INVERSIONL'inversion est une figure de construction qui affecte d'ordre canonique des mots. Il faut distinguer l'inversion grammaticale, due à une règle syntaxique (par exemple, l'inversion du sujet après certains adverbes en tête de phrase) : "Il est en retard. Sans doute a-t-il raté son train", qui n'est pas une figure, de l'inversion stylistique, due à une volonté de mise en valeur de la part de l'écrivain. C'est le cas, par exemple, de "mourants", isolé par l'inversion du sujet dans ces vers d'APOLLINAIRE ("Le Voyageur" - in Alcools).
Mais tandis que "mourants" roulaient vers l'estuaire
Tous les regards tous les regards de tous les yeux...L'inversion du sujet permet de maintenir dans tout le vers une ambiguïté sur le sens de "mourants", d'abord le plus fort à cause du quatrain précédent qui suggère une connotation plus ou moins funèbre, puis tout à fait atténué dans l'expression "un regard mourant".
En fait, l'inversion dans la plupart des cas, n'est guère qu'une licence poétique au service de la versification. Le poète accompli sait employer cette "figure de construction" à des fins stylistiques.
L'écart, avec le langage courant de la communication est alors au service d'intentions de style.
Exemple :
Sur le plus haut des monts s'arrêtent les chevaux
Alfred de VIGNY, (Le Cor)Ce rejet du sujet en "fin" de vers permet de simuler concrètement l'arrêt brutal de l'attelage épuisé après l'effort.
On peut donc considérer l'inversion à la fois comme une convention et comme une tolérance. Grâce à son charme particulier, qui est celui de la poésie, notre langue admet deux sortes de constructions, l'une qui respecte la subordination des mots, et l'autre s'en écarte. La première est la construction directe, la seconde l'inversion.
La poésie a utilisé l'inversion bien plus fréquemment que la prose, souvent pour éviter un hiatus, soit pour assurer la juste mesure du vers, soit pour respecter un temps fort (accent d'identité), soit, le plus souvent, pour amener à la rime un mot récalcitrant.
Quelques autres exemples :
De mes propres lauriers mes amis couronnés...
Alexandre le Grand (III, 6. 1665)
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Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage...
Athalie. (1, 2. 1691)
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Mère de mes enfants, beau fruit, cathédrale latine,
ô toi mon Dieu, ma messe intime
Maurice FOMBEURE. (À dos d'oiseau. 1942)
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Citation :
La poésie se nourrit aux sources de la prose et s'embellit au concerto des mots. (André LAUGIER)