J'ai un ami, je le connais depuis longtemps!
Il ne vit pas, il ne vit plus, il reste lÃ
Laissant sur lui couler la clepsydre du temps;
Mais pour y mettre enfin aujourd'hui le holà ,
Je vais lentement vous conter ce qu'est sa vie;
Ce qu'il ressort d'une existence de trente ans
Mauvaisement partie, s'amusant à l'envi
D'éviter de goûter aux charmes du printemps;
Sa vie n'est qu'une mer désertée de bateaux!
La tempête a soufflé sur tout son vague à l'âme
Sans chasser pour autant le vide de tantôt
Ni, non plus, lui donner le plaisir d'autres rames;
Sa vie est un chateau qui n'est plus en Espagne!
Désormais il se dresse au coeur d'une contrée
Où l'on ne connait pas la douceur des compagnes
Puisque jamais l'on ne peut les y rencontrer;
Sa vie est une étoile au ciel de solitude,
Brillant sans aucun but car nul ne l'aperçoit,
S'éteignant le matin par unique habitude
Et balbutiant le soir comme un astre de soie;
Sa vie est un chemin parcouru par personne!
Une route inutile et non entretenue;
Sur sa croûte jamais un seul bruit ne résonne
A part, de temps en temps, la pluie tombée des nues;
Sa vie est un tableau de maître inachevé;
L'on y voit les couleurs d'un chatoyant jardin
Mais restant là un long moment à l'observer,
Une âcre platitude y apparaît soudain;
Sa vie est un roman, un roman noir bien sûr!
Sombre en est l'écriture et gris en sont les faits;
On le lit dépité, respirant la blessure
Qui fleure durement l'odeur de la défaite;
Sa vie est un tunnel enfoui sous des monts,
Eux-mêmes entourés par quelque vil brouillard
Figurant son esprit, submergé de démons,
Emprisonné aux mains de leurs tourments sans fard;
Sa vie est un oiseau qui ne peut plus voler!
Perclus comme un avion, un avion sans ailes;
Il regarde de loin la nuée s'envoler
Cependant qu'il ne peut s'évader avec elle;
Sa vie est un cactus au fin fond du désert;
Observant les serpents, admirant les chameaux;
Il ne peut toutefois leur dire avec des airs
Ce que le sable, lui, leur dit avec des maux;
Sa vie est un enfant sans sa mère perdu,
Ne sachant pas comment rejoindre sa maison,
Retrouver tout l'amour, récupérer son dû,
Ses jouets, ses amis et sa verte saison;
Sa vie est un chapeau que ne veut nulle tête!
Sur le haut de l'armoire il reste nuit et jour
En espérant la main qui lui fera sa fête
Et lui redonnera le goût d'être abat-jour;
Sa vie est un voilier dont le mât s'est cassé,
Dérivant sur les flots pénibles du néant;
Son étrave esseulée en a vraiment assez
De ne se consoler qu'aux eaux de l'océan;
Sa vie est une tombe encore inoccupée
Qui, lasse de servir d'hôtesse à la pénombre,
Envisage d'ouvrir sa porte aux plus huppés
Pour qu'enfin des trésors fassent luire son ombre;
Sa vie est une perle enfermée dans une huître
Attendant le pêcheur qui la découvrira
Et la pendra au cou d'une femme sans titre
Qui, de ce pur joyau son coeur enrichira;
Sa vie est un piano qu'il faut réaccorder,
Ses notes sonnent faux comme un feu crépitant;
Fantôme de Mozart, toi qui es débordé,
Redonne-lui demain tout le lustre d'antan;
Sa vie est un soleil éclipsé par la lune!
Parviendra-t-il enfin à retrouver l'éclat
Qu'autrefois il donnait aux vaux de Pampelune,
Quand dardaient ses rayons, loin du sinistre glas?
Sa vie est faite ainsi je vous prie de le croire!
Et même si parfois la vision donnée
Est ambiguë au point que vous vous sentiez poire,
Essayez gentiment de me le pardonner;
Pour tout vous dire, si ces images confuses
J'ai été obligé d'employer, croyez-moi,
C'est qu'elles parlent mieux que moi; je me refuse
A raconter sa vie sans susciter l'émoi;
Sa vie est faite ainsi et il n'est pas le seul!
Donc si je puis aider, par mon petit talent,
Tous ceux qui en ces vers reconnaîtront leur gueule,
Bienheureux je serais d'écrire avec élan
Et, grâce à la vigueur de quelques élégies,
Je leur inculquerai encor l'envie de vivre;
Ainsi, par de récents desseins leurs yeux régis,
S'ouvriront-ils sur les pages d'un nouveau livre;
Et même si je sais que, de notre Rimbaud,
Le quart de l'esprit je ne possède, je dis:
Si quelqu'un trouve mes poèmes, ma foi, beaux,
Du lundi j'oeuvrerai jusques au samedi
Pour raconter le mal des âmes égarées,
Faire s'illuminer les rues de leurs cités,
Les faire se dresser pour mieux contrecarrer
L'orage les privant de leur félicité.
Jean-Paul.
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Vivre ses rêves