Cette nuit, alors qu'entre les mains du sommeil
S'abandonnait mon corps, si langoureusement,
Comme se meurt sur l'arbre un fruit mûr et vermeil,
Mon esprit, lui, de son côté rêvait, formant
A mon insu un mirage particulier
Et dont, ce matin je revois, présent encore,
Le tableau flou et cependant trop familier
Pour que, de moi, ne s'efface son noir décor:
Autour d'une table nous étions réunis,
Moi et tous ceux qui de mon ascendance furent;
Du moins tous ceux dont ma mémoire était garnie,
Mes chers disparus, désormais aux cieux si purs.
En premier lieu ce fut papa, lui qui mourut
Au cours d'une opération, qui prit la parole,
Nous contant une de ces histoires de rue
Comme il en avait vécu dans les années folles;
Ensuite, mon cher grand-père se mit soudain
A baragouiner derrière sa barbe blanche,
Tandis que son discours, qui semblait anodin,
Etait rempli de bons mots et de choses franches;
Après, ce fut au tour de mon oncle Jeannot
De nous parler, avec chaleur et enthousiasme,
De ces frissons vifs lui parcourant tout le dos
Quand dans ses terres il chassait, loin du marasme;
Alors se décida tante Marie-Thérèse,
Elle qui aurait pu n'être point vieille fille,
Tant jeune elle était belle avec ses yeux de braise,
D'éclairer le repas de ses phrases de fille;
Puis mon autre tatie se mit à s'exprimer,
Elle se prénommait Josette et je l'aimais!
Elle fut la dernière à trop tôt nous quitter;
Oublier son regard je ne pourrai jamais;
Enfin mamée parla! Femme forte et pourtant
Si câline avec moi; je me revois toujours
Lui rendant visite parfois, je l'aimais tant;
Elle me le rendait cent fois au fil des jours.
Se levèrent alors tous six et, sans mot dire,
Comme un clan de zombies, au profond des ténèbres,
Bras dessus, bras dessous, ensemble ils repartirent
Vers le triste pays des étoiles funèbres;
Olympe où leurs linceuls reposent côte à côte,
Rassemblés sous le joug de dame éternité;
Lieu où, quand tintera ma terminale note,
Je les retrouverai sans animosité.
Que faut-il retenir de ce songe funeste?
Si ce n'est que jamais l'on ne doit oublier
Nos proches emportés, cependant que l'on reste
Là , blèmes, effrayés, comme au moment dernier,
Essayant de survivre à la mer de souffrance
Qui, de son flot boueux, accapare nos plages
A chaque fois que l'un de nous a la malchance
De goûter à l'obscur effroi du sarcophage.
Jean-Paul.
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Vivre ses rêves