Une fille en négatif
Lui n’est qu’un roc, une âme abrupte au regard noir,
Un corps taillé à coups de serpe et de burin,
Un visage dur dans l’ennemi qu’est son miroir
Qui ne renvoie que les reflets de deux surins.
Elle n’est que rire et couleurs vives,
Elle n’est que larmes et nerfs à vif,
En tout, un cœur ouvert, un livre,
Un bout de soie sur un récif.
Des mains devenues poings par l’habitude des coups,
Os et muscles, unique pièce durcie au fer
D’une existence en embuscade, une vie de loup,
Parmi les loups oĂą chaque faute se paye cher.
Elle n’est rien d’autre qu’innocence,
Toute une douceur à décoffrer
De cette gangue de souffrance
Que cache sa vie mal maquillée.
Il n’est que froid, il n’est que dur,
Il sent la guerre et pue la haine,
Mais ce corps d’homme n’est qu’un mur,
Voile de morgue sur cœur de laine.
Elle est si frĂŞle et si fragile,
Brillante et lisse de la voix,
Une Ă©tincelle au bord des cils,
Ou une larme, c’est au choix.
Et plus il blinde ses mots, ses portes,
Plus elle existe dans ses yeux,
Et plus il hurle, moins cela porte,
Car aucun son n’éteint le feu.
Elle est sourire, vie qui s’obstine
A rejeter le vide au loin,
En dépensant des heures mutines
A s’émailler bijoux et mains.
Toute sa vie soudain si creuse,
Lui monte en gorge comme un nœud,
Une douleur vive et radieuse,
D’être seul et devenir deux.
Elle est la fille mais pas la femme,
Plus que jolie mais sans désir,
Porteuse en elle d’une deuxième âme,
Celle d’un père qu’elle a vu fuir.
Ils sont uniques en antithèse,
Les deux côtés d’une même pièce,
Inséparables et sans prothèse,
Pour une vie double dans sa tresse.
Elle est la fille et sans sa mère,
Elle n’est plus rien qu’une dérive,
Une voile au vent en pleine mer
OĂą cet homme est la seule rive.
Ils sont tout à eux deux, mais sans les mots pour le gâcher,
Deux contraires imbriqués en une vie homogène,
Ce qui manque, en un mot, pour être enfin soudés,
Un « Papa » pour lui, pour elle, au- delà de leurs gènes.
Elle est sa fille et son image,
Son opposée que tout attire
Sur l’amour qui manque aux pages
Du père qui peut enfin s’y lire.
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