LA SYNCOPE
Non, mes Ami(e)s, en poésie, la "syncope" n'a aucune rattachement de près ou de loin avec cette perte de connaissance brutale et de brève durée due à la diminution momentanée de la circulation cérébrale.
Ce mot est tiré du grec "sunkopè", qui signifie raccourcissement, ou, plus spécialement "retranchement de syllabes ou de lettres au milieu d'un mot". Comme l'annulation prosodique d'un "E" caduc à l'inférieur d'un mot, ce qui entraîne la disparition d'une syllabe dans le décompte.
Il s'agit d'un phénomène relativement courant dans la poésie depuis l'apparition du vers libéré, ainsi dans cet alexandrin d'APOLLINAIRE :
Ô belle Lorely aux yeux pleins de pierr(e)ries.
La proximité des phonèmes [r] rend cette syncope d'autant plus aisée. Le phénomène de la syncope est souvent lié à un effet de connotation populaire ; il peut alors être intégré dans la graphie des mots, comme "tellment" et "curdent" dans ce quatrain d'alexandrins de Raymond QUESNEAU, fragment de "Je crains ça pas tellement", où ils vont dans le même sens que l'emploi de la négation seule dans "je crains pas" et la tonalité générale de désinvolture affichée face à l'angoisse de la mort :
Mais je crains pas tellment ce lugubre imbécile
qui viendra me cueillir au bout de son curdent
lorsque vaincu j'aurai d'un Å“il vague et placide
cédé tout mon courage aux rongeurs du présent.
Plus généralement, on appelle également "syncope" un métaplasme qui supprime un phonème ou une syllabe à l'intérieur d'un mot, phénomène lui aussi fréquent dans la langue populaire et que reproduit Jean TARDIEU en écrivant "rin" au lieu de "rien" dans le poème "La Môme Néant. Dans la chanson, la syncope est très fréquemment indiquée par des apostrophes :
Et s'app'lait les Copains d'abord
Les Copains d'abord.
(G. BRASSENS).
Voici un autre exemple de VERLAINE, dans "Invectives" :
...
Que l'apocope se pavane
Comm' drapeau fier dans le fier choc
Sur les rangs fermes comme roc
De la grande école romane !
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Citation :
La poésie se nourrit aux sources de la prose et s'embellit au concerto des mots. (André LAUGIER)