ravaudent les filets accroupis sur le bord
Sous un citronnier qui abrite de son ombre
Un héros victorieux qui n’est plus qu’une tombe
Que salue au matin tout un monde d’azur
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Leur toile spirituelle
Je la brise et vais cherchant
Dans ma forĂŞt sensuelle
Les oracles de mon chant
Paul Valéry